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KILAR, Bram Stoker’s Dracula (ciné-concert) – Paris

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Spectacle
29 octobre 2025
Messe pour Dracula (et quelques succubes)

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Bram Stoker’s Dracula in Concert
Création française de la version ciné-concert

Bram Stoker’s Dracula

Film produit et réalisé par Francis Ford Coppola

Etats-Unis et Royaume-Uni, 1992

Musique composée et orchestrée par Wojciech Kilar

 

 

Détails

Arrangements
Thomas Bryla

Synchronisation de la partition
Don Davis

Solistes
Bérénice Arru*, Neima Naouri

Orchestre de Paris

Choeur de l’Orchestre de Paris

Choeur de jeunes de l’Orchestre de Paris

Direction artistique et direction
Frank Strobel

Chef de choeur
Richard Wilberforce

Chefs de choeur associés
Rémi Aguirre Zubiri, Edwin Baudo, Evann Loget-Raymond, Béatrice Warcollier

Violon solo
Eiichi Chijiiwa

*soliste du Choeur de l’Orchestre de Paris

Paris, Philharmonie de Paris, le jeudi 23 octobre 2025, 20h

 

 

 

Pour un génial cinéaste comme Francis Ford Coppola, il est impossible de ne pas s’approprier une œuvre de commande sans en faire un manifeste très personnel (ici de déférence cinéphile passionnée). Cette œuvre, c’est Dracula (Bram Stoker’s Dracula en VO) sortie en 1992, une commande acceptée pour survivre à la faillite de son propre studio Zoetrope et sur les instances de Winona Ryder (rôle de Mina Murray), actrice puissante alors à Hollywood. Francis Ford Coppola va réunir les meilleurs artisans et techniciens pour reconstituer en studio les atmosphères et décors extraordinaires rêvés à partir du scénario du brillant roman épistolaire de Bram Stoker, revisité dans le scénario de James V. Hart en une histoire d’amour éternel plutôt que d’horreur. Pour Coppola, de surcroît, la figure du vampire traversant les siècles et abolissant la mort va devenir une métaphore du pouvoir du cinématographe créé en 1895 (soit deux ans avant la publication du roman), capable lui aussi de conjuguer fascinante dévoration (la fameuse pulsion scopique), dons d’ubiquité et d’éternité par l’image. Le Comte Dracula emmène d’ailleurs l’héroïne au cinématographe, suscitant les images muettes de ses fantasmes. Après des siècles de déréliction, la découverte en 1897 par le Comte Dracula du sosie (Mina Murray, rencontrée dans un plan tourné avec une antique caméra Pathé) de sa fiancée suicidée, Elisabeta pour laquelle il s’est damné en 1462 et la victoire finale de l’amour et du Bien sur le Mal sont donc au coeur d’un film magnifique où le travail de recherches cinématographiques va se révéler tout aussi vampirique que le héros. Avec son fils Roman à la tête de la Seconde équipe, Coppola va refuser les trucages modernes des années 90 pour revisiter (après ingurgitation vient la régurgitation, à l’image des nombreuses scènes sanglantes horrifiques) les procédés des films fantastiques mais pas seulement, de son propre panthéon ; hommages répétés à G. Méliès, effets à la J. Cocteau (on passe à l’équipe La Belle et la Bête avant le tournage), séquences hantées par les surimpressions inspirées du Nosferatu et du Faust de F. W. Murnau, dues au V. Sjöström de La Charrette fantôme, fausses perspectives et plans inversés expressionnistes, agogique cinétique du récit et cadrages délirants venus des avant-gardes (tel le Ciné-Oeil expérimenté par Dziga Vertov dans L’Homme à la caméra), entre autres. Les recherches iconographiques ne sont pas moins riches, des églises orthodoxes de Bucarest (voir la photo ci-dessous prise dans l’église de l’ancienne cour princière de la capitale représentant Mircea Voevod et Doamna Chiajna, modèles évidents des personnages joués par Gary Oldman et W. Ryder en souverains médiévaux), de l’autoportrait d’Albrecht Dürer aux tableaux de Gustav Klimt, sans oublier les romans d’anticipation à la Jules Verne voire les décadents. Comment plonger le spectateur dans une expérience visuelle désorientante, celle d’un génie du Mal venu de Transylvanie ? en apportant une âme slave à la bande originale. Coppola songe d’abord à confier la musique à Witold Lutoslawski qui refuse, puis choisit Wojciech Kilar, compositeur contemporain et compagnon de longue haleine de cinéastes tels A. Wajda, K. Zanussi, Paul Grimault (depuis Wojciech Kilar a composé plus d’une centaine de musiques de films pour les plus grands noms du cinéma mondial). Il a déjà composé de la musique religieuse, des symphonies, des concertos, de la musique de chambre, avec une inspiration venue du folklore polonais, mais aussi de la musique française grâce à l’enseignement de Nadia Boulanger.

Pour Dracula, le compositeur formé au Conservatoire de Katowice, membre de l’avant-garde dans les années soixante avec Krzysztof Penderecki et Henryk Górecki, enrichit son écriture de facture minimaliste, rythmée par la répétition, à l’atmosphère méditative, de thèmes mélodiques élégiaques portés par les cordes mais aussi de chants religieux, parfois dignes d’une messe noire. Après un Prologue (scène de Vlad Tepes en 1462) porté par un choeur aux mélopées angoissantes, et le thème lié au vampire identifié par le crescendo des traits pulsés, rageurs et répétés des cordes graves (particulièrement ceux du violoncelle), dont la rythmique puissamment expressive évoque la circulation sanguine que meut le coeur battant de ses victimes (circuit que Dracula peut deviner à travers la chair des corps grâce à ses pouvoirs monstrueux), s’opposera (avec l’entrée du personnage de Mina Murray) à celui de l’amour et de la lumière développé par les violons, les bois, la harpe et une mélopée aérienne du soprano (magnifique Bérénice Arru). L’utilisation souveraine des dissonances, des déformations sonores extrêmes, des éclats bruitistes de sa jeunesse par Wojciech Kilar contribuent pleinement à ajouter à la vision de ce film d’horreur gothique une expérience sensorielle du malaise. Avec des moyens ambitieux (un double choeur doté d’une centaine d’artistes – les superbes Choeurs de l’Orchestre de Paris, celui des jeunes maintenant la tension dramatique et l’inquiétude grâce à des mélopées lancinantes, avec une phalange quasi wagnérienne composée d’interprètes impeccables de l’Orchestre de Paris) au service d’une orchestration à la science très sûre, la musique de Wojciech Kilar a donc été à l’honneur dans ce ciné-concert dirigé d’une main experte par le chef allemand, Frank Strobel (en lieu et place d’Anton Coppola pour la bande originale). L’expérience se révèle géniale : revoir avec un accompagnement musical d’une telle force émotionnelle (irremplaçable grâce au direct) ce film à la grandiose beauté, non dénuée d’ironiques citations de l’esthétique trash des studios de la Hammer, est une redécouverte. Avec cet orchestre et ces choeurs en phase parfaite avec le déroulement des séquences, leur donnant des couleurs uniques, le public jeune venu nombreux à la Philharmonie de Paris, visiblement pas habitué au concert classique, a manifesté un enthousiasme qui augure bien de l’avenir de la musique savante, quand elle sait susciter le désir – en l’occurrence ici par le biais de la musique de films d’excellente facture. Quoi qu’on dise, le chant a capella pour la séquence finale du Choeur des Jeunes de l’Orchestre de Paris bien préparés s’est révélé bien plus bouleversant que la chanson (écrite et chantée par Annie Lennox au générique) ici interprétée par Neima Naouri. De quoi oublier la qualité médiocre de l’image numérique de la copie du film (seul bémol à l’exercice).

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Bram Stoker’s Dracula in Concert
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Bram Stoker’s Dracula

Film produit et réalisé par Francis Ford Coppola

Etats-Unis et Royaume-Uni, 1992

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Don Davis

Solistes
Bérénice Arru*, Neima Naouri

Orchestre de Paris

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Chefs de choeur associés
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Paris, Philharmonie de Paris, le jeudi 23 octobre 2025, 20h

 

 

 

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