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PROKOFIEV, Alexandre Nevski — Saint-Etienne

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Spectacle
9 avril 2022
Faut-il croire que l’histoire bégaie ?

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Serge Prokofiev

Alexandre Nevski

musique pour le film de Serge Eisenstein et de Dimitri Vassiliev

tourné en 1938, première projection le 1er décembre 1938

Détails

Mezzo-soprano

Svetlana Lifar

Chœur lyrique Saint-Etienne Loire

Chef de chœur

Laurent Touche

Chœur de la Maîtrise de la Loire

Direction

Florent Mayet

Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire

Direction musicale

Giuseppe Grazioli

Saint-Etienne, Grand Théâtre Massenet, le jeudi 7 avril 2022, 20 h

L’histoire est connue de ce prince russe qui, au XIIIe siècle, prend la tête de la révolte populaire contre les envahisseurs, chevaliers teutoniques d’une force et d’une brutalité rares. Les figures humbles ou aristocratiques, courageuses ou pleutres, loyales ou traitresses, y tissent en contrepoint leurs relations touchantes, parfois chargées d’humour. Ainsi, l’organiste des chevaliers teutoniques, qui sera parodié par Mel Brooks dans Frankenstein Junior.

On se souvient aussi des conditions de la collaboration étroite entre Eisenstein et le compositeur, qui avait déjà écrit deux musiques de film (dont Lieutenant Kijé, d’une toute autre nature, puisque le sujet était une satire de la bureaucratie russe). Alexandre Nevski s’inscrit dans le contexte de la menace qu’Hitler faisait peser sur l’URSS en 1938. C’est l’exaltation du patriotisme face à l’envahisseur, d’un Prokofiev faisant de nouveau allégeance au stalinisme triomphant. Auparavant, l’admiration sincère du compositeur pour la révolution de 1917 s’était traduite dans la Cantate du XXe anniversaire, dans celle intitulée Zdravitsa (publiée comme « Gloire à Staline », puis, en français, « Chant de joie »). La suite qu’il tira du film fut dédiée au tyran pour son soixantième anniversaire.

Film de propagande stalinienne, nationaliste, certes, mais dont la force et l’écriture sont telles que – sorti de son contexte et rapporté au nôtre, sa portée se fait universelle. Comment ne pas établir le parallèle avec le conflit actuel ? Le texte y invite explicitement, où l’oppresseur barbare a changé, mais où la révolte d’un peuple uni, épris d’indépendance et de liberté, renvoie à celle des Ukrainiens.

Robuste, délibérément fruste parfois, épique jusqu’à la grandiloquence, chaleureuse, tendre ou éplorée, lyrique, la musique prend toutes les couleurs et reliefs qu’appelle l’image, comme l’inverse, puisque l’une comme l’autre – dont on ne sait toujours laquelle précéda – fusionnent pour réaliser ce chef-d’œuvre. Les images inventent la musique autant que la musique invente les images …

La cantate que tira Prokofiev de cette ample fresque en réduisait naturellement la durée, comme l’effectif, donc l’orchestration. Conformément à la partition originale, pour ce ciné-concert, l’Opéra de Saint-Etienne a mobilisé toutes ses troupes pour en jouer les 21 numéros (*) : L’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire, fort de ses 75 instrumentistes, auxquels s’ajoutent plus de 80 chanteurs des deux chœurs (Chœur lyrique et Maîtrise de la Loire), en n’oubliant pas la mezzo Svetlana Lifar. Pas moins de 26 vents, six percussionnistes, un chef – Giuseppe Grazioli – et des musiciens engagés, voilà qui change de la bande son du film, quelles qu’en soient les qualités de restitution, comme de la cantate. C’est en effet une expérience singulière que cette immersion sonore dont la puissance d’émission, le relief et les contrastes, la spatialisation n’ont que peu de rapport avec ce qu’un cinéma nous offre. Il faut souligner au passage la prouesse du chef et des musiciens pour coller, à la fraction de seconde près, au déroulement des plans et séquences.

La bataille sur la glace est la page la plus connue de l’œuvre. Il n’est est aucune qui laisse indifférent. De l’évocation de la Russie convoitée par ses belliqueux voisins à l’entrée triomphale de Nevsky dans Pskov, le spectateur-auditeur est captivé. L’âpreté du joug mongol est bien rendu, à l’égale de la musique enregistrée par Samossoud pour le film. Le Chant sur Alexandre Nevsky, ample, où le tuba fait entendre ses graves sonores, va s’animer avec une percussion riche, où le carillon s’imposera comme marqueur de la musique russe. La description des chevaliers teutoniques sera grinçante, inexorable, avec les chœurs liturgiques en latin, sorte de chorals homophones. Les retours thématiques, du peregrinus expectavi, comme du chant alerte du peuple, associés aux séquences qui se succèdent, vont permettre à chacun de les mémoriser. La bataille sur la glace, préparée longuement (lances et flêches, mêlées, le duel avec le grand-maître…) ne se décrit pas, elle se vit. Même si le DVD n’est qu’un succédané à ce que nous avons vécu, il faut voir et revoir – et réécouter – cette évocation. La scène la plus lyrique suit cette page célèbre. Pour ce champ des morts, la jeune fille cherche son bien-aimé parmi les corps des victimes des combats. La plainte des violons, qui va s’étendre aux autres cordes, avant que la clarinette basse apparaisse, introduisant le chant de la soliste, est magistrale. Le timbre, les couleurs de la langue, le legato et la longueur de souffle de la mezzo (née à Kharkhov) nous empoignent. La voix est superbe et chante « dans son arbre généalogique » comme aurait dit Milhaud.

En dehors de l’introduction de la bataille sur la glace, où les cordes trouvent la verdeur et l’acidité attendues, ne manquait qu’un soupçon d’âpreté, de raucité des vents illustrant la barbarie de l’envahisseur, pour que l’illusion d’avoir affaire à une formation slave soit parfaite. Un grand bravo à l’orchestre, donc, comme aux chœurs, préparés par Laurent Touche et Florent Mayet, qui n’appellent que des éloges : la cohésion, l’expression, la dynamique sont d’autant plus remarquables que chanter en russe n’est pas dans leur patrimoine génétique. Il est vrai que les chants latins qui illustrent les offices conduits par l’archevêque romain leurs sont plus familiers. Les pages folklorisantes rayonnent de joie et d’entrain : le bonheur des chanteurs, particulièrement dans l’exaltation finale, est manifeste, partagé par le public.

Une soirée mémorable, où la grandeur le dispute à l’émotion.

 

(*) de la quinzaine d’enregistrements disponibles, un seul – celui que réalisa Youri Temirkanov en 1993 à Saint-Petersbourg  – reproduit, outre les pages reprises dans la cantate, les passages de la musique du film qui ont disparu de cette version.

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Alexandre Nevski

musique pour le film de Serge Eisenstein et de Dimitri Vassiliev

tourné en 1938, première projection le 1er décembre 1938

Détails

Mezzo-soprano

Svetlana Lifar

Chœur lyrique Saint-Etienne Loire

Chef de chœur

Laurent Touche

Chœur de la Maîtrise de la Loire

Direction

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