Stratégie marketing ou manipulation médiatique, c’est en rivale de Cecilia Bartoli que se pose aujourd’hui Vivica Genaux sous prétexte d’un album Vivaldi au titre éloquent : Pyrotechnics. Jusqu’à présent, la mezzo-soprano américaine nous avait semblé emprunter des chemins distincts de ceux que foulait d’un pas conquérant sa consœur italienne. Quand, dans le même répertoire, baroque essentiellement, l’une jouait de sa personnalité gourmande et, malgré les ombres du timbre, d’une féminité exubérante, l’autre, plus ambiguë, se rangeait avec discrétion dans la catégorie « garçon manqué » : le cheveu court, la silhouette androgyne, les rôles travestis. En plaçant les deux divas face à face dans son édition du 12 décembre dernier, Le Figaro Magazine nous apprend que les temps ont changé. « Il y a sept ans, personne n’imaginait comparer l’Américaine d’Alaska Vivica Genaux à la Bartoli… » s’étonne Olivier Olgan. Faut-il lui rappeler que comparaison n’est pas raison.
Car les mêmes airs de Vivaldi, ou presque, interprétés par l’une ne prennent pas le même relief quand ils sont chantés par l’autre. D’un côté la virtuosité au service de l’expression, de l’autre une machine à vocaliser qui, grisée par sa propre vélocité, en oublie l’éloquence. Dans un complet noir puis une robe flamboyante qui mettent en valeur une taille mannequin, le récital parisien de Vivica Genaux la voit dessiner les ornementations de « Quell’usignuolo », un aria d’imitazione où le chant pastiche celui du rossignol, comme celles de « Splender frà’l cieco orror » (Tito Manlio) ou de « Come in vano il mare irato » (Catone in Utica), arie di di carattere qui sont censés couvrir une toute autre gamme de sentiments. Et pourtant ; à chaque fois, mêmes roulades, mêmes arpèges, appogiatures et trilles exécutés à une vitesse vertigineuse au mépris de toute caractérisation ; mêmes affects, interchangeables quel que soit l’air, même sourire ébahi qui conclut chacun d’entre eux, comme si la cantatrice n’en revenait pas d’avoir accompli un tel exploit. De la pyrotechnie et seulement de la pyrotechnie servie par un timbre mat, à la saveur douce-amère et aux sonorités nasales qui, le rendant unique, en font le prix. Le volume demeure modeste, la voix homogène sur toute la longueur, avec des absences dans le medium mais une aisance certaine dans le registre aigu, ainsi que le souligne « E prigioniero e re » (Semiramide), un air destiné à l’origine à une soprano (Teresa Zanardi Gavazzi). Seul cantabile de la soirée, il donne enfin à ressentir mais expose dans le même temps la distension qu’à force de trilles a subi la ligne. Tout aussi ondulés, voire hululés, « Agitata da due venti » (Adelaide) et « Alma oppressa » (La Fida ninfa), menés à train d’enfer et assommés de virtuosité, nous renvoient à Cecilia Bartoli, malgré une volonté de variation qui provoque dans le da capo du deuxième un léger cafouillage. « Qual guerriero in campo armato », un air de Riccardo Broschi (le frère de Farinelli) repris par Vivaldi dans Bajazet, dont Vivica Genaux a fait son étendard et qu’elle offre en guise de conclusion, ne nous apprend rien de plus.
Le plus disert dans l’histoire, c’est finalement Fabio Biondi à la tête d’une Europa Galante irréprochable, qui en deux concerti, réussit à nous suspendre à son archet. Et c’est le paradoxe de la soirée : que dans le cadre des Grandes Voix, le violon dame le pion à la cantatrice.