« Big is beautiful » aiment à dire les Américains. La mise en scène d’Aida par Sonja Frisell au Metropolitan Opera de New York érige l’adage en règle d’or. D’or d’ailleurs, les costumes de Dada Saligeri ne font pas l’économie. Tiares, colliers, bracelets, cuirasses : tout scintille, tout brille, tout en jette dans cette production datée de 1988 et retransmise Live in HD en 2012. Les décors, zeffirelliens dans leur volonté obstinée de reproduire au hiéroglyphe près les temples de l’Egypte Antique, semblent empruntés à un péplum hollywoodien. Les tableaux se succèdent, en une surenchère ininterrompue de décorum. L’ensemble offre une certaine image de l’opéra, monumentale, démesurée, bling bling, à laquelle il n’est pas obligatoire d’adhérer mais qui produit son effet. Des salves d’applaudissements émerveillés accompagnent la scène du triomphe, à couper le souffle avec chevaux, figurants, danseurs et tout le tintouin égyptien.
Brillant aussi, le son se met au diapason de l’image. Avec ses tutti assourdissants, sa ponctuation en forme de coup de poing, ses accélérations, la direction de Daniele Rustioni n’est pas exempte d’esbroufe mais, dans une partition à l’architecture sonore complexe, l’équilibre des volumes demeure exemplaire et les raffinements de l’écriture soulignés. Il faut dire que les Chœurs et l’Orchestre du Metropolitan Opera autorisent une vaste palette de nuances et de couleurs.
© Marty Sohl/Metropolitan Opera 2005
Moins rutilante en revanche apparaît la distribution. Ramfis aujourd’hui n’apporte rien à la gloire de James Morris ; d’une voix sombre de promesses, le jeune Soloman Howard impose sans mal à ce grand prêtre rugueux son autorité royale. Rôle tout d’un bloc, paradoxalement secondaire lorsqu’on sait la prédilection de Verdi pour la tessiture de baryton, Amonasro veut d’abord un bronze dont George Gagnidze ne possède ni la noblesse, ni l’éclat. De ses incursions en terres sopranisantes, Violeta Urmana a conservé un aigu affirmé au détriment de l’unité et de la projection des notes plus graves. Le tempérament seul ne suffit pas. Les exigences vocales d’Amneris n’ont pas de limites, quand la mezzo-soprano atteint désormais les siennes en fille de Pharaon.
La technique de Riccardo Massi le dispense du Si bémol morendo et autres subtilités destinées à renvoyer de Radamès une image moins triviale. Doté d’un timbre flatteur, d’une quinte aiguë conquérante et d’un phrasé soigné, son général égyptien n’est pas pour autant une de ces brutes épaisses coupables de tailler à la hache une partition entre toutes ingrates. Il a de plus la chance de disposer en Latonia Moore d’une partenaire dont l’investissement scénique est une invitation à se surpasser. Voilà une Aida insoumise dont aucun à-coup, aucune prise de souffle intempestive ne vient rompre le tracé princier de la ligne. Le contre-ut du Nil est le seul obstacle sur lequel ce soir bute la voix longue, intrépide, vaillante jusque dans les ensembles qu’elle transperce sans songer un instant à s’économiser. Soprano américaine, originaire du Texas, Latonia Moore a déjà chanté Aida, à New York en 2012 mais aussi à Zurich, Bergen, Dallas, Tokyo. Londres et Dresde l’ont applaudie en Liu, Hambourg en Cio-Cio-San et en Amelia dans Simon Boccanegra et Un ballo in maschera. Faut-il ajouter que son nom est à suivre de près ?