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Henri Rabaud en dix leçons

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Actualité
19 avril 2018
Henri Rabaud en dix leçons

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Alors que son chef-d’œuvre, Mârouf, savetier du caire, revient Salle Favart à partir du 23 avril, voici dix brèves leçons pour savoir l’essentiel sur Henri Rabaud. Leçon n° Zéro : on ne confondra pas Henri Rabaud (1973-1949) avec son quasi-homonyme le compositeur bordelais Henry Barraud (1900-1997).


1. Il est tombé dans l’opéra quand il était petit

Fils unique, le petit Henri Rabaud se rattachait au monde de l’orchestre par son père violoncelliste et par son grand-père maternel flûtiste, mais au monde lyrique par sa mère et sa grand-tante : sa maman était Juliette Van Steenkiste, dite Juliette Dorus, « charmante petite amie » à laquelle Gounod aurait envisagé un temps de confier Marguerite dans Faust, et nièce de Julie Dorus-Gras, illustre créatrice d’œuvres d’Halévy (Eudoxie dans La Juive), de Meyerbeer (la reine dans Les Huguenots) ou de Berlioz (Teresa dans Benvenuto Cellini). Dans le dernier quart du XIXe siècle, Robert le Diable était encore l’un des piliers du répertoire de l’Opéra de Paris.

2. Il obtient le Prix de Rome du premier coup

En 1894, à 21 ans, Henri Rabaud obtient, fait relativement rare, le Premier prix de Rome de musique du premier coup (on sait que certains des grands compositeurs français de cette époque ont été recalés plusieurs années de suite). En effet, il était courant que les candidats les plus chanceux se voient d’abord attribuer un deuxième prix, récompense encourageante qui se muait l’année suivante en premier prix. Avec sa cantate Daphné, dont la simplicité archaïsante revendiquée renvoie au Gounod de Philémon et Baucis, Rabaud l’emporte devant Omer Letorey (second prix 1894, premier prix 1895) et Jules Mouquet (mention en 1894, premier prix en 1896). En 1905, Rabaud publiera dans La Revue de Paris un texte prônant une réforme du concours.

3. La mélodie et l’oratorio avant l’opéra

En 1896, le jeune lauréat publie un recueil de six mélodies, dont une sur un texte d’Armand Silvestre, poète cher à son maître Massenet, dont il ne goûtait pourtant guère la musique, ce que selon son condisciple Max d’Ollone  attribue à une « répugnance morale et physique de clergyman devant tant de tendre coquetterie ». En 1897 il entreprend un ambitieux oratorio, Job, dont le livret est dû au même auteur que la cantate Daphné, Charles Raffalli ; le héros biblique inspirera à Rabaud une seconde partition, en 1905, mais entre-temps, le jeune compositeur se sera familiarisé avec les audaces harmoniques de Wagner et même de Debussy. Quand viendra l’heure de son premier essai lyrique et scénique, son désir de pureté classique lui vaudra néanmoins  le reproche de pratiquer un style « scholastique » et suranné.

4. En 1904, un premier essai Salle Favart

Le 16 mars 1904, dix ans après son Prix de Rome, Rabaud voit se lever le rideau de la Salle Favart se lève sur son opéra La Fille de Roland. On retrouve en partie l’équipe artistique réunie deux ans auparavant pour Pelléas et Mélisande : André Messager dans la fosse, mise en scène assurée par Albert Carré, le directeur de l’Opéra-Comique, décors de Jusseaume, et dans deux des principaux rôles, Dufranne et Vieuille, créateurs de Golaud et d’Arkel. Auxquels s’ajoutent, Marguerite Carré, l’épouse du directeur, dans le rôle-titre, et le ténor Léon Beyle, deux des piliers de Favart. La critique déplore un livret peu dramatique, et une partition froide, plus symphonique que lyrique. Le Monde artiste signale l’uniformité placide de la musique : « Quand Charlemagne s’écrire : ‘O Roland, qu’elle est bien ta fille ; dans son regard, c’est ton regard qui brille !’ ; quand l’empereur célèbre la gloire de la France ‘croissant comme croissent les chênes’ ; quand les Maures insolents défient les barons chrétiens et leur montrent Durandal prisonnière, même tranquillité toujours ».

5. Il fait un détour par le théâtre

Depuis 1898, sous l’impulsion du mécène Castelbon de Beauxhostes, ami de Saint-Saëns, les arènes de Béziers tentent de devenir le Bayreuth français. On y donne de grands spectacles musicaux et théâtraux. En 1908, c’est une pièce de Lucien Népoty qui est représentée, Le Premier Glaive, les 30 août et 1er septembre. Une musique de scène a été commandée à Henri Rabaud. Les acteurs de la Comédie-Française y côtoient le ténor Agustarello Affre, « de l’Opéra ». Saint-Saëns, après avoir assisté au spectacle, écrit à Fauré que, malgré « quelques accords faux mis très probablement pour la mode », la musique de Rabaud ne manque « ni de grandeur, ni de couleur, ni de charme, ni d’éclat » et y trouve même des échos du Prométhée de… Fauré, donné à Béziers en 1900. La rencontre entre le compositeur et le poète s’avèrera féconde : Henri Rabaud conçoit une musique musique pour deux pièces de Shakespeare traduites par Népoty, Le Marchand de Venise (1917) et Antoine et Cléopâtre (1918), données au Théâtre Antoine, ainsi que pour son adaptation du roman Paul et Virginie (1922). Et c’est Lucien Népoty qui écrira le livret de Mârouf, puis de Rolande et le mauvais garçon.

6. Il triomphe avec Mârouf

Pour plus de détail sur Mârouf, voir le dossier Autour de Mârouf : la scène lyrique parisienne en 1914. On citera ici simplement l’opinion du critique de Lyrica en 1924 : « Le succès fut décisif et unanime ; on sait avec quelle rapidité il devait se propager, avec quelle force il s’est maintenu. Il comporta d’abord une part de surprise.  […] on n’attendait pas de M. Rabaud un ouvrage fait d’enjouement, d’aimable ironie, d’humeur légère et de couleur pimpante. Et c’est à quoi il réussissait à merveille, dans Mârouf, sans crier gare, comme d’ailleurs sans la moindre concession à la drôlerie factice ni à la gaîté vulgaire. Par la vertu de sa grâce aimable et souriante, rehaussée par l’extrême raffinement de sa langue musicale et de sa parure sonore, Mârouf a fait tranquillement le tour du Monde, dans les années tragiques où se jouaient les destinées de la France. Il a été – accompagné souvent par son auteur lui-même, en Amérique – un bon champion de notre pays, à qui la ‘propagande’ en imposait parfois de moins discrets et de moins utiles… ».

7. Il compose pour le cinéma

Le 13 novembre 1924, l’Opéra de Paris propose pour la toute première fois la projection d’un film ! Le Miracle des loups est une superproduction historique relatant l’affrontement en Louis XI et Charles le Téméraire (incarné par le baryton Vanni-Marcoux). Figurants par milliers, décors authentiques – Vincennes, Carcassonne -, costumes somptueux, ce long métrage réalisé par Raymond Bernard, le fils de Tristan Bernard, a coûté 8 millions de francs. Abel Gance n’a pas pu avoir de place, mais il verra le film quelques jours plus tard, et son verdict est sans appel : le film est mauvais, et la musique « est peu intéressante avec des réminiscences de Wagner en masse ». C’est Jacques Rouché, directeur de l’Opéra, qui a lui-même commandé cette partition à Rabaud, lequel sera à nouveau sollicité pour une autre superproduction historique signée Raymond Bernard : Le Joueur d’échecs (1927). Le compositeur suit le film au plan près et, de l’avis des spécialistes, sa musique est l’un des éléments essentiels de la réussite du film, auquel elle est attachée par une alchimie comparable à celle unissant Prokofiev à Eisenstein.

8. Ses autres opéras ont sombré dans l’oubli

En 1924, dix ans après Mârouf, l’Opéra-Comique crée L’Appel de la mer, drame lyrique en un acte, avec Suzanne Balguerie dans le rôle de la vieille Maurya. Rabaud a lui-même adapté la pièce de J.M. Synge, Riders to the Sea (la tragédie du dramaturge irlandais sera également mise en musique par Vaughan Williams, en 1937). Sur un sujet macabre – le désespoir d’une mère à qui l’océan a ravi cinq fils, et bientôt six –, l’œuvre paraît austère, voire rébarbative (les plus méchants parlent de musique d’enterrement). Encore une décennie plus tard, Rolande et le mauvais garçon est créé à Garnier en 1934, avec Georges Thill, Marisa Ferrer et André Pernet : malgré un titre qui évoquerait plutôt un univers à la Marcel Carné, cet opéra relate l’idylle entre une reine et un peinte-poète, en Italie à l’époque de la Renaissance. Viendront encore, à Strasbourg en 1947, Martine, scènes lyriques d’après Jean-Jacques Bernard (frère de Raymond Bernard), puis, à titre posthume, Le Jeu de l’amour et du hasard, d’après Marivaux, opéra achevé par Max d’Ollone et Henri Busser, créé à Monte-Carlo en 1954, très précisément le 19 novembre, jour de la fête nationale monégasque, avec notamment Martha Angelici, Willy Clément, Paul Derenne, précédé du Secret de Suzanne de Wolf-Ferrari en lever de rideau.

9. Il devient une personnalité officielle

Entre 1908 et 1918, Rabaud dirige les orchestres de l’Opéra-Comique et de l’Opéra de Paris. A partir de novembre 1918, il dirige pendant un an le Boston Symphony Orchestra (au bout d’une saison, il cèdera sa baguette à Pierre Monteux, qui avait dirigé les premiers concerts de la saison 1918-19). Le 29 décembre de cette même année, Rabaud est élu membre de l’Académie des Beaux-Arts, remplaçant dans la section musique Charles-Marie Widor devenu secrétaire perpétuel. Le 1er octobre 1920, quand Gabriel Fauré prend sa retraite, Rabaud se voit confier la direction du conservatoire, ainsi que l’avait prédit son maître Massenet (il occupera ce poste jusqu’à sa retraite en 1941). Après la Première Guerre mondiale, l’Opéra de Paris reprend les œuvres de Rabaud créées à l’Opéra-Comique – La Fille de Roland en 1922, Mârouf en 1928 – et assure la création de Rolande et le mauvais garçon.

10. Une fin de vie peu glorieuse…

Sous l’occupation, l’attitude d’Henri Rabaud s’avère pour le moins ambiguë. Alors qu’il soutient la demande de dérogation de Lazare Lévy, professeur de piano, pour « services exceptionnels », et de Maurice Franck, professeur de solfège, le directeur du conservatoire décide le 3 octobre 1940 de contacter la Propaganda Staffel pour évoquer « la question raciale », autrement dit le cas des professeurs et élèves israélites, avant même la promulgation des lois sur le statut des juifs, et alors que rien ne l’y obligea puisque le Conservatoire dépend du gouvernement de Vichy et non des autorités nazies. Trois enseignants sont renvoyés en décembre : outre Lévy et Franck, l’exclusion concerne aussi André Bloch, professeur d’harmonie, auquel succédera, en mars 1941, Olivier Messiaen qui a donné des preuves d’adhésion au régime en composant son Chœur pour une Jeanne d’Arc. Confronté au flou entretenu par des décrets contradictoires, Rabaud décide que les étudiants juifs, auxquels il n’est plus possible de décerner de diplômes, ne pourront participer aux concours ; en 1942, ils sont chassés de l’établissement. De 1943 à 1944, Rabaud dirige pour le gouvernement de Vichy le « Comité professionnel des auteurs dramatiques, compositeurs et éditeurs du musique » et fait partie, tout comme Germaine Lubin (interprète du rôle-titre dans La Fille de Roland à Garnier en 1922), Jacques Thibaud ou Marguerite Long, au « Comité professionnel de l’art musical et de l’enseignement libre de la musique » ou « Comité Cortot ».

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