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Matthias Goerne: « Schubert nous apporte à tous quelque chose »

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Interview
2 février 2017
Matthias Goerne: « Schubert nous apporte à tous quelque chose »

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A l’occasion de son cycle bruxellois puis parisien consacré à Schubert, en duo avec le pianiste Leif Ove Andsnes, Matthias Goerne nous livre sa vision du lied.


Vous nous donnez rendez-vous d’abord à Bruxelles puis, du 6 au 10 février, au Théâtre des Champs-Elysées pour ce que l’on pourrait qualifier de « Marathon Schubert ». Quelles sont les préparatifs nécessaires à cet évènement particulier ?

En réalité, un cycle de concerts de trois jours n’est pas une chose si fatigante que cela. Si je devais comparer un évènement tel que cette série de représentations à Paris et à Bruxelles et une tournée avec orchestre aux Etats-Unis, où je n’ai parfois pas de jour de répit entre les représentations, j’aurais même tendance à dire que face à de tels marathons, un cycle de lieder avec piano est presque reposant. 

En revanche, il est vrai que chanter des monuments du répertoire tels que La belle meunière, Le Voyage d’hiver ou Le chant du cygne à la suite requiert une maîtrise de la tension dramaturgique particulière. Si l’on s’intéresse en plus aux spécificités de chaque cycle, on réalise que les défis posés par Schubert sont plus ardus qu’on peut se l’imaginer. En effet, l’idée du compositeur de terminer le voyage par le suicide du meunier change radicalement l’interprétation qu’on peut avoir du cycle entier. Il en va de même pour Le Voyage d’hiver ou pour Le chant du cygne; ce sont deux univers à part, avec pour chacun leur propre philosophie et leur propre éclairage tel qu’imaginé par Schubert. Le contraste entre chaque cycle est ainsi énorme, et c’est cela qui explique le succès non-démenti de cette musique. En effet, il n’y a aucun besoin d’être allemand ou autrichien pour être touché par Schubert. Cette universalité qui se retrouve dans de très rares œuvres (il y a aussi de cela dans la Neuvième de Beethoven par exemple) permet à la fois d’être compris par tous et impose en même temps une responsabilité énorme à l’artiste interprète. 

Quel rôle joue pour vous la littérature dans la musique de Schubert?

C’est cette littérature même qui permet les contrastes dont je parlais précédemment. Elle est le point de départ pour toute réflexion musicale chez Schubert. Bien sûr, les grands compositeurs de Lieder partageaient tous un intérêt prononcé pour la littérature. Mais pour Schubert, elle revêt une importance primordiale car le poids du sens véhiculé par le mot confère à la pièce toute son atmosphère. Prenez par exemple « Auf dem Flusse » : on pourrait tout à fait imaginer une version purement instrumentale de cette pièce (moyennant quelques ajouts à la partie de piano). Néanmoins, il serait impossible de recréer l’ambiance exacte dégagée par ce lied puisque la force dégagée par le mot serait perdue. 

C’est également grâce à la poésie que l’on retrouve les thématiques chères au compositeur, en particulier dans des œuvres aussi foisonnantes que ces trois cycles. La maîtrise de la langue par Schubert lui permet d’ailleurs souvent de transcender la signification originelle du cycle. Le suicide du meunier dont je parlais tout à l’heure en est un exemple, mais on peut en trouver aussi dans Winterreise, où le but du voyage n’est plus ce que l’on trouve, mais le voyage lui-même. Ce sont à chaque fois des choses qui sont extrêmement intéressantes pour un chanteur. 

Vous chantez la musique de Schubert depuis le début de votre carrière. Qu’est-ce qui a évolué entre le Matthias Goerne d’il y a vingt-cinq ans et celui d’aujourd’hui?

Ma voix a acquis avec l’âge et l’expérience une plus grande profondeur dans le timbre. Je peux me permettre d’aborder les passages au registre un peu tendu en début de carrière de manière plus assouplie et généreuse. Cela donne à tout un concert un éclairage plus naturel et influe aussi sur les passages ordinaires de ma tessiture.

Musicalement, j’ai appris, par une sorte de minimisation, à mieux cerner le contenu de chaque pièce. Ainsi, les moyens que j’utilise sont plus économes mais en même temps plus appropriés et donc plus efficaces. La transmission chez Schubert passe moins par une quantité de bonnes idées que par un seul message, profond et tolérant. C’est d’ailleurs cette capacité de pénétration et de dialogue généreux avec un individu quel qu’il soit qui fait la force de la musique de Schubert: il nous apporte à tous quelque chose.

Vous vous produisez souvent avec des pianistes concertistes, tels que Leif Ove Andsnes. Est-ce différent d’un pianiste spécialisé dans l’accompagnement?

La différence entre pianistes concertistes et accompagnateurs réside principalement dans les capacités techniques de l’artiste. Bien que les lieder de Schubert ne soient pas extrêmement exigeant en ce qui concerne la virtuosité de l’interprète, l’aisance du pianiste concertiste qui s’est forgé une technique aux grandes œuvres solistes du répertoire peut changer l’aspect du concert. En revanche, cette facilité technique ne peut en aucun cas se suffire à elle seule. La connexion mentale (voire même affective) avec le pianiste est primordiale pour qu’un morceau puisse être recréé à chaque concert.

En jetant un coup d’œil à votre répertoire, on s’aperçoit que Schubert y occupe une place prépondérante. Quel rôle donnez-vous à Schubert dans la tradition du lied ?

Schubert est le centre névralgique de l’univers du lied. Si l’on s’intéresse à l’histoire de ce genre, on remarque qu’on en trouve des prémices chez Beethoven (« An die ferne Geliebte »), surtout vu comme une recherche d’alternative à la Konzertarie dominante à l’époque. C’est cependant grâce à Schubert que ce répertoire s’est étendu jusqu’à atteindre son apogée avec lui. Même les compositeurs de la génération suivante (Mahler, Wolf ou même Brahms) semble graviter autour de la figure de Schubert quand il s’agit de composer des lieder. De même, un chanteur qui veut se spécialiser dans le répertoire allemand ne peut pas faire l’impasse sur Schubert.

Vos incursions au-delà de la langue allemande sont d’ailleurs assez rares. 

C’est tout simplement parce que pour le récital, le répertoire allemand est le plus riche. Outre la collection impressionnante de Lieder de Schubert, on retrouve des chefs d’œuvre de Brahms, Schumann, Mahler ou Wolf. De plus, j’ai toujours été fasciné par la littérature, et la musique comme la langue allemande ont bercé mon enfance. Le lied était donc pour moi le meilleur moyen de joindre mes deux intérêts. 

Mais en ce qui concerne le répertoire étranger, outre Chostakovitch et Fauré, je souhaiterais me consacré un peu plus à des styles plus divers, notamment au répertoire italien. Mais ceci reste pour le moment à l’état de projet. 

Vous êtes considéré comme un interprète qui se consacre surtout au lied. Malgré cela, vous ne vous refusez pas quelques explorations dans l’opéra (à l’image de votre récente prise de rôle de Wotan à Hong-Kong). Est-ce que vous considérez lied et opéra comme deux répertoires séparés ou voyez-vous des passerelles entre les deux?

Bien entendu, il y a beaucoup de passerelles entre les deux répertoires. Cependant, les raisons pour lesquelles je ne me risque pas souvent dans l’opéra ont à voir avec le contenu et le message de l’œuvre. Le caractère divertissant (je n’utilise pas ce terme péjorativement) de certains opéras est très atténué dans un cycle de mélodies ou de Lieder. Par conséquent, j’ai probablement moins l’habitude de manipuler le divertissement de l’opéra. On retrouve de temps en temps l’intimité du lied dans le répertoire de scène, comme par exemple dans le Ring ou dans Le Château de Barbe-Bleue, mais si j’estime que le contenu et la signification de la pièce ne sont pas satisfaisants, ou qu’elle ne répond pas aux bonnes questions, je préfère ne pas l’aborder du tout que de ne l’aborder qu’à moitié.

Avez-vous des projets à l’opéra?

Il y a beaucoup de rôles que je souhaiterais aborder. Je pense surtout à Doktor Schön dans Lulu et à Scarpia. Ce sont des rôles qui conviennent à ma voix et qui proposent des idées intéressantes. Je songe également à Rigoletto et à d’autres rôles du répertoire italien. Comme vous voyez, la liste est longue et mes activités de mélodiste ne me permettent pas de pouvoir tout apprendre en même temps.

En effet, le grand écart entre lied et opéra est difficile à soutenir longtemps. Je viens de terminer une série de Siegfried dans le rôle de Wotan en Asie et j’ai à peine une semaine pour me replonger dans Schubert afin de retrouver le son et le style appropriés. Etant donné que je ne souhaite pas abandonner le lied au profit de l’opéra, je suis en train de rechercher un équilibre entre ces deux répertoires, ce qui explique pourquoi je ne peux pas aborder tous les rôles que je souhaite.

Votre visite à Paris vous permet de renouer une fois de plus avec le public français. Comment appréhendez-vous votre venue en France ?

A chaque fois que je donne un concert en France, je suis toujours surpris par la richesse culturelle de ce pays. La musique occupe une place importante, et cela contribue au raffinement du public français qui se distingue surtout par son ouverture et son attention. L’enthousiasme des salles dans lesquelles je chante sont la raison pour laquelle je suis toujours ravi de pouvoir venir me produire en France.

 
Propos recueillis le 27 janvier 2017

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