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Oh quand je dors

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Edito
1 juin 2007

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Les salles de concert et d’opéra sont, on le sait, le refuge des catarrheux et des phtisiques. Les chefs s’en plaignent, les chanteurs s’en irritent, les pianistes s’arrachent les cheveux, les clavecinistes se rongent les ongles. Les théâtres agissent parfois en distribuant force mouchoirs et bonbons au menthol à l’entrée du spectacle. On ne compte plus les anecdotes d’artistes pris soudain de rage et jetant à la tête de spectateurs, innocentes victimes d’une glaire coincée ou d’une goutte de salive mal digérée, des insultes les offrant à la vindicte du bas peuple. Du moins les tousseurs en tout genre donnent-ils l’indiscutable preuve qu’ils sont en vie.

On n’en dira pas autant de ces spectateurs sympathiques qui choisissent la salle de concert pour esquisser un somme. Leur face relâchée et leur bouche entrouverte d’où glisse un brillant filet de bave, leurs yeux révulsés, leurs bras ballants, font parfois furieusement ressembler les salles de concert à d’immenses mouroirs où viennent expirer les ultimes dandys et les grands-mères trop esseulées.

Et pourtant, rien n’est plus agréable que dormir au théâtre. Le téléphone est éteint, c’est la règle. Nul importun à craindre. Vos voisins sont de parfaits inconnus que vous ne reverrez jamais : toute contenance peut être proscrite. La musique couvre aisément le doux ronronnement de votre bienheureuse sieste. En outre, elle berce vos rêves. Quoi de plus délicieux, de plus divin, qu’entreprendre un petit somme au son d’un impromptu de Schubert joué par Kissin ? Quel luxe ! Quoi de plus onirique qu’un sommeil porté sur les ailes d’une cantate de Bach ? Quoi de plus aimable qu’un repos accordé par une symphonie de Mozart ?

Mes plus beaux souvenirs de théâtre sont aussi des souvenirs d’endormissement. Comme j’ai bien dormi à cette cinquième de Mahler récemment ! Tout un second mouvement de profond sommeil, délicat et feutré. Et que dire de ce Vaisseau Fantôme bruxellois où la ballade de Senta me trouva dans un état d’heureuse torpeur ? J’ai dormi un peu au dernier récital parisien de Fischer-Dieskau, ce qui prouve que cela n’a rien à voir avec l’âge, car j’étais bien jeune alors. Dieu, comme fut anesthésiant ce récital de Cecilia Bartoli où, après avoir entendu un air lent et un air rapide, et observé les gesticulades de la dame, je me renfonçai dans le fauteuil de ma loge pour roupiller et rêver de roucoulantes colombes. Il y eut aussi l’admirable Songe d’une nuit d’été de Britten au Met de New York : la voix de David Daniels, angélique, et les teintes rougeâtres du décor me plongèrent dans les tréfonds d’un songe tout personnel, et fort estival lui aussi.

Attention, il faut savoir choisir son théâtre. Avouons que le dialogue chatoyant de l’or et de la pourpre fait irrésistiblement songer aux fastes d’un baldaquin d’Ancien Régime. Quelque chose dans ce décorum nous murmure qu’il est l’heure de songer au sommeil. Les rideaux des loges ne sont-ils pas fait pour abriter des siestes crapuleuses ? Aussi, on dort magnifiquement au Châtelet, à Nice, à Bordeaux, à La Scala, à Strasbourg. On dort très mal à Bastille, et on ne peut simplement pas fermer l’œil à la Cité de la Musique. Toulouse est inconfortable, Gaveau aussi. Lyon fait faire de mauvais rêves. Trop de réverbération dans les divers Auditoriums, à Massy, à Berlin. On est assez bien au Théâtre des Champs-Elysées. Evitez absolument le Théâtre Gabriel : il promet énormément, mais on se réveille avec un lumbago aigu. Le meilleur dormoir reste cependant le Palais-Garnier, où tel Barbier de Séville, une Clémence de Titus, un intéressant Cosi accueillirent avec bienveillance mes plus voluptueux écroulements.

Je n’aime pas ces mélomanes qui, sous prétexte de rigueur et de passion, suivent le spectacle les yeux écarquillés, battant la mesure, suivant à la loupiote une partition épaisse. Ils me font songer à des moines observants tétanisés par quelque Réelle Présence. Ce n’est pas très sérieux.

Je recommanderais chaleureusement à tous les amateurs de s’endormir avant l’entracte. Vous êtes réveillés par un bon zim-boum ou par les applaudissements du public, vous vous levez sans hâte, défroissez calmement votre smoking, passez au foyer prendre une coupe de champagne et un petit sandwich léger, serrez quelques mains – et puis vous pouvez partir, rentrer chez vous à une heure décente, l’estomac léger, les lassitudes enfuies ; bref, vous pouvez aller vous coucher, et vous dormirez alors du céleste sommeil du juste.

Bonne nuit.

 

Sylvain Fort

 

Éditorialiste

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