Don Quichotte chez la duchesse, une rareté de Joseph Bodin de Boismortier, mêle harmonieusement chant, danses et situations comiques. Cela fait longtemps qu’Hervé Niquet ne se contentait plus d’une version de concert, et voulait la donner sur scène, ce qui est devenu réalité grâce à ses complices habituels Gilles et Corinne Benizio (Shirley et Dino), dans de délicieux décors et costumes de Daniel Bevan, Anaïs Heureaux et Charlotte Winter. Le spectacle se déroule sans entracte, avec fluidité pendant deux heures, simplement entrecoupé des pitreries d’Hervé Niquet, rôle dans lequel on le sait aussi expert qu’à la baguette. Le tout est plutôt drôle, même s’il est permis de rêver à ce qu’au temps de leur splendeur, les Deschiens auraient fait en pareille circonstance. Le succès est au rendez-vous dans cette tournée qui approche les trente représentations (le spectacle a été donné, notamment, à l’Opéra de Mexico et non loin au festival El Cervantino de Guanajuato).
© Photo François Pinson
Tout a été dit sur la production, lors de sa création à Versailles début 2015, par Laurent Bury, et lors de sa reprise à Montpellier quelques mois plus tard, par Yvan Beuvard. Les codes de « Shirley et Dino vont à l’opéra » sont maintenant si bien établis et si bien connus, qu’on sait à l’avance à quoi s’attendre. Donc, cela admis, il est plutôt malvenu de faire la grimace. Tout au plus remarquera-t-on que les ficelles de construction peuvent paraître un peu répétitives d’un spectacle à l’autre. Il n’en demeure pas moins que le numéro de Corinne Benizio en chanteuse espagnole constitue un étonnant exercice de style, et que la prestation de Gilles Benizio en duc et en Japonais, parfois un peu trop lente et lourdingue, reste néanmoins également un grand moment de théâtre. Son air chanté à la manière de Monsieur Jourdain, notamment, est inénarrable, suivi par Hervé Niquet qui lui-même pousse la chansonnette (très décalée) avec la complicité de son orchestre qui reprend les refrains en cœur. Bref, c’est la bonne humeur qui domine, et le public rit de bon cœur. Car l’œuvre, dès le départ, avait été composée pour faire rire, et ce but est ici parfaitement atteint, même si la méthode employée peut parfois paraître un peu limite aux mélomanes.
La distribution a connu, depuis la première, quelques variantes (on note que, lors d’une reprise à Versailles, c’est Mathias Vidal qui a été Don Quichotte, avec Marc Labonnette en Sancho Pança). Ce soir, ce sont Emiliano Gonzalez Toro et Jean-Gabriel Saint Martin qui donnent vie aux deux personnages. Ils sont étonnants de vivacité, d’à-propos et de naturel, et sont toujours parfaitement en situation. Vocalement, c’est peut-être Jean-Gabriel Saint Martin qui mène le plus le couple, grâce à une voix percutante et musicale à la fois. Mais Emiliano Gonzalez Toro ne démérite pas pour autant, notamment dans son air final qu’il termine « façon yéyé » telle qu’imposée par la mise en scène, ce qui n’était peut-être pas indispensable.
Chantal Santon-Jeffery (Altisidore et la reine du Japon) semble beaucoup s’amuser à jouer la comédie, ce qu’elle fait fort bien. Vocalement, elle atteint une quasi perfection sur tout le registre, et arrive à imprimer au texte des inflexions qui confortent son interprétation des rôles. Enfin, on remarque tout particulièrement Virgile Ancely (Montesinos, Merlin, et le traducteur), qui se distingue lui aussi par son humour et sa présence scénique, mais aussi par une belle voix et une technique sans faille, parfaitement adaptées aux rôles. Le Concert Spirituel, qui vient de fêter ses 30 ans, ainsi que tous les comparses sur scène sont, comme à l’habitude, tout à fait excellents.