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Oh, baby, baby, it’s a wild world

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Edito
1 septembre 2013

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Ces dernières semaines ont été fertiles en bouleversements sur la petite planète Musique Classique. Premier choc, la disparition du label EMI. Le plus philosophes (et lettrés) vous diront que les labels vont et viennent : Pathé-Marconi ou Electrola dorment au cimetière des éléphants. L’important est moins le fétichisme du nom que le fonds de catalogue, disent les autres. Mais un label qui disparaît, ce sont aussi des équipes qu’on licencie, des savoir-faire qui s’évanouissent. C’est une culture-maison qui se trouve engloutie. Espérons que la substance en sera préservée, si tant est qu’elle avait survécu aux secousses qui ont successivement affecté cette grande maison. Plus que jamais, le métier d’éditeur discographique se réfugie chez les petits labels ; eux aussi tirent la langue ; et les stars du circuit (lyrique ou non) hésitent à confier leur sort discographique à des marques de moindre notoriété. La vie est dure, et en plus elle est courte.

Les stars, justement, ont fait parler d’elles. S’emparant de l’étendard de la contestation, la mezzo Elisabeth Kulman a cherché des noises à Alexander Pereira, patron de Salzbourg. Temps de répétitions limité et contraint, représentations calées trop tôt, désagréments de toute sorte pour des artistes résistants mais point invulnérables, tout y est passé, et Pereira a répondu par un mélange d’embarras, d’indifférence et d’arrogance. Elisabeth Kulman a mobilisé les médias en plein mois d’août, s’est allié des collègues prestigieux lors de causeries enflammées. Bravo. C’est vrai, les conditions de travail des artistes lyriques sont précaires. C’est vrai, même les plus fameux d’entre eux ont à en souffrir – c’est dire ce qui attend les sans-grade. C’est vrai, les clauses contractuelles sont souvent exorbitantes. C’est vrai, on demande aux chanteurs d’être constamment au meilleur de leur forme dans un monde où tout est fait pour les fatiguer, les contrarier, les désarçonner. Oui, l’opéra est un monde dur, parfois cruel ; le talent ne suffit pas pour s’imposer, ni pour s’y maintenir ; il faut une dose de quant-à-soi au-dessus de la moyenne. Le narcissisme tant moqué du chanteur ou de la chanteuse d’opéra est une condition de leur survie. Faut-il attendrir le système ? L’humaniser ? Peut-être. Mais ce serait se méprendre sur la nature profonde de l’univers lyrique. L’opéra reste avant tout un formidable consommateur de stars et une étonnante machine à les produire. Le Don Carlo de Salzbourg a réuni un cast qui a ébloui : cela suffit au bonheur du public. Les metteurs en scène n’auront jamais, quoi qu’ils en aient, le prestige du divo ou de la diva. Mettez Harteros et Kaufmann ensemble sur une scène, et vous raflez la mise, comme jadis nous eûmes Freni et Pavarotti, Del Monaco et Tebaldi. Hé oui, le monde lyrique n’est pas un univers professionnel comme les autres. C’est un univers de compétition forcenée et, comme toujours, « the winner takes all ». A bien des égards, il faut être Jonas Kaufmann ou rien. Ne pas être sur le podium, c’est s’exposer à la frustration et à l’amertume.

Le public, monstre froid, Moloch Baal aveugle, sacrifie le menu fretin sur l’autel de sa voracité ingrate et se soumet déraisonnablement à des demi-dieux provisoires. Le système Opéra n’est pas pyramidal : il est aristocratique. Nuance. La faiblesse est massacrée ; la force est vénérée. Vouloir y mettre de l’équité ou du « fair play » (Art but fair est le slogan d’Elisabeth Kulman), c’est bien ; mais autant demander à Usain Bolt d’attendre ses compétiteurs afin qu’ils franchissent en même temps la ligne d’arrivée. Les enjeux sont de notoriété, de pouvoir, d’affirmation de soi. Aussi, la chute des grands labels discographiques permet moins d’espérer une préservation du catalogue et une perpétuation de certains savoir-faire que l’assassinat programmé de tout ce qui apparaît comme secondaire au profit de la mise en valeur abusive de ce qui semble puissant. Est puissant le cross-over, est puissante la notoriété médiatique, est puissant le compte de résultat. Nous sommes loin des revendications catégorielles. Tout cela est plus profond et plus brutal qu’il n’y paraît. A la fin, le combustible principal n’est point l’art. C’est l’argent. Elisabeth Kulman le note sans doute en son for intérieur, sans encore le crier trop haut : les grands chanteurs sont très bien payés, surpayés, peut-être trop payés. Ce sont des mineurs de fond, mais la mine est d’or ou de diamants. Aux autres, les miettes, les appart’ hôtels miteux, la solitude des grandes villes où des cachets trop bas ne permettent point qu’on y apporte famille, amis et chiens de compagnie. Baal a partie liée avec Mammon. Apollon dîne avec Ploutos. Les marchands du temple sont dans la place. C’est ainsi et pas autrement.

Que cela ne nous empêche pas, cette saison encore, de traîner nos guêtres partout où sévit cette lutte des classes larvée, et d’apporter notre caution sournoise à cette guerre civile occulte. Au contraire, sache bien, lyricomane, que de toutes ces iniquités et de toutes ces souffrances, de ces abîmes d’injustice, de ce monde aristocratique et féodal, tu n’es ni l’otage, ni la victime. Tu en es la cause et le maître, tu en es l’auteur. Tu en es ce dieu antique et implacable qui a nom : Public.

 

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