Voici une nouveauté à la fois bienvenue et intrigante. Les Odes de Henry Purcell constituent de petits bijoux qui pourraient figurer nettement plus souvent au programme des nouvelles sorties discographiques comme des concerts.
Le coffret Hyperion
A la fin des années ’80, Robert King se lance dans une intégrale des 24 Odes et Chants de bienvenue qui ont survécu dans l’immense corpus que Purcell nous a laissé. En 1992 le dernier volume paraît et Hyperion rassemble le tout dans un coffret de 8 CD, un monument qui atteste de l’incomparable génie du père de la musique britannique. Purcell fut révéré par Britten et Tippett, mais a également influencé un minimaliste comme Michael Nyman, marqué par les nombreux « grounds » ou basses obstinées qui jalonnent la production de l’Orpheus Britannicus. Ce coffret démontrait brillamment que lorsqu’il s’agit défendre l’œuvre vocale de Purcell, les équipes locales s’y entendent mieux que quiconque. Il faut dire que King avait réuni pour son entreprise des talents tels que James Bowman, Michael Chance, Rogers Covey-Crump, Simon Keenlyside ou Mark Padmore.
Le nouvel album Vivat
Après avoir érigé un tel monument, fallait-il que Robert King remette sur le métier un aussi bel ouvrage ? En 2013, il participe à la création du nouveau label britannique Vivat, qui s’affirme participatif et sans but lucratif. Avec Purcell – Royal Odes, King signe déjà sa 11ème participation chez Vivat. La sortie d’un deuxième volume est annoncée, sans que l’on sache si l’ambition est de proposer une nouvelle intégrale. Mais la comparaison entre les deux versions, distantes de 3 décennies, se montre passionnante, car peu d’interprètes ont défendu de manière aussi assidue l’œuvre de Purcell. Et si le coffret Hyperion rassemblait une magnifique phalange de chanteurs, King propose ici une dizaine de voix toutes aussi formidables, issues de la nouvelle génération ou plus expérimentées, comme le ténor Charles Daniels (40 ans de bons et loyaux services aux côtés du King’s Consort) ou la soprano Carolyn Sampson. Parmi les trois odes enregistrées, deux sont dédiées à la Reine Mary, une au Roi James II. Chaque ode propose 11 morceaux en une succession d’air, duo, symphonie ou chœurs.
Why, why are all the Muses mute ? Z343
D’emblée, Purcell surprend en débutant par un air pour ténor, en lieu et place de l’habituelle symphonie : il prend au mot les premières lignes du livret en illustrant le silence des muses. Le remarquable « Britain, thou now art great » montre Purcell au sommet dans l’écriture sur une basse obstinée (ground) en signant un des plus beaux airs pour contre-ténor de tout son répertoire, qui n’en est pourtant pas dépourvu. En 1992, James Bowman donne de cet air une version complètement émouvante, d’une voluptueuse sensualité. Il joue sur toutes les couleurs de son timbre avec une aisance que l’on croyait insurpassable. En 2021, Iestyn Davies relève le défi brillamment, avec une voix légèrement plus féminine dans l’aigu, une plus grande égalité sur toute la tessiture, une ornementation plus riche mais toujours élégante. Le texte est magnifiquement projeté. Autre grand moment , l’air « Accurs’d rebellion reared his head » exige une basse hors du commun, capable de chanter sur plus de deux octaves, descendant jusqu’au ré grave (au diapason « ancien » !). Dans la version Hyperion, Michael George s’en sort impeccablement, mais le jeune Edward Grint (Vivat) impressionne par la clarté de l’émission, la beauté de son timbre et un placement de texte irréprochable. Sa version est plus raffinée et on comprend aisément que Paul Agnew l’engage régulièrement dans Les Arts Florissants.
Now does the glorious day appear Z332
Ici aussi, le gros gâté c’est le contreténor, avec la ritournelle « By beauteous softness ». délicatement posée sur une basse obstinée des plus simples, construite sur deux notes descendantes. Ici la comparaison réussit mieux à James Bowman, même si la version de Iestyn Davies se situe à un niveau superlatif. Bowman s’impose avec une nonchalance teintée de mélancolie tellement purcellienne. Sans en faire trop, il nous bouleverse complètement. Dans le livret Robert King lui rend d’ailleurs un hommage vibrant, le qualifiant « d’un des plus grands chanteurs du XXe siècle ». Il se souvient qu’en 1972, le jeune soprano qu’il était a enregistré du Purcell aux côtés de Bowman et que c’est à ce moment précis qu’il tombe définitivement sous le charme du plus britannique des compositeurs.
Welcome, welcome, glorious morn Z338
L’instrumentation de cette ode s’enrichit de 2 hautbois et deux trompettes qui rehaussent l’aspect festif de cette composition de pleine maturité. Cette fois c’est le ténor qui est mis en avant avec « The mighty Goddess », soutenu par une basse obstinée rythmées de manière saccadée, en contraste avec les mélismes de la mélodie. La soprano est également gratifiée du superbe « My prayers are heard ». Charles Daniels et Carolyn Sampson (version 2021) remportent la palme, par la beauté de leur chant et par leur engagement. Engagement magnifique également des deux basses dans « He to the Field », où les deux voix se marient idéalement.
Réussite convaincante
Dans la comparaison avec le coffret Hyperion, on est frappé par la qualité de le prise de son du nouveau CD. L’acoustique superbe de Fairfield Halls y contribue sans doute largement, tout comme l’expertise de l’équipe technique. Il n’est toutefois pas impossible que les conditions sanitaires strictes qui étaient en vigueur lors de l’enregistrement ont permis de restituer une meilleure spatialisation donnant à chaque partie une limpide clarté, tout en maintenant un équilibre global des plus harmonieux. C’est particulièrement heureux dans la mesure où Robert King travaille avec des voix solistes qui sont associées deux par deux pour chanter les parties chorales : chaque chanteur reste identifiable tout en créant un assemblage exceptionnel, supérieur à l’addition de chaque timbre.
Encore un mot des instrumentistes réunis pour cette nouvelle version : tous sont excellents, parfaitement à la hauteur de l’équipe vocale, avec une mention spéciale pour le continuo, qui bénéficie lui aussi d’une restitution spatiale réussie par les ingénieurs du son.
Pour conclure, voici un répertoire réellement magnifique, et pourtant sous-exploité. Il est ici servi par des interprètes investis, qui maîtrisent Purcell comme personne et ne manqueront pas de vous subjuguer.