Parti du théâtre du Châtelet à Paris, passée par Nancy en octobre dernier , la production de l’Orlando de Haendel par les Talens Lyriques faisait une dernière étape au Grand Théâtre de Luxembourg. Inutile de revenir sur la description du spectacle, déjà couverte par deux fois, mais on ne saurait faire l’impasse sur l’inutilité des partis pris de la metteuse en scène : pourquoi situer l’action dans un musée, et pourquoi peupler ce musée d’une classe entière d’enfants, alors que le sujet de l’opéra – la jalousie conduisant à la folie et au crime – semble bien éloigné du monde enchanté de l’enfance. Les quelques explications à ces choix, données dans le programme du spectacle, ont trait au rapport au temps : Jeanne Desoubeaux souhaite permettre au public de jeter un regard d’aujourd’hui sur une œuvre du passé, dont acte. Elle rassemble donc pour son musée imaginaire quelques toiles ayant trait à l’époque de la création de l’œuvre et au sujet qu’elle traite. Tout cela est néanmoins peu cultivé et très imprécis : la toile d’Elisabeth Vigée-Le Brun, magnifique autoportrait de la peintre avec sa fille censé évoquer le XVIIIème siècle, est en décalage de plus d’un demi-siècle avec l’opéra de Haendel, et c’est une toile éminemment française sans grand rapport avec l’esthétique de l’œuvre, qu’on peut si l’on veut rattacher à l’Italie, à l’Allemagne ou à l’Angleterre, mais surement pas à la France. Il en va de même pour les costumes, eux-aussi très fin de siècle et très français d’inspiration. La présence quasi constante des enfants et leurs mouvements incessants présentent bien entendu l’avantage d’apporter un peu d’animation sur la scène, bienvenue pour meubler les longs arias da capo qui constituent le cœur musical de l’opéra et où il ne se passe rien, mais sont rarement porteurs de sens : sont-ils les anges gardiens des personnages perdus dans leurs affects, des putti baroques à l’italienne ou les doubles innocents des différents intervenants ? Si c’est le cas, le travail est inabouti et n’éclaire guère le spectateur. Tout un travail sur la gestuelle des protagonistes, aux limites de la chorégraphie, peine à caractériser les personnages, leurs sentiments, l’irruption soudaine du surnaturel et de la violence, ne suscite guère d’émotion, et parait très vain. Peut-être l’ensemble de la production manque-t-il simplement de l’intervention d’un bon dramaturge, qui aurait pu canaliser l’inspiration de la metteuse en scène…
Les photos en témoignent, le spectacle apporte cependant son lot de beaux tableaux scéniques, mais un peu chichement éclairés, de sorte que l’action se déroule dans un univers esthétique plutôt favorable, que renforce encore la présence de quatre arbres de belle taille, figurant les jardins du musée.
Au plan musical, la satisfaction est bien plus grande. La rigueur stylistique, la précision de la réalisation et l’enthousiasme des Talens Lyriques que dirige l’infatigable Christophe Rousset – aidé ici par Korneel Bernolet – sont remarquables. L’orchestre, fort mis en avant par les caractéristiques acoustiques de la salle, sonne magnifiquement bien et livre tout une série de détails de la partition qui charment l’oreille. La sonorité très originale des violette marines, sorte de violes d’amour qui interviennent au troisième acte est une véritable découverte, et le continuo particulièrement dynamique et inspiré soutient sans cesse l’intérêt musical.
La distribution qui a un peu varié au fil des reprises du spectacle tout au long de l’année semblait dominée hier par l’Angelica de Mélissa Petit, souveraine par l’ampleur de la voix, fort à son aise dans les difficiles vocalises du rôle, et maîtrisant son personnage avec autorité. La mezzo Katarina Bradic qui tenait le rôle-titre, originellement écrit pour un castrat, le célèbre Senesino, alors coqueluche de la Royal Academy of Music de Londres, possède une voix aux résonances graves magnifiques qu’elle exploite fort à propos, mais finit par montrer une certaine fatigue lors des scènes de folie au troisième acte.
Délicieuse dans le rôle de Dorinda, Michèle Bréant à la voix pleine de charme parvient à préserver le caractère de pureté de son personnage, même lorsque la mise en scène l’oriente de façon inexplicable – à placer au Panthéon des provocations inutiles – vers un plan à trois avec Angelica et Medoro. C’est Rose Naggar-Tremblay, contralto d’origine canadienne, qui interprète ce dernier rôle, avec beaucoup d’aisance scénique et une belle force de conviction. Olivier Gourdy, transposé par la mise en scène de démiurge en technicien de surface peine un peu à s’imposer. La voix possède les graves nécessaires, mais la diction est fort paresseuse et le légato peu soutenu. L’autorité du personnage en souffre, ainsi que sa crédibilité, beaucoup de scènes paraissent sur-jouées.