En avril 2012, Nicolas Derny, musicologue et membre de la rédaction de Forum Opéra depuis plusieurs années, révélait à bon nombre de nos lecteurs (et à nous aussi par la même occasion) la personnalité fascinante de Vitězslava Kaprálová, compositeur et chef d’orchestre d’origine tchèque foudroyée par la maladie en 1940 à l’âge de 25 ans. D’amoureux et musical, le portrait au fil de ses recherches, est devenu musical et amoureux jusqu’à faire l’objet d’un véritable ouvrage de 180 pages, publié aujourd’hui par Le Jardin d’Essai. L’ordre des adjectifs dans le titre à son importance. Tout en conservant sa trajectoire biographique, Nicolas Derny a agrémenté le parcours de nombreuses étapes musicologiques où il se penche sur les partitions de « l’enjoleuse » – un des nombreux surnoms donné à Vitězslava Kaprálová par ses amis et utilisé à son tour par notre monographe comme preuve de l’intimité qu’il a peu à peu développée avec son sujet. Ces commentaires, si savants et étayés soient-ils, se veulent pas entraver la bonne marche du récit. Quitte, pour renouveler le propos, à passer la parole à Bohuslav Martinů, le mentor et amant de la jeune femme, dont les propos imagés sont pur régal. « J’entends un petit ange chanter » note à propos des Variations sur le carillon de l’église Saint-Etienne, une pièce pour piano composée en février 1938, l’auteur de Juliette et la clé des songes, dont le thème principal, inspiré par sa maîtresse, s’apparente à une déclaration d’amour.
Derrière une vie courte mais riche de rencontres et de volte-face, derrière des partitions souvent vocales – la mélodie est une composante essentielle de l’œuvre de Kaprálová – se dessine d’un trait nerveux rehaussé de couleurs vives une musicienne d’exception dont on comprend la fascination qu’elle a pu exercer sur ses contemporains et qu’elle exerce aujourd’hui encore sur ceux qui se penchent sur son histoire. Au-delà de toute considérations musicales, la modernité de Vitězslava Kaprálová se mesure aussi à sa liberté d’être et de penser à une époque où la femme était moins qu’aujourd’hui considérée comme l’égal de l’homme, En dire davantage serait déflorer un sujet qui s’appréhende aussi comme un roman.
Évidemment, comme à chaque fois que nous traitons d’un livre de nos collaborateurs, notre avis peut être suspecté de complaisance. Afin d’écarter toute accusation de subjectivité, nous nous rangerons à l’argument avancé par Nicolas Derny pour défendre sa cause : les chefs-d’œuvre de Vitězslava Kaprálová parlent pour elle. Il s’agit à présent d’aider le lecteur à en juger sur pièce, en concert de préférence, le disque – moins de dix références en tout et pour tout – restant un pis-aller.
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