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Cinq questions à Michael Fabiano

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Interview
6 avril 2015

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A 30 ans (31, le 8 mai prochain), Michael Fabiano fait déjà partie des ténors que l’on s’arrache. Pas plus tard que la semaine dernière, le Metropolitan Opera le débusquait à son domicile, à Philadelphie, pour lui demander de remplacer six heures avant le début de la représentation le chanteur défaillant dans Lucia di Lammermoor. Après Faust à Sydney puis Paris, il ouvrira fin mai l’édition 2015 du Festival de Glyndebourne dans le rôle-titre de Poliuto (plus d’informations).


Vous avez toujours su que vous seriez ténor ?

Non, je n’ai pas toujours été convaincu d’être ténor, ni même chanteur d’opéra. Quand j’avais 20 ans, je voulais travailler dans l’industrie automobile ou l’aéronautique. Telle était mon intention et j’ai entrepris des études à l’université dans cet objectif. Aux Etats-Unis, on nous encourage à avoir des activités extra-scolaires ; j’ai donc commencé à étudier le chant. J’ai été ténor dès le début – je ne me suis d’ailleurs jamais demandé si j’étais ténor ou non – mais je ne me rendais pas compte que j’avais une voix d’une qualité supérieure à la moyenne. C’est après avoir discuté avec mon premier professeur de chant, George Shirley, que j’ai réalisé que je pouvais envisager une carrière de chanteur d’opéra. Et parce que j’ai une forme d’esprit très stratégique que je suis très orienté vers l’action, j’ai choisi de prendre cette direction.

Votre répertoire compte autant d’opéras de Donizetti que de Verdi. Des deux compositeurs, lequel a votre préférence ?

J’ai une nette préférence pour Verdi et je vais chanter de plus en plus d’opéras de Verdi dans les années à venir. Je l’aime parce qu’il me touche là (Michael Fabiano montre son cœur), plus que Donizetti. Il y a quelque chose de plus animal dans la musique de Verdi comparée à celle de Donizetti qui, elle, me semble plus propre, plus limpide. Il peut y avoir du feu, des émotions chez Donizetti mais je pense que Verdi est un cran au-dessus. J’aime Verdi. Il n’y a que peu d’opéras de Verdi que je n’aime pas. En ce moment, j’étudie La battaglia di Legnano. Cela m’intéresse, je ne sais pas pourquoi je l’étudie mais c’est intéressant. J’aime étudier. Etudier est très important. Etudier m’aide à garder l’esprit en éveil. Cela dit, les premiers opéras auxquels je me suis intéressé étaient des opéras de Donizetti : Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux. Je me souviens, quand j’avais 18 ou 19 ans, je suis allé dans la bibliothèque de l’université, je me suis dirigé tout droit vers le rayon des partitions d’opéra et j’ai choisi Anna Bolena et j’ai étudié Anna Bolena que je n’ai jamais chantée et que je ne chanterai jamais mais j’aime cette partition et je la connais. Quand j’écoute les opéras de Verdi, spécialement les opéras de jeunesse, j’entends Donizetti plus que Bellini ou Rossini.  Si vous écoutez Rigoletto après Lucrezia Borgia, par exemple, vous réalisez que ce sont des œuvres sœurs, ne serait-ce que par la manière dont elles sonnent. Un amateur occasionnel d’opéra aura d’ailleurs du mal à faire la différence entre Verdi et Donizetti. Mais Verdi est plus instinctif que Donizetti et cela me touche personnellement. J’ai étudié Maria di Rohan, La favorita… Ces partitions m’inspirent pour chanter celles de Verdi, parce que je pense que pour chanter Verdi, il faut aussi une belle ligne de bel canto, comme pour Donizetti.

A propos de Donizetti et de Poliuto que vous allez prochainement interpréter à Glyndebourne, redoutez-vous la comparaison avec Franco Corelli ?

Non. Absolument pas. Déjà Poliuto tel qu’il a été interprété à La Scala par Franco Corelli et Maria Callas il y a 55 ans, était un pastiche des Martyrs et de Poliuto. A Glyndebourne, nous allons interpréter la partition originale, sans l’ouverture qui a été écrite pour Les Martyrs à l’Opéra de Paris. Il y a beaucoup de passages vocaux entièrement différents entre les deux versions, et beaucoup de coupures. Beaucoup, beaucoup… Certaines sont bienvenues, d’autres desservent la musique. Après, je pense que Corelli est une source d’inspiration comme ténor, pour moi en tant que jeune ténor. Sa liberté m’inspire. Quand la voix s’envole vers les notes les plus hautes, on peut se dire qu’il est libre, que son esprit est libre alors que chez beaucoup de chanteurs, on sent le calcul. Je n’ai pas cette impression avec Corelli. Cette liberté dans le chant, unique, est une source d’inspiration pour la plupart des ténors, si ce n’est tous. Mais quand je découvre un opéra par moi-même, comme Poliuto, je le fais à ma manière et non pas à la manière de quelqu’un d’autre.

Interprétez-vous le rôle de Faust de la même manière à Paris qu’à Sydney ?

Les productions sont différentes. A Sydney, Faust était un homme très âgé, très en colère, vraiment déterminé à mourir, sans y parvenir. La différence entre le premier acte où il est vieux et la suite où il devient jeune, était très claire. A Paris, la proposition est plus ouverte. Je dois veiller à ce que le public fasse la différence entre les vingt premières minutes et le reste de l’opéra, entre le vieux et le jeune Faust. Après, la manière de chanter le rôle reste la même en veillant à ce que chaque mot soit compréhensible pour le public, qu’il parle français ou non. Il n’y a pas de différence de qualité musicale dans mon interprétation d’une ville à l’autre. Elle est la même, elle doit être la même. Autrement, je ne remplis pas mon devoir vis-à-vis de la musique. Evidemment, chanter Faust à Paris est unique. L’orchestre et les musiciens ici connaissent intimement cette musique mais la pression reste la même, avec peut-être une vigilance accrue sur ma prononciation et ma diction, parce qu’il est de ma responsabilité vis-à-vis du public de faire du mieux que je peux. J’aime chanter en français. Pour moi, le français est la meilleure langue pour chanter, la plus évidente pour ma voix. Les voyelles sonnent bien, surtout dans la zone de passage. J’aime aussi chanter en italien mais il y a quelque chose de spécial dans le français, dans l’articulation de la langue qui fonctionne avec ma gorge. Je ne peux pas expliquer pourquoi mais ça fonctionne.

A 30 ans, vous chantez déjà sur les plus grandes scènes lyriques du monde entier. Que peut-il vous rester à accomplir ?

Encore pas mal de choses ! Je veux interpréter la plupart des partitions de Verdi dans les dix années à venir. Je voudrais aussi, dans les dix années à venir, ajouter à mon répertoire la plupart des grands rôles de Massenet. Pas seulement Werther et des Grieux mais aussi Le Cid, Roland dans Esclarmonde… Mon ambition n’est pas seulement tournée vers le chant ; elle est aussi d’influer sur la manière dont est considéré l’opéra dans notre société. Je pense que nous vivons une période de transition très importante. Les médias sont différents de ce qu’ils étaient, il y a dix ans, il y a cinq ans. L’industrie du disque est en pleine transformation. Le regard que nous portons sur les œuvres est différent. Les artistes sont moins considérés à mon avis qu’ils ne l’étaient il y a vingt ans. On accorde plus d’importance au visuel. Je voudrais rappeler que sans chanteurs d’opéra, il n’y aurait pas d’opéra. Nous, en tant qu’artistes, devons le rappeler, rappeler qu’à l’opéra la musique est la première, le chant est le premier. Je veux intervenir dans cette discussion autour de l’opéra, de toutes mes forces. De plus en plus, le public prend l’habitude d’écouter la musique gratuitement. Je pense qu’il y a quelque chose de particulier dans le fait de posséder de la musique et nous devons enseigner aux générations les plus jeunes que posséder un disque est quelque chose de spécial et d’unique. La musique doit être possédée et ne pas être seulement gratuite. Les artistes engagent leur vie, leur sang, leur souffle pour travailler et étudier constamment, des heures et des heures, chaque jour. Voir ensuite leurs enregistrements en ligne, piratés gratuitement, les décourage et dessert l’industrie artistique. Nous ne devons pas avoir peur d’en parler. Beaucoup de mes collègues ont peur d’en parler. Assez… Assez… Nous devons arrêter cela et nous devons l’arrêter en devenant des modèles pour les jeunes. Des chanteurs d’opéra, comme Jonas Kaufmann par exemple, peuvent être des modèles merveilleux pour des jeunes, leur donner envie d’être artistes eux-mêmes un jour. Il faut promouvoir ces chanteurs comme modèles. Parce que si les jeunes les prennent pour modèle, ils achèteront leurs disques, ils achèteront des places pour aller au concert… Et moi, en tant qu’artiste, il est de ma responsabilité de faire passer ce message. Voilà ce qu’il me reste à accomplir. Parler très fort de l’importance de valoriser plus les artistes que nous le faisons aujourd’hui et de valoriser plus les jeunes que nous le faisons aujourd’hui. Après tout, si les gens n’ont pas de musique, si nous arrêtons de faire de la musique, dans la rue, à la radio, dans mon smartphone, si nous fermons les opéras, croyez-moi, nous deviendrons fous. Nous réaliserons alors que la musique est fondamentale pour la vie, pour notre existence. Elle est essentielle, elle est une forme de communication naturelle entre les gens. Même s’ils ne parlent pas la même langue, la musique relie les gens. Ce message doit être asséné chaque jour, par des artistes comme moi. On me posait une question dernièrement sur la transformation de notre métier. Je pense que si nous mettons en scène quelque chose qui n’a pas de sens et que les gens doivent lire dans le programme cinquante pages de notes expliquant ce qu’il y a voir sur la scène, nous rendons un mauvais service au public et nous ne les incitons pas à revenir à l’opéra. Mais si sur scène, la production est élégante, spectaculaire, colorée, vibrante, excitante avec des voix merveilleuses, les gens reviendront. Les productions doivent servir les chanteurs et non l’inverse, parce que sans chanteurs, il n’y aurait pas d’opéras. Il ne faut surtout pas l’oublier.

Propos recueillis et traduits de l’anglais le 27 mars 215

 

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