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Orson Welles, Bernard Herrmann et l’opéra dans Citizen Kane

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Actualité
8 octobre 2025
À l’occasion de l’exposition « My name is Orson Welles » présentée à la Cinémathèque française du 8 octobre 2025 au 22 janvier 2026, penchons-nous sur un épisode souvent méconnu du film Citizen Kane (1941) : l’air d’opéra fictif que Bernard Herrmann composa pour la malheureuse Susan Alexander, l’épouse de Kane, contrainte de chanter une musique écrasante devant un public incrédule.

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Détails

Cet extrait de quelques minutes, connu sous le nom de Salammbo’s Aria, est l’une des plus fascinantes inventions musicales du cinéma américain. 

Lorsque Orson Welles demande à son ami Bernard Herrmann d’imaginer une scène d’opéra pour Citizen Kane, l’idée d’utiliser un air célèbre de Massenet, Gounod ou Puccini est un temps envisagé. Mais selon le compositeur, aucune œuvre du répertoire ne pouvait traduire l’effet dramatique souhaité : une chanteuse peu sûre d’elle, écrasée par la musique et la mise en scène. Herrmann compose donc un air original, attribué à un opéra imaginaire intitulé Salammbô, inspiré du roman de Flaubert. Le résultat est un pastiche saisissant du grand opéra français fin-de-siècle, teinté d’orientalisme, où l’on croit entendre tour à tour Massenet, Reyer ou un Strauss francisé. Herrmann a souvent raconté la genèse de cette page, notamment lors d’une conférence à la George Eastman House : « J’ai écrit cet air dans une tessiture très aiguë, afin qu’une jeune fille à la voix modeste soit complètement désespérée… Je voulais donner l’impression d’une jeune fille terrifiée, se débattant dans les sables mouvants d’un orchestre puissant. »

Tout est dit : l’air n’est pas conçu pour briller, mais pour échouer. Herrmann place la ligne vocale dans une tessiture vertigineuse (un ré aigu y sonne comme un cri) et l’enveloppe d’une orchestration lourde, saturée de cuivres et de cordes sombres. L’auditeur ressent presque physiquement la lutte d’une voix fragile engloutie sous le poids d’un orchestre monumental. Ce déséquilibre expressif devient une métaphore du film : le rêve de grandeur qui écrase celui qui l’a suscité.

Welles voulait pour sa part une parodie de grand opéra, une « production bidon » d’un orientalisme clinquant et emphatique, dont la monumentalité sonnerait faux dès la première note. Par ce mélange d’emphase et de dérision, le réalisateur et le compositeur scellent une intention commune : faire de l’opéra le miroir grotesque du rêve américain somptueux en apparence, creux en profondeur.

À l’écran, la scène d’opéra est filmée comme un cauchemar teintée d’humour noir. Le rideau s’ouvre sur un décor babylonien démesuré : colonnes cyclopéennes, tentures chamarrées, escaliers vertigineux et fumées artificielles. Susan Alexander, minuscule dans cette architecture, entame son air sous la lumière crue des projecteurs, tandis qu’un Kane triomphant l’observe depuis sa loge, seul spectateur réellement ébloui. Welles utilise des plongées extrêmes et un contre-champ démesuré pour souligner la distance entre la chanteuse et le public invisible. La caméra monte jusqu’aux cintres, dévoilant un ouvrier suspendu dans la pénombre. La musique s’intensifie, la voix se brise. Tout est faux : la voix, le décor, l’émotion. Le montage alterne le chant désespéré et les réactions glaciales de la salle, accentuant le malaise. L’opéra devient un théâtre de l’humiliation. La partition a servi de base au découpage même de la séquence. Cette manière de travailler préfigurera le rapport organique entre image et son que Herrmann développera plus tard avec Hitchcock dans Sueurs Froides ou encore Psycho.

Herrmann, souvent réduit au rôle de « compositeur de musique de film », signe ici une œuvre à part entière : un opéra miniature, d’une authenticité stylistique étonnante, mais chargé d’une dimension psychologique rare. À travers cet air imaginaire, Herrmann illustre ce qu’il appelait lui-même « le drame sonore » : la capacité de la musique à raconter ce que l’image ne peut dire. Salammbo’s Aria n’est pas seulement une parodie d’opéra : c’est la mise en musique du vertige de Kane et de la solitude de Susan. Dans un film où tout n’est qu’illusion — richesse, amour, succès —, la voix qui se brise sous le poids de l’orchestre devient la métaphore la plus poignante de la condition humaine selon Orson Welles.

Salammbo’s Aria se révèle une page splendide, tendue, d’un modernisme discret chantée depuis par de véritables sopranos comme Eileen Farrell ou encore Kiri Te Kanawa.

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