A la fin du XVIIe siècle, cette figure hors norme, cantatrice adulée, escrimeuse… brûla d’une flamme aussi ardente que brève. Rencontre avec celle qui a souhaité lui rendre hommage.
Camille Merckx, vous êtes chanteuse, mais également aux manettes d’une compagnie, « les Perles de verre », quel est votre parcours ?
J’ai d’abord étudié au Jeune Chœur de Paris puis à l’Opéra Studio de Bruxelles. La Monnaie est une maison formidable, très agréable. J’ai eu l’opportunité d’y côtoyer des artistes immenses au tout début de ma carrière ce qui a un peu façonné la chanteuse que je suis.
J’ai eu notamment la chance de chanter dans le spectacle d’adieu de José Van Dam ; un Don Quichotte mis en scène par Laurent Pelly, qui est un metteur en scène incroyable, adorable, hyper intelligent, vraiment hors pair. Regarder José Van Dam travailler, trouver sa zone de confort seul en scène tout en gérant ce qui se passe autour – les aléas, la hiérarchie, les conflits… – Ce fut une véritable leçon. Il avait l’intelligence de prendre en compte ce qu’on lui demandait de faire tout en restant très centré et chantant comme il en avait envie. Mais je l’ai vu douter aussi. C’était assez magique de voir travailler un artiste de son ampleur.
Cette formation à la Monnaie m’a permis de travailler dans de grandes maisons, mais également d’expérimenter avec de petites troupes, très proches des gens. Un atout aujourd’hui pour créer ma compagnie et mieux appréhender l’évolution du spectacle vivant, dans une période économique qui n’est pas très favorable.
J’ai grandi en Lozère ; un endroit où il y a très peu de culture, où les gens ne vont pas à l’opéra, où les concerts classiques sont rares.
Pour moi, c’est aussi de la responsabilité des artistes de promouvoir cet art qui n’est absolument pas désuet, qui peut toucher tout le monde et qui ne nécessite pas d’avoir fait des études supérieures pour pour être ému. Je souhaite trouver une manière pour que les gens se sentent légitimes d’aller voir pour se faire leur propre avis. L’art lyrique, à mon sens, a besoin de sortir des salles et d’y revenir pour rester présent, vivant.
Vous vous présentez comme « Mezzo Alto », pourriez-vous nous éclairer sur cette dénomination inhabituelle ?
Je ne me sens pas contralto, mais en musique contemporaine – vous avez pu l’entendre dans les Ailes du désir – je suis souvent utilisée pour mon registre très grave. Je ne suis pas non plus une mezzo qui chante Chérubin ou Ravel. Pendant longtemps, cela a été un sujet avant que je réalise qu’il s’agissait d’un faux problème : j’ai une voix grave de femme, je peux chanter dans le registre très grave, j’ai cette octave grave qui est utilisable et que j’aime utiliser, mais j’ai aussi un registre aigu, je peux monter, voilà tout. « Mezzo Alto » permet de donner une image un peu plus précise de mon identité vocale. Après tout, on se définit avant tout par son répertoire.
D’ailleurs, au XVIIe siècle, l’époque de Mademoiselle de Maupin, il n’y avait pas vraiment de différence entre une partition pour mezzo et pour soprano. Les tessitures y étaient assez similaires. La question était plus simplement celle de la couleur de la voix.
Vous avez une appétence particulière pour le repertoire contemporain : Into the little Hill de George Benjamin que vous avez donné de l’opéra de Lille au festival Ravel en passant par le théâtre de l’Athénée ; Avenida de los incas de Fernando Fiszbein, le Marteau sans maître de Pierre Boulez, La Métamorphose de Michael Lévinas, Un deux trois femmes de Mario Soares, et, à l’opéra de Rennes où je vous ai applaudi, les Trois contes de Gérard Pesson ainsi que les Ailes du désir d’Othman Louati. Pourquoi avoir fait ce choix du répertoire des XVII et XVIIIe siècle, pour votre première création ?
D’abord parce que mes premières amours, relèvent de la musique ancienne, plutôt italienne : Monteverdi, Strozzi…
Ensuite parce que pour moi, c’est le même genre, la même façon de travailler, la même approche artisanale : on ne sait pas comment cela doit être fait, alors on cherche.
Enfin parce que j’ai découvert Mademoiselle de Maupin : c’est elle qui a tout déclenché.
J’avais beaucoup lu sur les femmes aventurières et de fil en aiguille, je suis tombée sur cette cantatrice, bas-dessus – ayant donc exactement la même tessiture que moi – escrimeuse, si libre dans ses choix de vie… C’était un peu magique et je me suis dit qu’il fallait inventer quelque chose avec elle.
Son destin est pourtant assez sombre : même dans votre trailer, elle part vaincue tout comme on sait qu’elle est morte jeune, au couvent. Est ce l’arc narratif que vous avez choisi ?
Le spectacle ne va pas être triste. Effectivement, il ne se finit pas très bien parce que son amoureuse meurt et que Mademoiselle de Maupin ne s’en remet pas. C’est en tout cas c’est ce j’ai imaginé puisque, comme souvent, cette biographie comporte des manques.
Mais je crois que je crois que je préfère une vie courte, extrêmement bien remplie et sans regrets. plutôt qu’une vie très longue et moins riche. Parce que, si j’avais voulu mettre toutes les histoires de sa vie dans le spectacle, il aurait duré quatre heures, il a donc fallu choisir.
Cette femme est d’une modernité incroyable. Elle m’a fait beaucoup grandir : C’est vraiment elle qui m’a donné l’énergie de créer ma compagnie et d’écrire ce premier spectacle.
Je suis passé par plusieurs formes, épistolaire, tout d’abord, mais c’était enfermant visuellement et manquait l’adresse directe au public. J’ai donc réfléchi à ce qui nous rassemblait elle et moi : le moment de la répétition, sa mise en abyme s’est alors imposé. Jean-Michel Fournereau m’a suivi la-dessus pour sa mise en scène, d’où la présence au plateau d’un comédien – David Migeot – incarnant le metteur en scène ainsi que deux musiciens – Chloé Sévère et Stanley Smith – qui seront également acteurs.
Notre répertoire est celui de cette interprète qui a crée de nombreux opéras de Campra. Il était très important pour moi d’intégrer les airs de Clorinde – que j’aime beaucoup -. Il s’agit du premier rôle de bas-dessus de l’histoire de l’opéra : une femme forte qui exprime ses sentiments. Evidemment, elle en appel aux dieux, au devoir, à la gloire, mais reste pourtant très humaine.
Le personnage est très intéressant, très théâtral, très représentatif de cette période de la musique avant l’ère de la virtuosité.
Le spectacle aborde également des pages de Lully, Destouches… Les morceaux ont été choisis pour imbriquer la musique à l’intérieur de la narration. De ce fait, certains airs ne seront pas chantés en entier, interrompus parce que nous sommes en répétition par exemple, ou pour servir d’écho aux émotions traversées par le personnage.
Le spectacle a été crée avec une scène bi-frontale mais il est très adaptable, autant destiné à une scène d’opéra qu’à des lieux plus alternatifs. Tout est envisageable sauf le plein air, à cause de la viole de gambe. Je vous l’ai dit, sortir du théâtre est important pour moi.
Longue vie à Julie M., en garde et en scène , donc ! Le spectacle est à découvrir le 3 octobre à l’Hermine de Sarzeau (56), les 16 et 17 octobre à l’Opéra de Rennes (35) avant une reprise les 24 et 27 mars 2026 dans le cadre de la Biennale de la Cité de la Voix de Vezelay (89) « Elles chantent, composent, dirigent », à Vesoul (70) et Joigny (89)
Quels sont vos autres projets?
L’an prochain, il y aura la reprise des Ailes du désir à Clermont-Ferrand et au théâtre de l’Athénée. J’investirai cette maison que j’aime beaucoup avec un autre opéra contemporain, L’homme qui aimait les chiens de Fernando Fiszbein, mis en scène par Jacques Osinski, deux artistes que je connais depuis fort longtemps.
Une envie ?
J’ai très envie de chanter Haendel. Il m’a fallu un peu de temps pour arbitrer : parmi tout ces rôles, lesquels sont vraiment pour moi par rapport au caractère, à l’agilité, à la couleur de la voix… Car je peux chanter Giulio Cesare mais également Cornelia. Finalement c’est ce second personnage qui m’intéresse le plus même si je n’ai pas encore l’âge, mais tant pis, il faut assumer la couleur de sa voix et l’âge qu’on a. Goffredo dans Rinaldo me plairait également beaucoup. Si j’adore la musique contemporaine, j’ai également besoin de chanter Debussy, Mahler ou Campra ; Sinon, je m’assèche un peu.