Forum Opéra

BIZET, Carmen – Lausanne

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Spectacle
20 mai 2025
Un peu trop de distance

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Georges Bizet (1838-1875)
Carmen
Opéra comique en quatre actes
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Créé le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique, Paris

Détails

Mise en scène
Jean-François Sivadier
Décors
Alexandre de Dardel
Lumières
Philippe Berthomé
Costumes
Virginie Gervaise

Carmen
Antoinette Dennefeld
Don José
Edgaras Montvidas
Micaëla
Adriana González
Escamillo
Philippe Sly
Frasquita
Judith Fa
Mercédès
Séraphine Cotrez
Zuniga
Olivier Gourdy
Moralès
Rémi Ortega
Le Dancaïre
Loïc Félix
Remendado
Raphaël Brémard
Lilas Pastia
Yanis Skouta

Orchestre de Chambre de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne
Chef de Chœur
Alessandro Zuppardo
Chœurs de l’École
 de musique Lausanne
Cheffe de Chœur
Catherine Fender
Direction musicale
Jean-Marie Zeitouni

Production de l’Opéra de Lille et du Théâtre de Caen
Opéra de Lausanne
18 mai 2025, 17h00
Prochaines représentations
20, 23, 25, 27 mai 2025

Cette production de Carmen créée à Lille en 2010 est en passe de devenir un classique au fil de ses différentes reprises, la plus récente étant celle de 2021 à Strasbourg. Dont la distribution était proche de celle de l’Opéra de Lausanne où elle est donnée six fois (à guichets fermés). Et dont, presque quatre ans plus tard, Jean-François Sivadier est venu diriger lui-même les répétitions. Pour lui conserver tout son esprit.

Il nous semble que Sivadier a voulu regarder Carmen avec distance – naguère on aurait parlé de distanciation. L’idée étant d’éviter le pathos, et encore davantage toute Espagne de convention. Une manière de second degré, donc. De sorte qu’on n’oublie jamais qu’on est à l’opéra-comique.

Antoinette Dennefeld © Carole Parodi

Au public

Au début du spectacle, sur l’ouverture et le thème du toréador aux cordes, les soldats, les enfants, les Gitanes, s’avancent en ligne vers le public, le regardant ostensiblement, comme pour préfigurer le défilé des quadrilles du troisième acte (qu’on ne verra d’ailleurs pas).
Semblablement les chanteurs chanteront le plus souvent face à la salle, qu’ils regarderont plutôt que leurs partenaires. Comme pour casser l’illusion de vérité.
Le costume d’Escamillo descendra des cintres, de même que les liens qui enserreront les poignets de Carmen, ou les encombrants ballots des contrebandiers ; ce sont des choristes qui apporteront deux lourds rouleaux de tissu qui, accrochés par eux à des filins, deviendront le rideau doré du premier plan et le rideau rouge (celui du toréador) à l’arrière-plan.

Mécanique théâtrale à vue

Les soldats se lissent les cheveux comme des mâles latins, les cigarières (et Micaëla) bombent leurs appas, le décor (quelques planches dont on voit parfois l’envers) est réduit à des signes : des portes à tout faire (la taverne de Lilas Pastia ou l’entrée des arènes), un panneau de bois en guise de talenquère contre laquelle Don José étranglera (nouveauté) Carmen – et les coups qu’elle y frappera en mourant résonneront sinistrement.

Edgaras Montvidas et Adriana González © Carole Parodi

Des Gitanes en robes fleuries pimpantes ou blouses bleues de cigarières, des soldats qui fument avec ostentation et maladresse, des enfants qui jouent à jouer des enfants qui jouent, des comparses qui multiplient les clins d’œil et les signes de connivence avec le public, des numéros qui frôlent, d’ailleurs avec brio, le style cabaret ou le music-hall (le quintette, le trio des cartes), bref un Carmen traité comme une comédie musicale. Une convention remplaçant en somme une autre convention. De toute façon, c’est du théâtre…

Sous contrôle

Dès lors le choix d’Antoinette Dennefeld ne peut apparaître que judicieux. Ce n’est pas tant sa blondeur, qu’une manière de retrait par rapport à son personnage, une réticence à entrer dans le rôle, à l’incarner. Tout est toujours maîtrisé, sous contrôle, les gestes millimétrés, cette Carmen est maîtresse d’elle-même, et c’est très pédagogiquement, assise sur une chaise, qu’elle explique à un enfant en se penchant vers lui que l’amour est enfant de Bohème… Air qu’elle chante avec une élégance très maîtrisée, sur le tempo imperturbable que lui ménage Jean-Marie Zeitouni. Elle a le timbre idéal pour ce rôle ambigu, qui hésite entre mezzo et soprano, une impressionnante projection et une belle homogénéité tout au long de sa tessiture.

Antoinette Dennefeld et Philippe Sly © Carole Parodi

Non moins de netteté dans les réponses du Chœur de l’Opéra de Lausanne, impeccable et magnifique de précision. Et dont on aura admiré les demi-teintes dans le duo des soldats et des cigarières : très joli, « le doux parler des amants, c’est fumée » chanté mezza voce par les filles rivalisant avec la douceur du « La cloche a sonné… » à mi-voix des garçons, tout cela sur un tapis orchestral chambriste, exquis de délicatesse. Comme l’avait été la garde montante et descendante du chœur des enfants, sans le côté acide qu’elle a parfois.

La direction musicale de Jean-Marie Zeitouni, toute en finesse, en recherche de couleurs, en soin des détails (quelle orchestration !), sera un des grands bonheurs du spectacle, avec un Orchestre de chambre de Lausanne, inspiré et virtuose. Un exemple parmi tant d’autres : le prélude à l’entrée des cigarières, d’une transparence magique, où s’entretissent la flûte, des violons aériens et le contrechant des bois. Mais on pourrait citer les interludes orchestraux, notamment celui, tellement musique française, ouvrant le troisième acte (flûte, harpe, clarinette, cordes et bois pianissimo…) et précédant la marche et le chœur des contrebandiers, et le sextuor « Notre métier est bon » (autre plage géniale).

Edgaras Montvidas et Antoinette Dennefeld © Carole Parodi

Des femmes fortes

Vrai chef d’opéra, Zeitouni accompagnera avec beaucoup d’attention et de souplesse une Micaëla un peu atypique, celle d’Adriana González, dont la grande voix, de couleur assez dramatique, surprend dans ce rôle. Parfois en recherche d’homogénéité entre ses différents registres, elle crée un personnage au format tragique dont l’engagement impressionnera le public, notamment dans son air du troisième acte, « Je dis que rien ne m’épouvante ». Évidemment, on est loin de la traditionnelle fragile ingénue blonde. Les femmes sont fortes, ici.

Autre choix qui ne nous aura pas vraiment convaincu, celui d’Edgaras Montvidas, qui dessine à l’instar de sa Carmen un personnage un peu décalé, donnant l’impression d’être souvent sur la réserve. À vrai dire on ne croit guère à la passion physique que la Gitane, qui l’est si peu, aurait suscitée en lui. Mais peut-être est-ce un parti pris de direction d’acteur.
Vocalement la voix est solide, parfois un peu dure, c’est un chant très construit, très tenu, visant plus à convaincre qu’à séduire. Mais capable de beaux élans, comme dans le duo avec Micaëla, « Parle-moi de ma mère ». L’air de la fleur, abordé de manière tout autre, n’en sera que plus surprenant. Des phrasés alanguis, une voix beaucoup plus ouverte, avec du rubato, des accents marqués, et une fin inattendue en voix de tête, pour un moment très lyrique qui laisse déconcerté.

Philippe Sly (Escamillo) © Carole Parodi

Ligne de chant

Du point de vue du style, c’est sans doute l’Escamillo de Philippe Sly qui nous aura semblé le plus abouti. Outre la beauté du timbre et un vibrato à la Panerai des plus séduisants, la justesse de la ligne de chant, un jeu décontracté avec la prosodie (les Señor, señor, les Ah que se passe-t-il en parlando…), de l’ampleur et de beaux graves, une homogénéité du haut en bas, des portamentos joueurs…, il laisse percevoir une bonne dose d’humour, qui n’oblitère en rien un chant français dans la meilleure tradition, de sorte que son « Toréador prends gaaaarde » est assez irrésistible…

Non moins réussi, le Quintette des cartes, traité comme un numéro de music-hall, on l’a dit, avec un Dancaïre (Loïc Félix) et un Remendado (Raphaël Brémard) qui en font joyeusement des tonnes, une Frasquita (Judith Fa) dont les aigus dominent les ensembles, une Mercedes (Stéphanie Cotrez) aux très beaux graves (et on les entendra encore mieux dans le trio des cartes) et une Antoinette Dennefeld qui semble prendre grand plaisir à ces moments délurés, qui sont sans doute les joyaux de la partition.

Et qui dans le trio des cartes déroulera sur un tempo très lent son « En vain pour éviter les réponses amères… », mais à nouveau un certain tragique, celui des « la mort, toujours la mort », paraîtra escamoté, comme si cette dimension pathétique qui cohabite avec la truculence des scènes de comédie avait voulu être estompée.

Le quintette (Loïc Félix, AD, Yanis Skouta,Judith Fa, Stéphanie Cotrez, Raphaël Brémard) © CP

Évitement

Le pathétique, il irrigue, ou devrait irriguer, le quatrième acte. Après une entrée en fanfare, le pimpant « À deux quartos » où l’énergie de Jean-Marie Zeitouni galvanise le chœur réuni au bord du plateau, les garçons chantant mâlement « Et puis saluons au passage, saluons les hardis chulos ! » à quoi les voix acidulées des filles répliquent « Voyez les banderilleros, voyez quel air de crânerie ! », on va voir cette foule remonter le plateau jusqu’au gradin du fond, on ramènera les grandes parois de bois et c’est derrière elles, par les portes entrebâillées qu’on l’apercevra tandis qu’Escamillo chantera à genoux son « Si tu m’aimes. Carmen… »

C’est le moment où l’opéra-comique devient ou doit devenir tragédie.

Ici, ce qu’on entend, c’est un fort beau duo : Edgaras Montvidas arrondit ses « Carmen, il est temps encore » et Antoinette Dennefeld montre une puissance vocale considérable dans ses « Non, je ne te céderai pas ! » 

Antoinette Dennefeld et Edgaras Montvidas © Carole Parodi

Mais les timbales et les cors ont beau étirer le temps avant les « Tu ne m’aimes donc plus ? », il n’empêche, une certaine grandeur manque à cette ultime confrontation qui n’ira guère plus loin (ou ailleurs) qu’un très beau chant. Les « Non ! je ne t’aime plus » de Carmen manqueront de cette dureté glaçante qui fait, parfois, frémir. Et si Don José ira chercher jusqu’au plus profond de lui-même son « Pour la dernière fois, démon, veux-tu me suivre ? » Carmen choisira de gommer deux des effets les plus forts de la dernière scène : le « Laisse-moi passer » qu’elle esquivera et le « Tiens ! » dédaigneux (en lui jetant sa bague), qu’elle dira platement.

De sorte que malgré l’étranglement, les coups de Carmen sur le panneau de bois, et les cris des aficionados, on restera sur un curieux sentiment d’inachevé.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Note ForumOpera.com

3

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Infos sur l’œuvre

Georges Bizet (1838-1875)
Carmen
Opéra comique en quatre actes
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Créé le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique, Paris

Détails

Mise en scène
Jean-François Sivadier
Décors
Alexandre de Dardel
Lumières
Philippe Berthomé
Costumes
Virginie Gervaise

Carmen
Antoinette Dennefeld
Don José
Edgaras Montvidas
Micaëla
Adriana González
Escamillo
Philippe Sly
Frasquita
Judith Fa
Mercédès
Séraphine Cotrez
Zuniga
Olivier Gourdy
Moralès
Rémi Ortega
Le Dancaïre
Loïc Félix
Remendado
Raphaël Brémard
Lilas Pastia
Yanis Skouta

Orchestre de Chambre de Lausanne
Chœur de l’Opéra de Lausanne
Chef de Chœur
Alessandro Zuppardo
Chœurs de l’École
 de musique Lausanne
Cheffe de Chœur
Catherine Fender
Direction musicale
Jean-Marie Zeitouni

Production de l’Opéra de Lille et du Théâtre de Caen
Opéra de Lausanne
18 mai 2025, 17h00
Prochaines représentations
20, 23, 25, 27 mai 2025

Vous pourriez être intéressé par :