Après un magnifique album publié en 2022 enregistré alors qu’il était encore relativement peu connu, Pene Pati nous revient avec ce nouveau programme tout autant diversifié. Le ténor samoan nous offre ici un mélange de tubes du répertoire (dont certains un peu oubliés) et de véritables raretés. Le CD s’ouvre avec un superbe « Nessun dorma » mettant parfaitement en valeur le timbre chaud et rayonnant du chanteur. La projection actuelle de la voix de Pene Pati lui interdirait de chanter Turandot à la scène, mais, face à un micro, le résultat est convaincant. L’interprétation est d’une belle poésie. Le phrasé est presque impeccable : on regrettera toutefois quelques libertés rythmiques (une note trop longue, une autre trop courte : ce ne sera pas le seul air concerné par cette observation), comme s’il manquait une ou deux prises supplémentaires pour arriver à un résultat optimal. Pene Pati interprètera Faust à l’Opéra-Bastille à compter du 25 septembre et il sera intéressant de comparer l’expérience de la scène et celle du disque. Le français est quasiment parfait. La musicalité du chanteur est impeccable, usant à bon escient de la voix mixte et du registre de poitrine. Le contre-ut final de la cavatine est terminé d’un magnifique morendo. Cette musicalité est doublée de celle d’Emmanuel Villaume à la tête de l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine, qui offre un accompagnement original et raffiné. Le chef français dirigera ce même ouvrage à l’Opéra-Bastille. Toujours tiré de Faust, nous entendons ici pour la première fois l’allegro (presque une cabalette) qui devait à l’origine suivre la cavatine. Il s’agit a priori du premier enregistrement mondial de cet air, particulièrement excitant, mais qui fut coupée lors des répétitions : objectivement, il aurait brisé l’harmonie générale de l’acte. Toutefois, la page en question, qui démarre avec la même musique que celle qui accompagne l’arrivée dans la prison de Faust et Mephisto au dernier acte est diablement excitante et Pati en offre une interprétation énergique, couronnée d’un long contre-ut. L’air de Des Grieux de la Manon de Massenet est d’une belle poésie, avec là encore un magnifique jeu sur la voix mixte et le registre de poitrine. Toutefois, les aigus manquent un peu de soutien. L’intelligence donnée au mot est remarquable. Pour l’anecdote, l’intervention parlée du sacristain, effet typique d’opéra-comique, est intelligemment rétablie (mais pas son intervention finale). Le Duo des cerises de L’Amico Fritz fut longtemps une page célèbre, mais est tombée dans l’oubli depuis quelques décennies, de même que l’ouvrage : Pene Pati et Amina Edris, son épouse à la ville, l’interprètent avec justesse et simplicité. Le duo de Macbeth, « Dove siam? (…) La patria tradita », est l’occasion pour Pene Pati d’être rejoint cette fois par son frère Amitai Pati : le court morceau est plein d’énergie grâce à l’impulsion martiale d’Emmanuel Villaume mais il y aurait peu de chance que le rendu soit aussi réussi à la scène, celle-ci réclamant des voix davantage projetées, celles de lirico-spinto. Fort bien chanté et parfaitement articulé, « Nature immense » extrait de La damnation de Faust manque un peu de romantisme. « Pourquoi me réveiller » de Werther est lui aussi chanté avec goût mais ses aigus sont un brin trémulants, Pati ayant clairement plus de difficultés à émettre un la dièse stable qu’un contre-ut spectaculaire : on a déjà pu le constater à la scène, mais cela surprend dans un enregistrement commercial. Là encore on saluera le talent du chef qui ne se contente pas ici d’un simple rôle d’accompagnateur. Le délicieux « Seul sur la terre » extrait de Dom Sébastien, roi du Portugal est une autre pépite de cet enregistrement, interprété avec une belle musicalité, et des suraigus (ut et ut dièse) superbes. « Che gelida manina » de La Bohème est un peu expédié, alors qu’on aurait imaginé le chanteur ici plutôt dans son élément : même le contre-ut final déçoit par son manque de stabilité. Autre pépite avec le duo de ténors, « Non sai tu che non avrai più del ciel » extrait du rare Il Bravo de l’injustement oublié Saverio Mercadante, composition entre Donizetti et le Verdi de jeunesse, interprétée avec toute l’urgence nécessaire. On ne se souvient plus guère d’Ernest Guiraud, sinon en tant que compositeur des excellents récitatifs de Carmen, de l’orchestration des Contes d’Hoffmann, voire des suites symphoniques de L’Arlésienne. Ernest Guiraud était aussi compositeur mais, par une cruelle ironie de l’histoire, il ne put achever son dernier ouvrage, Frédégonde. Camille Saint-Saëns se chargera des trois derniers actes, dans son style propre toutefois. Si la voix d’Amina Edris manque un peu de largeur pour le rôle, cet exceptionnel duo tiré de l’acte II donne clairement envie d’entendre l’ouvrage en entier ! Pati est décidément à son aise dans le Donizetti français, avec un extrait de La Favorite conjuguant les styles français et italien. Superbement chanté, « Tombe degli avi miei » de Lucia di Lammermoor souffre d’un si naturel final peu stable. A ce stade de l’écoute, on ressent aussi un certain sentiment de monotonie, comme si trop d’intentions musicales finissaient par donner le sentiment d’un chant un brin affecté, alors que les morceaux de bravoure se réécoutent avec de plus en plus de plaisir. Sans être véritablement verdienne, l’interprétation de « Ah, la paterna mano » de Macbeth est d’une belle émotion. Le trio de La Juive, « Tu possèdes, dit-on, un joyau magnifique » est une curieuse façon de terminer l’album : Amina Edris est un peu dépassée et la voix de Pati est a priori plutôt celle du rival Léopold que celle d’Éléazar, même si la typologie vocale du créateur, Adolphe Nourrit, reste difficile à imaginer. Les courtes interventions du chœur sont excellentes, l’orchestre est impeccable et la direction d’Emmanuel Villaume est un atout non négligeable à cet enregistrement, séduisant malgré quelques faiblesses. On apprécie de le réécouter plusieurs fois, en particulier pour les pages moins connues qu’on aimerait entendre régulièrement sur les grandes scènes. La diversité, c’est aussi la programmation.
Pene Pati, Nessun dorma
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Infos sur l’œuvre
Détails
Giacomo Puccini (1858–1924)
Turandot
« Nessun dorma »
Charles Gounod (1818–1893)
Faust
« Salut ! Demeure chaste et pure »
« Et toi, malheureux Faust (…) C’est l’enfer qui t’envoie » (premier enregistrement mondial)
Jules Massenet (1842–1912)
Manon
« Je suis seul ! (…) Ah ! Fuyez, douce image »
Pietro Mascagni (1863–1945)
L’amico Fritz
« Suzel, buon dì! » (Duo des cerises, avec Amina Edris)
Giuseppe Verdi (1813–1901)
Macbeth
« Dove siam? (…) La patria tradita » (duo avec Amitai Pati et choeurs)
Hector Berlioz (1803–1869)
La damnation de Faust
« Nature immense »
Jules Massenet (1842–1912)
Werther
« Traduire ! Ah ! Bien souvent (…) Pourquoi me réveiller »
Gaetano Donizetti (1797–1848)
Dom Sébastien, roi du Portugal
« Seul sur la terre »
Giacomo Puccini (1858–1924)
La Bohème
« Che gelida manina »
Saverio Mercadante (1795–1870)
Il Bravo
« Non sai tu che non avrai più del ciel » (duo, avec Amitai Pati)
Ernest Guiraud (1837-1892)
Frédégonde
« Nous partirons ce soir ! » (duo, avec Amina Edris)
Gaetano Donizetti (1797–1848)
La Favorite
« La maîtresse du roi ! (…) Ange si pur »
Lucia di Lammermoor
« Tombe degli avi miei (…) Fra poco a me ricovero »
Giuseppe Verdi (1813–1901)
Macbeth
« O figli miei! (…) Ah, la paterna mano »
Fromental Halévy (1799–1862)
La Juive
« Tu possèdes, dit-on, un joyau magnifique » (trio, avec Amina Edris et Amitai Pati)
Pene Pati, ténor
Amitai Pati, ténor
Amina Edris, soprano
Matthieu Arama, violon solo (Faust)
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux.
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Direction musicale
Emmanuel Villaume
1 CD Warner Classics
Durée : 78′ 46 »
Parution : 20 septembre 2024
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Giacomo Puccini (1858–1924)
Turandot
« Nessun dorma »
Charles Gounod (1818–1893)
Faust
« Salut ! Demeure chaste et pure »
« Et toi, malheureux Faust (…) C’est l’enfer qui t’envoie » (premier enregistrement mondial)
Jules Massenet (1842–1912)
Manon
« Je suis seul ! (…) Ah ! Fuyez, douce image »
Pietro Mascagni (1863–1945)
L’amico Fritz
« Suzel, buon dì! » (Duo des cerises, avec Amina Edris)
Giuseppe Verdi (1813–1901)
Macbeth
« Dove siam? (…) La patria tradita » (duo avec Amitai Pati et choeurs)
Hector Berlioz (1803–1869)
La damnation de Faust
« Nature immense »
Jules Massenet (1842–1912)
Werther
« Traduire ! Ah ! Bien souvent (…) Pourquoi me réveiller »
Gaetano Donizetti (1797–1848)
Dom Sébastien, roi du Portugal
« Seul sur la terre »
Giacomo Puccini (1858–1924)
La Bohème
« Che gelida manina »
Saverio Mercadante (1795–1870)
Il Bravo
« Non sai tu che non avrai più del ciel » (duo, avec Amitai Pati)
Ernest Guiraud (1837-1892)
Frédégonde
« Nous partirons ce soir ! » (duo, avec Amina Edris)
Gaetano Donizetti (1797–1848)
La Favorite
« La maîtresse du roi ! (…) Ange si pur »
Lucia di Lammermoor
« Tombe degli avi miei (…) Fra poco a me ricovero »
Giuseppe Verdi (1813–1901)
Macbeth
« O figli miei! (…) Ah, la paterna mano »
Fromental Halévy (1799–1862)
La Juive
« Tu possèdes, dit-on, un joyau magnifique » (trio, avec Amina Edris et Amitai Pati)
Pene Pati, ténor
Amitai Pati, ténor
Amina Edris, soprano
Matthieu Arama, violon solo (Faust)
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux.
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Direction musicale
Emmanuel Villaume
1 CD Warner Classics
Durée : 78′ 46 »
Parution : 20 septembre 2024
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