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Le désert gagne

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Edito
1 juillet 2014

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Nous vivons donc dans un pays où il est possible à un obscur fonctionnaire d’écrire noir sur blanc dans le cahier des charges de la salle Pleyel : « la programmation ainsi définie exclut tout concert ou spectacle de musique classique quel (sic) qu’en soit la forme (concert symphonique, récital, musique de chambre, opéra, etc.) y compris dans le cadre de manifestations à vocation commerciale ou de manifestations à vocation non-commerciale (mécénat, soirée de bienfaisance, etc.) ». Nous vivons dans un pays où il est permis de justifier ce bannissement culturel par une saine politique de concurrence, alors qu’il appartient aux réflexes des dictatures d’Etat. Et dans ce pays, quatre ou cinq voix se sont élevées pour s’en indigner. Pour le reste : silence.

Nous vivons dans un pays où il est possible de suspendre le directeur musical amplement reconnu d’un opéra de province sous prétexte d’une gabegie financière où sa responsabilité n’est ni prouvée ni encore passée devant la justice, et de livrer ce directeur musical, Laurent Campellone, et d’autres membres de l’équipe de direction à la vindicte publique par voie de presse.  Et devant cela, personne ne bronche.

Nous vivons dans un pays où il est possible qu’un gouvernement réforme un régime d’indemnisation, celui des intermittents du spectacle, sans en référer aux représentants de ce régime, et s’étonne de les mettre dans la rue au moment où les festivals commencent, avec l’immense gâchis artistique et humain que cela représente. Dans ce pays, on peut entendre certaines voix demander qu’on ne « subventionne pas des artistes qui n’ont pas de succès », comme si le succès était la fin première de l’art, et alors même qu’à coups de milliards on finance des entreprises qui n’ont pas de succès, des plans d’urbanisme qui n’ont pas de succès, des systèmes de santé ou d’éducation qui n’ont pas de succès. Mais cela, personne ne le remarque.

Mais dans ce même pays il est possible que les intermittents fassent corps derrière un régime qui agrège des réalités d’une diversité vertigineuse et dont le seul mérite est d’apparaître comme un pis-aller encore acceptable à ceux qui en bénéficient alors qu’il est l’aubaine des uns et le malheur des autres. Et de cela, il est interdit de parler. 

Nous vivons dans un pays où, selon une enquête de Mediapart, le directeur nouvellement nommé de la première institution lyrique française aurait licencié son prédécesseur à coup de centaines de milliers d’euros, modifié sa programmation à coup de centaines de milliers d’euros, viré son équipe à coup de centaines de milliers d’euros au gré d’un spoil system opaque, et prétendrait à une rémunération de plusieurs centaines de milliers d’euros, mais fonderait une partie de ses projets sur le financement privé, tant est pauvre le monde culturel. Mais cela, personne n’y fait attention.

Nous vivons dans un pays où le directeur d’un des plus grands opéras de province peut décider que l’herbe est plus verte ailleurs, s’en aller en plantant là municipalité, équipes, partenaires, puis s’étant fait virer de son point d’arrivée, retrouver benoîtement son siège encore chaud, alors même que les soupirs de soulagement poussés par les équipes à son départ résonnent encore dans les couloirs. Et autorités publiques d’applaudir. Mais cela, tout le monde s’en moque.

Nous vivons dans un pays où le grand spectacle musical monté par un journaliste-producteur, Alain Duault, avec détermination et ténacité dans un des plus beaux lieux du spectacle en France, le théâtre d’Orange, est programmé un soir d’été… face au match de l’équipe de France. Qu’il ait réussi un joli score d’audimat ne fait sourciller personne. La prochaine fois, on trouvera pire encore.

Nous vivons dans un pays où la première radio publique de France consacrée à la musique définit sa nouvelle politique d’antenne à coups de charrettes de producteurs aguerris auxquels on n’aura demandé ni nouveau projet ni nouveau format, mais juste de déguerpir, et où l’on trouve pertinent d’opposer musique et musicologie dans un monde radiophonique où l’un comme l’autre sont pourtant des espèces rares et menacées – justifiant l’inutile brutalité des méthodes et des propos par le sauvetage d’une maison censément en feu. Mais, n’est-ce pas, on connaît la rengaine et l’on est prié de n’en point faire un fromage.

Nous vivons dans un pays où des centaines de millions d’euros ont fait émerger une institution, la Philharmonie de Paris, si certaine de son autorité et de sa légitimité que son premier geste aura été d’égorger la salle Pleyel (on ne sait jamais), et dont la première saison livrée à nos hourras apparaît simplement normale et conventionnelle n’était le saupoudrage de bonne conscience culturelle qui nous vaut maint zakouski pédagogique ou transculturel. Mais évidemment, tout le monde trouve cela normal.

Nous vivons dans un pays où cette gabegie et cet irrespect généralisés, cet amateurisme doré sur tranche, n’intéressent personne et ne font l’objet d’aucune remontrance, sinon de la part de quelques observateurs sans influence, et à fleuret moucheté. Pourtant, dans ce même pays, des festivals disparaissent faute de moyens, à commencer par celui de Strasbourg. Des écoles de musique ferment. Des zones entières n’entendent plus une seule note de musique classique tant orchestres et formations musicales réduisent leur voilure. Dans l’immense désordre de la politique musicale en France, dans ce luxe dispendieux qui se pare des oripeaux de l’intérêt général pour mieux capter la subvention publique, on ne prête pas garde à la déculturation galopante.

Alors oui, on peut parler de ces entrepreneurs qui quittent la France par crainte des taxes punitives et des réglementations obèses. Mais qu’on se rassure, ceux qui restent et qui font tourner une partie de la machine sont tout aussi efficaces pour organiser la transformation de notre pays en un bout de désert où liberté culturelle et liberté de parole auront été mis au même régime : sec.

Mais cela, il n’est pas permis de le dire, n’est-ce pas ?

 

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