Forum Opéra

Les derniers Prométhée

Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Edito
8 novembre 2012

Infos sur l’œuvre

Détails

 

Et voilà, Forum Opéra a entamé l’année Wagner-Verdi, ou Verdi-Wagner, avec un premier épisode consacré à la noble voix de baryton. Toutes les publications musicales se livreront au cours de l’année à venir au même exercice. Tant mieux. Mais arrêtons-nous un moment. Pourquoi, deux cents ans après leur naissance, et plus de cent ans après leur mort, Verdi et Wagner restent-ils les deux phares de l’art lyrique ? Qu’ont-ils donc qui retient si durablement l’attention ?

Certes, ils furent en leur temps des phénomènes musicaux, acclamés ou honnis. Certes, ils offrent à l’amateur d’art lyrique un éventail d’émotions musicales qui n’a que peu d’équivalents. Et puis, ils font rêver les chanteurs. Quel ténor n’a pas rêvé d’entrer sur scène à dos de cygne ou de la quitter sur un char tiré par des éléphants ? Quelle soprano n’a pas rêvé de périr dans les flammes ou sous trois mètres de sable ? Quel baryton n’a pas rêvé de noyer malencontreusement sa propre fille ou de se languir sur son lit de souffrance pendant trois heures en tenant sa plaie au flanc ? Les personnages verdiens et wagnériens sont d’immenses habits qu’il y a plusieurs manières d’endosser, et que tout chanteur espère un jour porter, parce qu’ils sont plus grands que lui. Mais il y a sans doute autre chose.

En Verdi comme en Wagner s’est rencontré le double souci artiste que la modernité semble avoir congédié, et en quelque sorte périmé : celui d’inventer et de durer tout à la fois. Chez Verdi comme chez Wagner, la musique puisait loin ses racines dans la tradition, mais il n’est pas un seul de leurs opéras qui, comparé au précédent, ne soit un fait nouveau dans l’histoire de la musique. Et cependant, jamais Wagner ni Verdi n’ont considéré que la nouveauté du langage impliquait qu’on rompe avec la tradition – ni même avec le public. Toutes les forces contraires qui s’exercent sur l’artiste, et singulièrement sur ce genre si particulier d’artiste qu’est le compositeur d’opéra, ils les ont subies, portées, affrontées avec un courage créateur, une audace, une endurance au travail qui sont le secret de leur postérité. Il leur eût été facile de continuer : pour l’un, Donizetti ; pour l’autre, Weber. Mais ils voulurent devenir eux-mêmes, au mépris de la misère et de l’impopularité, mais sans jamais quitter le fol espoir d’imposer leur marque, et de marquer leur temps.

Dans le domaine de l’opéra, ils furent, à cet égard, les deux derniers artistes réellement visionnaires ; les deux derniers à pouvoir se hisser au-dessus des contingences d’un genre où tout semblait avoir été dit, pour faire brûler une flamme neuve. Si nous fêtons avec éclat leur deux-centième anniversaire, ce n’est pas parce qu’ils furent les plus grands compositeurs d’opéra de tous les temps. A Verdi ou Wagner, on est en droit de préférer Puccini, Donizetti, Weber, Rossini, Moussorgski, Mozart ou Massenet. Après tout, ils sont souvent plus subtils, plus chantants. Il y a chez Wagner comme chez Verdi une dureté esthétique, quelque chose de minéral, qui peut détourner parfois. Mais ce que chez eux nous fêtons, c’est l’avènement concomitant de deux hommes qui purent satisfaire aux codes d’un genre si conventionnel tout en les dépassant radicalement ; c’est l’émergence de deux génies qui offrirent à l’opéra deux siècles de vie supplémentaire simplement parce qu’ils lui offrirent jusqu’à leur dernière goutte de sang. Ce que nous fêtons, ce sont les deux derniers Prométhée de l’art lyrique.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Infos sur l’œuvre

Détails

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Une merveille !
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Le 25 mai 2023, l’Opéra national de Paris annonçait la démission de Gustavo Dudamel de ses fonctions de directeur musical. Alors qu’un successeur est toujours recherché, nous nous sommes permis cette question un brin iconoclaste : à quoi peut bien servir un directeur musical ?
Edito
Sur le modèle des Vies parallèles à la Plutarque, Sylvain Fort rêve une rencontre entre deux artistes nés le même jour : Dietrich Fischer-Dieskau et Jean d’Ormesson. S’ils s’étaient rencontrés, l’un (qui parlait français) aurait trouvé l’autre d’abord un peu trop léger et pétillant pour être sérieux ; l’autre (qui parlait allemand) aurait trouvé le premier un peu trop grave pour être intéressant. Puis la conversation se serait établie.
Edito
Bien avant l’annonce d’une coupe sans précédent dans le budget de la culture par la Présidente de la Région Pays de Loire, de fortes inquiétudes se faisaient entendre dans le milieu des artistes quant à leur possible disparition. Vivrait-on la fin de l’exception culturelle française ?
Edito
Giacomo Puccini est mort il y a 100 ans ce 29 novembre… A quoi pouvait-il penser lorsque, trois semaines auparavant, il s’apprête à partir pour Bruxelles ?
Edito