Evidemment, il y a au cœur de ce disque le fameux Adagio pour cordes, dans sa version pour chœur a cappella : sans cet Agnus Dei, il manquerait le principal titre de gloire de Samuel Barber, ou du moins ce qui lui vaut d’être passé à la postérité. Ce morceau lancinant, qui dure à peine dix minutes, est à Barber ce que le Boléro est à Ravel, à la différence près que Barber est infiniment moins connu que Ravel, surtout de ce côté-ci de l’Atlantique. La preuve : qui a déjà entendu interpréter en France « Sure on this shining night » ? Cette mélodie, écrite en 1938, fut pourtant l’un des premiers très grands succès publics de Barber : vers la fin des années 1970, quand le compositeur s’installa à New York, il voulut obtenir un numéro de téléphone sans attendre le délai de rigueur, il appela le service des attributions, et l’employée accéda à sa requête à la condition « qu’il lui prouve son identité en fredonnant les premières mesures de Sure on This Shining Night » (voir le livre de Pierre Brévignon). La mélodie inspirée par un poème de James Agee (qui allait ensuite inspirer à Barber un de ses chefs-d’œuvre, Knoxville, Summer of 1915) fut composée en 1938 pour voix soliste et piano, et arrangée pour chœur et piano trente ans après. C’est d’ailleurs l’intérêt de ce disque que de rapprocher des œuvres des deux extrémités de la carrière de Barber, composées jusqu’en 1940 ou à partir 1965, soit bien avant le premier grand succès lyrique de Barber, Vanessa (1958) et après l’échec cuisant de son deuxième opéra, Antony and Cleopatra (1966). Comme passerelle surplombant ce quart-de-siècle, on trouve justement ces deux adaptations tardives d’œuvres de jeunesse que sont l’Agnus Dei et « Sure on This Shining Night ». De la première période datent les pièces que Barber fit interpréter au Madrigal Chorus, dont le Curtis Institute de Philadelphie lui avait confié la création et à la direction en 1939. Au répertoire issu de la Renaissance européenne, le jeune Samuel ajouta en effet ses propres œuvres, comme les deux poèmes de 1935, son opus 8, non sans composer pour ce chœur, par exemple la mélodie « engagée », accompagnée de timbales, qu’est A Stopwatch and an ordnance map, sur un poème évoquant la guerre d’Espagne que lui avait offert Stephen Spender, rencontré à Londres. C’est aussi le Madrigal Chorus qui assura la création du magnifique triptyque intitulé Reincarnations. De la dernière période créatrice de Barber datent le Choral de Pâques sur lequel se conclut le disque, mais aussi les Deux Chœurs Opus 42, et surtout The Lovers, dernière grande œuvre vocale du compositeur, sur des poèmes de Pablo Neruda, dédiée par Barber à son amant et assistant Valentin Herranz. Pour cette magnifique cantate d’un peu plus d’une demi-heure, comme pour le nettement moins mémorable Choral, une transcription pour petit ensemble orchestral a été commandée à Robert Kyr. Au lieu d’une formation de 80 musiciens, quinze instrumentistes suffisent ici, et l’on partage volontiers l’opinion de l’arrangeur pour qui cet effectif plus léger s’accorde mieux au caractère intime des textes. Conduit de main de maître par Craig Hella Johnson, le chœur Company of Voices, qui fait partie de l’ensemble Conspirare, réunit trente-six excellents chanteurs, comme on peut s’en rendre compte dans les passages les plus tendus, où les sopranos conservent douceur et pureté. C’est de leurs rangs que sont issus les quelques voix solistes que l’on entend aussi sur ce disque, ce qui n’est pas forcément une excellente idée en ce qui concerne The Lovers. David Farwig a certes une jolie voix, mais un peu plus de présence dans le grave ne serait pas malvenue, et même si les exigences vocales ne sont pas les mêmes face à un ensemble chambriste et non plus face à un grand orchestre, il faudrait surtout un interprète plus engagé, un baryton plus mordant, qui puisse faire passer toute la densité érotique des trois textes qui sont confiés à lui seul. Malgré tout, cet enregistrement devrait donner des idées aux chefs de chœur à la recherche de pièces modernes (ou du moins récentes) rarement données. |
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Samuel Barber, An American Romantic
“Twelfth nigh”, “To be sung on the water”, Op. 42
“The Virgin martyrs”, “Let down the bars, O death”, Op. 8
Reincarnations, Op. 16
“A stopwatch and an ordnance map”, Op. 15
“Sure on this shining night”, Op. 13, n°3
Agnus Dei, Op. 11
The Lovers, Op. 43
Easter Chorale, Op. 40
David Farwig, baryton
Matt Tresler, Derek Chester, tenors
Estelí Gomez, soprano
Ensemble vocal Conspirare/Company of Voices
Direction musicale
Craig Hella Johnson
Enregistré au Sauder Concert Hall, Goshen College, Indiana, en septembre 2011
1 CD Harmonia Mundi USA HMU 807522 – 79’44
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