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FOCCROULLE, Le Journal d’Hélène Berr – Colmar

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Spectacle
6 décembre 2023
Il ne faut pas oublier

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Le Journal d’Hélène Berr
Monodrame lyrique pour mezzo-soprano, piano et quatuor à cordes
Musique de Bernard Foccroulle
Livret du compositeur d’après le Jounal d’Hélène Berr

Commande de l’Opéra national du Rhin et de La Belle Saison

Création mondiale concertante à Cherbourg, Le Trident, le 3 mai 2023

Création mondiale scénique

Détails

Mise en scène
Matthieu Cruciani

Scénographie
Marc Lainé

Costumes
Thibaut Welchlin

Lumières
Kélig Le Bars

 

Hélène
Adèle Charvet

Piano
Jeanne Bleuse

Quatuor Béla

 

En coréalisation  avec  la  Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace

Création mondiale scénique

 

Colmar, Comédie, 3  décembre 2023, 15h

 

En ces temps où l’horreur se fait quotidienne, le Journal d’Hélène Berr, le magnifique texte d’une étudiante juive sous l’Occupation, comme le monodrame qu’en extrait Bernard Foccroulle, prend une dimension exceptionnelle.

Ecrit par Hélène Berr entre avril 1942 et février 1944, découvert tardivement, le texte ne fut publié qu’en 2008, 63 ans après sa mort à Bergen-Belsen. Témoignage d’une absolue sincérité, c’est une œuvre d’une incontestable qualité littéraire, intense, pudique et lyrique. Entre son retour de chez Paul Valéry, qui vient de lui dédicacer un recueil et son ultime propos, elle nous narre son quotidien, ses aspirations, ses inquiétudes aussi, avec la montée de l’horreur, des premières rumeurs au port de l’étoile jaune, à l’arrestation de son père, aux échos des atrocités dont elle a connaissance, jusqu’à la déportation. Son impuissance à s’opposer à la barbarie, sa volonté de témoigner, jusqu’au triple « Horror ! » sur lequel s’achève son journal, et le monodrame, ne peuvent laisser indifférent. Jean, son fiancé, qui était entré dans la Résistance dès novembre 1942, peu après le début de leur relation, écrivait en 1946 à la sœur d’Hélène, Denise, pianiste : « Les êtres comme Hélène propagent le sens de la beauté et donnent force à ceux qui savent les comprendre. Pour moi, Hélène était le symbole de la force radieuse, qui est magnétisme, beauté, harmonie, persuasion, confiance et loyauté. Oui, six mois ont suffi pour attacher nos deux existences avec un lien que seule la mort pouvait défaire, que seule la mort a défait. De ces six mois qui ont paru durer une heure, que reste-t-il ? Un parfum indéfinissable, qui flotte autour de nous, un peu de lavande, je crois… »

Le « choc de la lecture » qu’en a ressenti Bernard Focccroulle nous vaut ce monodrame lyrique. Le compositeur a retenu les passages essentiels, organisés dans un flux continu en 16 chapitres, datés (1), articulés en deux parties. Les interrogations de la première commencent sous le signe de l’amour, de la joie de vivre, des petits « bobos » du quotidien (blessure au doigt) autant que conditionnées par le contexte. Le port de l’étoile jaune ouvre le cycle infernal qui la conduira à la mort. Ainsi assistons-nous à la longue et tragique évolution d’une jeune fille passionnée par ses études, musicienne, en proie au doute sentimental, jusqu’à une maturité lucide, où celle qui se sent déjà victime veut croire en l’humanité. La nécessité de son témoignage s’inscrit dans la volonté de provoquer une prise de conscience de ceux qui ne savent pas l’horreur du monde.

Le quatuor Béla avait sollicité le compositeur peu avant qu’il prenne connaissance du Journal. Aussi Bernard Foccroulle va-t-il écrire ce monodrame pour mezzo-soprano, quatuor à cordes et piano. Commande conjointe de l’Opéra national du Rhin et de La Belle saison, c’est à Cherbourg que fut créée la partition, en version de concert, reprise à Coulommiers, à Paris (Bouffes du Nord), enfin au Méjan. Plus de six mois de production (s’ajoutant à ceux de répétition) avant que ces mêmes interprètes créent la version scénique leur auront permis de s’approprier pleinement l’ouvrage, de le mûrir, dans une communion intense, fusionnelle.

Malgré quelles bouffées exaltées jusqu’au cri, la discrétion, la pudeur, la délicatesse prévalent, de sorte que le texte focalise toujours l’attention. Le sens prosodique en est constant, hérité de Debussy, Ravel et Poulenc. Toutes les formes d’expression vocale s’y côtoient, de la voix parlée, lue ou naturelle, au sprechgesang et au chant libéré en passant par une forme récitative qui tient autant du mélodrame que du chant baroque. La fluidité est constante et l’auditeur est captivé par cette Hélène qu’incarne magistralement Adèle Charvet, dont il faut souligner l’exploit, tant l’endurance que la riche palette expressive, de l’insouciance et la fraîcheur juvénile à la gravité visionnaire. Le jeu dramatique est si juste, si vrai, qu’on ne peut imaginer qu’Hélène fût autre, y compris physiquement.

L’écriture instrumentale est un bonheur renouvelé. Colorée, incisive comme suggestive, elle fait appel à toutes les techniques, des accords impérieux aux contrepoints évanescents, avec ou sans le piano. Au mitan, après être apparu auparavant, le molto adagio du Quatuor à cordes n°15 en la mineur (2), de Beethoven, cité parmi d’autres œuvres qu’Hélène jouait avec ses amis. L’émotion en est forte. Auparavant, de Schumann, le 13e lied de Dichterliebe (« Ich hab’ im Traum geweinet ») avait été confié à notre soliste, évocation de l’amour que lui inspire Jean. Les citations, discrètes, s’intègrent idéalement au discours musical, dont la fluidité ne se démentira jamais.

Après les derniers mots qu’Hélène chante (« Horror, horror, horror », empruntés à Shakespeare, Macbeth), en disparaissant dans l’obscurité, chacun des instrumentistes, tour à tour, se voit confier une phrase du récit, daté, énoncé de façon neutre, de la déportation à la mort d’Hélène, sur un tissu instrumental qui se raréfie jusqu’à ce que le violoncelle ponctue le temps de frappes régulières de l’archet sur les cordes, tel un glas, ou les derniers battements du cœur (3).

Côté jardin, un petit bureau éclairé d’une lampe, et sa chaise, deux autres chaises, c’est tout. La réalisation scénique de Matthieu Cruciani est une absolue réussite : le cadre noir de la scène n’est occupé que par huit panneaux de tulle, disposés judicieusement, dont les mouvements et les dispositions, servis par des éclairages appropriés (Kélig Le Bars), structurent l’espace, du confinement au vide (4). L’ombre incertaine, menaçante s’y conjugue à la lumière, intime et chaude du bureau, ou froide, glaciale. Les costumes de Thibaut Welchlin, seyants, imités des années de guerre, habillent Hélène en fonction des scènes. Le quatuor Béla, aligné en fond de scène, équilibre le piano de Jeanne Bleuse. Leur prestation, inspirée, millimétrée, traduit leur complicité au chant et à la narration. La beauté pour un drame humain et universel.

Que ce soit à Colmar (6 & 8 déc.), Strasbourg (13, 16, 19 & 21) et Mulhouse (le 12 janvier), il faut absolument partager ce moment intense, juste, plus approprié que jamais aux temps que nous traversons. Cela relève de la beauté pure, de l’émotion, autant que de la nécessité éthique.

(1) Chaque intervention de la soliste est précédée du jour de son écriture.
(2) Ce quinzième quatuor « n’est pas voué à l’expression, mais à la passion, en une évolution psychologique constante qui suggère presque un commentaire extramusical. Parmi les derniers quatuors de Beethoven, la personnalité du quinzième est probablement la plus distincte de toutes, peut-être parce que la plus angoissée ». Patrick Skersnovicz, « Le Monde de la musique » (196), février 1996.
(3) L’émotion nous submerge alors, hélas dérangée par quelques auditeurs dont les acclamations fusent aussitôt, alors que le silence s’imposait, recueilli…
(4) Au terme du monodrame, seul l’observateur attentif pouvait observer que l’assemblage des panneaux, à mi-hauteur, formait une monstrueuse croix gammée, ce qu’un voisin attentionné m’a fait remarquer.

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Costumes
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Lumières
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Piano
Jeanne Bleuse

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