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Est-ce donc la fin ?

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Edito
6 octobre 2014

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Tout finira-t-il donc là où tout a commencé ?

La doctrine académique place à Florence la naissance de l’opéra, mais l’efflorescence du genre se situe en réalité à la fois à Florence, Rome et Mantoue. A Florence, le Mai Musical va de difficulté en difficulté. Le Teatro Sociale de Mantoue n’est depuis longtemps plus qu’une ombre au pays des fantômes. Et voici que l’Opéra de Rome sombre sous nos yeux, à pic, sans même la grâce lente d’un Titanic lyrique. Il n’est guère heureux de vivre un temps où sous nos yeux s’effondrent les piliers d’un genre artistique quatre fois centenaire.

Et pourtant, ce ne fut pas faute de hurler au loup. Depuis trente ans que la disparition des troupes, la dissolution de l’identité des théâtres, la mainmise des potentats locaux, l’exaltation froide pour la « contemporanéisation » du genre, la fringale démagogique pour les « musiques d’aujourd’hui » incluant en leur sein subventionneur aussi bien les expérimentations électroniques que la pratique du djembé, tant la variétoche bas du front que les expressions socialement adoubées de toutes sortes d’amateurs plaçant leur talent dans l’autopromotion, oui depuis trente ans qu’on dit que tout cela va finir par briser le fil tendu et prudemment déroulé depuis quatre siècles, nous y sommes.

Car un théâtre qui se vide de ses forces comme un cochon qu’on égorge de son sang , ce n’est pas seulement un changement de configuration contractuelle, ni un plan d’économie rationnel, ni bien sûr une solution économique efficiente à une situation compromise. C’est d’abord l’évacuation immédiate de tout ce qui tenait encore ensemble une semblant de tradition, un paysage artistique, c’est l’annulation d’un lieu et d’un esprit, c’est la vaporisation brutale d’un édifice qu’on croyait fait pour durer mais qui, savamment dynamité, s’effondre et ne laisse rien qu’un peu de poussière.

Ne nous y trompons pas. Le Metropolitan ne pouvait pas fermer : il est « too big to fail ». L’Opéra de Paris reste une institution forte. Le Teatro Real n’est pas condamné… Mais si tous sont saufs, aucun n’est immunisé. Là est la grande leçon : il n’y a plus d’institution suffisamment importante pour être considérée comme un sanctuaire. Ni les Etats ni les mécènes ne sont plus assez profondément convaincus de la nécessité pour une grande ville dans un grand pays de disposer d’une grande salle d’opéra pour que de prochaines avanies ne viennent faire vaciller tel ou tel théâtre. La disparition partielle ou totale de ces établissements n’est plus un fantasme. C’est une réalité, et même plus : une option.

Pour durer, les théâtres vont désormais devoir prouver à quel point ils sont politiquement fondés. Pour cela, quelques leviers évidents.

D’abord, il faut entrer de plain-pied dans l’ère numérique. Voilà un gage de modernité qui satisfait les pourvoyeurs de fonds. Ne plus s’éclairer à la bougie est un signe de docilité politique. Cela n’est pas difficile : le streaming, la production de contenus numériques, le multimédia sont déjà assez largement acclimatés. Mais si l’opéra 2.0 existe qu’en est-il du 3.0 ? Dans ce domaine, l’imagination n’est pas encore assez fertile.

Ensuite, il convient de faire beaucoup pour l’art contemporain. De là le déluge qui ne cessera de s’accentuer de conceptions censément modernisantes. Un doute toutefois s’impose ici : cette course à la modernité sera toujours battue en brèche par d’autres types d’expression. Déjà, nous sommes au bout du Regietheater. Une vraie aporie se manifeste : où trouver de nouvelles ressources esthétiques de modernité visible ? Le monde du cinéma devrait fournir ce qu’un temps le monde du théâtre a fourni : des metteurs en scène, des idées visuelles neuves. Nous n’en sommes qu’au début. Ce n’est pas facile, mais il est important plus que jamais que l’opéra soit un carrefour des arts, sous peine de perdre sa légitimité politique.

Enfin, dernier levier évident : les jeunes. Il faut les séduire, les attraper, par tous les moyens. Ces moyens restent amplement à inventer. Les versions simplifiées, les classes invitées au spectacle, les opérations dans les quartiers, la pédagogie à portée des bambins, tout cela représente un travail colossal mais artisanal. Le numérique reste alors un relais sûr pour démultiplier les initiatives – mais là encore, le déploiement est complexe.

Au cœur de tout cela, il faut encore dépenser des fortunes pour inviter les meilleurs gosiers et les baguettes les plus vaillantes – mais le politique et les mécènes donnent-ils vraiment la priorité à cette dimension ? On peut se le demander. La capacité des théâtres à assumer une mission de rayonnement social et sociétal semble aujourd’hui prendre le dessus. C’est évidemment quelque chose que l’Opéra de Rome a complètement échoué à faire. Le saborder ne pose donc aucun problème politique.

Nous vivons un temps de bascule. La force des théâtres s’affaiblit tendanciellement. Ils doivent à la fois trouver la meilleure façon de survivre dans un univers qui a globalement cessé de leur vouloir du bien et de les respecter, tout en consacrant toutes leurs forces à  inventer leur futur proche, très proche.

Le défi certes sera intéressant, mais une chose est certaine : l’Opéra tel que nous l’avons connu depuis le dix-neuvième siècle et dont les codes avaient gardé une sorte de magie a cessé de vivre. Nous n’en voyons plus que l’image projetée, la lueur pâlissante. Nous en fascinent encore la douceur et la complexe alchimie, mais c’est parce que nous sommes des esthètes, des historiens et des idéalistes. Non, le ver n’est pas dans le fruit : le fruit déjà est mité et réduit à son trognon. Autre chose va naître, qui ne sera sans doute pas ce que nous avons aimé et qui fit de nous des passionnés – mais que peut-être nous aimerons quand même.

Lorsque ce futur sera advenu – et il adviendra bientôt -, nous nous retrouverons le dimanche pour parler du passé comme ces amateurs coiffés d’une casquette de cuir et de lourdes lunettes se faisant mutuellement admirer des Bugatti, des Delahaye ou des Hispano Suiza amoureusement briquées dans le secret de leur garage et produisant un ronronnement chéri des seuls connaisseurs, prêts à toutes les folies pour jouir encore des merveilles périmées par la modernité galopante et cependant à jamais irremplacées.

Mais dites Tebaldi ou Bergonzi à la place de Bugatti : ne sommes-nous pas déjà ces amateurs ?

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