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L’âge d’or, c’est maintenant !

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Edito
3 octobre 2022
L’âge d’or, c’est maintenant !

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A l’automne d’une longue année électorale, d’aucuns pourraient se sentir fatigués qu’on leur parle encore de sondages. On en trouve pourtant de très divertissants. Celui réalisé en 2014 par la maison de production canadienne Scared Goose, par exemple : 550 représentants parmi les plus lumineux de la pop culture (Robert De Niro, Justin Bieber, Katy Perry, Sylvester Stallone, Lady Gaga notamment) avaient été priés de dire s’ils préféraient Paul McCartney ou John Lennon. Quelques malicieux ont bien tenté d’esquiver en favorisant, taquins, les autres Beatles, Ringo Starr et George Harrison. Mais le gros des troupes a joué le jeu, pour un résultat final offrant à John Lennon une franche victoire, avec la préférence de 59% des participants. Avant de détailler les mérites comparés des membres de ce tandem de légende, une pensée fuse, fatalement : Lennon est peut-être devant parce qu’il a, sur McCartney, l’avantage d’être mort. Si un panel de 550 critiques musicaux, instrumentistes, chanteurs, devait trouver le nom de la plus grande soprano de l’Histoire, quelles seraient les chances des meilleures artistes en activité face aux mythes depuis longtemps disparus ? Un curieux biais cognitif ne tendrait-il pas à nous faire préférer les idoles que nous ne reverrons pas et qui nous manquent d’autant plus cruellement ? Cette malédiction ne frapperait-elle pas surtout les mélomanes ?

Les amateurs de sport n’ont pas tant de complexes, semble-t-il. Aucun d’entre eux ne se ferait agonir d’injures en affirmant que Nadal et Federer sont les plus grands tennismen de tous les temps, snobant au passage les souvenirs de Borg, de Sampras ou d’Agassi. Et si vous prétendez que Messi joue au football mieux que personne devant un nostalgique de Pelé, vous susciterez éventuellement son indignation ; pas son mépris, encore moins ses doutes sur votre culture du ballon rond ou vos capacités mentales.

Mais les amoureux de ce que l’on peut appeler la musique savante se rêvent volontiers en pourfendeurs du nivellement et en ennemis du « tout se vaut ». Eclairés et intransigeants, ils sont de ceux à qui on ne la fait pas : ils débusquent sans faillir les fausses valeurs, eux qui se sont éduqués sans relâche à l’écoute des plus grands. Ils n’ont pas tort d’en tirer quelque fierté : c’est vrai que l’opéra est un art de transmission et de tradition, où il convient d’apprendre avant de prétendre révolutionner, d’être discipliné avant de se rebeller, de transmettre l’Histoire au lieu de l’ignorer.

Mais il serait un peu léger d’ignorer que cette Histoire repose trop souvent sur des recherches archéologiques superficielles, c’est-à-dire, grosso modo, la discographie allant des années 50 au début des années 70. En l’espace de deux décennies, les planètes s’étaient, il faut le dire, merveilleusement alignées : aux progrès des conditions d’enregistrement, avec le développement de la stéréophonie, s’étaient ajoutés l’accès plus simple et moins onéreux au matériel d’écoute et la vista entrepreneuriale de quelques hommes d’affaires avisés (Walter Legge au premier rang). Comme on vendait beaucoup, on enregistrait beaucoup, et on enregistrait tout, l’ensemble du grand répertoire devait être documenté. On conviait les plus grands chanteurs de l’époque à immortaliser leurs voix dans des intégrales souvent pionnières, pour peu qu’on n’ait pas la mauvaise foi de les comparer aux tentatives antérieures souvent diffusées de façon confidentielle et plombées par des qualités acoustiques médiocres. Dès lors, ces disques sont devenus des références. Qui n’a pas découvert Mozart avec Schwarzkopf, Siepi, Della Casa ? Wagner avec Nilsson et Windgassen ? Verdi avec Callas, Corelli, Bergonzi, Bastianini ? Personne ne contesterait qu’il s’agit là d’artistes exceptionnels – et d’excellents modèles, en effet, pour qui veut se familiariser avec le répertoire. Mais faut-il adhérer plus longtemps à ce mythe voulant qu’il y ait eu, justement à l’époque où l’on enregistrait massivement, pléthore d’artistes exceptionnels et puis, plus rien ou presque ? Si Tito Gobbi, Leonie Rysanek, Renata Tebaldi ou Hans Hotter étaient aujourd’hui sur nos scènes, dans la force de l’âge, quelles réserves chagrines n’émettrions-nous pas sur leur art suprême, comme ne se privaient pas de le faire les malheureux critiques de l’époque, inconscients de vivre un âge d’or ? Si Lise Davidsen avait enregistré Sieglinde avec Karl Böhm en 1967, si Samuel Hasselhorn était né la même année que Fischer-Dieskau, si le Faust de Benjamin Bernheim avait été contemporain de celui de Jussi Björling, aurions-nous moins de complexes à les encenser ? Si Karine Deshayes, qui nous accorde un passionnant entretien ces jours-ci, avait participé aux intégrales rossiniennes de Claudio Abbado, n’aurions-nous pas fait de sa Rosina l’impitoyable mètre-étalon auquel toutes ses héritières seraient encore comparées ?  

Alors, ami lecteur, si une voix fait vibrer votre âme, si un timbre enchante vos oreilles, si vous voyez dans un chanteur le meilleur ambassadeur d’un répertoire ou d’un rôle, surtout, dites-le ! Dites-le sans regarder sa date de naissance et sans la crainte d’être jugé, sans la peur d’être isolé, sans l’appréhension d’être moqué. Dites-le car, au fond, vous n’avez qu’une chose à redouter : qu’en apprenant le retrait ou la disparition de cet artiste, vous vous disiez alors, le cœur lourd de regrets : « si j’avais su que je l’aimais autant, je l’aurais aimé davantage ». Dites-le donc et, surtout, écoutez Karine Deshayes !

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