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Hommage à Puccini — Nancy

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Spectacle
10 octobre 2008
Le triomphe d’un Grand

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Concert lyrique José Cura

Airs, duos, ouverture et intermezzi d’opéras de

Giuseppe Verdi, Ruggero Leoncavallo, Antonin Dvorak, W. A. Mozart et Giacomo Puccini,

en hommage au compositeur dont on fête le 150e anniversaire de la naissance

José Cura, ténor

Julija Samsonova , soprano

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy

Direction musicale, Mario De Rose et José Cura

Opéra national de Lorraine, Nancy, 10 octobre 2008

Le triomphe d’un Grand et l’éclat d’un jeune talent

Tout ne commença pas sous les meilleurs auspices, la basse Jan Stava fort remarquée lors des masters classes de l’année dernière et devant participer au concert, déclarant forfait pour des raisons de santé. La soirée reposait donc sur les épaules de José Cura et du soprano Julija Samsonova, également lauréate des masters classes tenues par le grand ténor argentin dans la capitale des ducs de Lorraine. Deux au lieu de trois, pouvait-on penser, le concert pouvait tout de même voguer ! Le problème reposait en fait sur la conscience professionnelle et la générosité des interprètes. Ceux-ci pouvaient en effet s’accommoder d’utiliser les bis pour suppléer aux morceaux prévus pour la basse, mais cela supprimait un beau cadeau certainement attendu par le bublic… La solution fut tirée d’un beau compromis : on utilisa les bis, dont un prévu avec Jan Stava (sa partie fut reprise par un étonnant et intarissable José Cura !), et le public reçu d’autres inoubliables cadeaux, assumés par la générosité d’un véritable grand chanteur. Mais avant de détailler ces étincelantes surprises, voyons les choses dans l’ordre.

Un beau monde garnissait le décor rouge, crème et or, aux subtiles volutes XVIIIe de l’Opéra de Nancy et, dans la Loge d’Honneur, à côté de la fine fleur nancéienne, on notait la présence calme et désinvolte mais attentive, du Médecin-mécène à l’origine de l’association Nancy Opéra Passion qui offrait à ses concitoyens le plus beau cadeau imaginable.

L’intermezzo de I Pagliacci nous plongeait d’emblée dans le monde de l’opéra italien de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le Maestro Mario De Rose, habituel collaborateur du grand ténor argentin, sut le faire aborder par l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy avec une belle fluidité et une chaleur passionnée mais dépourvue d’emphase. Le même opéra comporte l’un des airs les plus connus du répertoire et José Cura exprima —d’emblée, à froid !— la détresse du personnage, inventée à un point rare d’intensité par un Leoncavallo magnifiquement inspiré. Point d’effets appuyés ni de sanglots inopportuns, mais juste ce qu’il faut de « vérisme », pour employer cette étiquette commode mais imparfaite, on le sait, pour désigner la « Jeune Ecole italienne ». Il faut évidemment faire avec la façon de chanter d’aujourd’hui et donc pas « d’allongement » à la Beniamino Gigli, qui faisait durer et durer ce « Ri-di, Pa-glia-a-ccio ! ! » de manière saisissante.

Au point de vue genre de musique, l’air de Rusalka contrastait évidemment avec la si chaleureuse manière de la « Giovane Scuola », mais le soprano Julija Samsonova, toute modestie souriante, eut tôt fait d’intéresser l’auditoire, animant l’air, le faisant vibrer comme pour hausser cette musique à la nostalgie slave, vers la passion brûlante de l’opéra italien. On apprécia vite la fraîcheur et la luminosité d’un timbre pourtant corsé, et que l’interprète sait colorer, avec une notable maîtrise du souffle, rappelant que le jeune soprano avait été fort remarqué lors des masters classes que le grand ténor avait conduites l’année dernière.

Après la suppression par Verdi de l’amère cabalette finale du troisième acte de La Forza del destino, Don Alvaro n’a plus qu’un grand air, où l’on entend comme un adieu au Romantisme des jeunes années du compositeur. Une clarinette toute donizettienne prélude en effet avec un beau thème mélancolique avant l’attaque du récitatif. Faisant sienne la douleur si poétique que le personnage exprime dans cet air, José Cura nous donnait l’envie de l’entendre dans le rôle tout entier, et l’on rêvait de le voir revêtu des perruque et jabot en dentelle de Don Alvaro, attaquant la plainte poignante de son duo avec le baryton : « Le minaccie, i fieri accenti »…

Reprenant à peine son souffle, José Cura saisit la baguette pour attaquer la célèbre ouverture du même opéra, rappelons au passage que l’Artiste reçut d’abord une formation de chef d’orchestre avant de devenir ténor, ce qui garantit un parfait équilibre entre les deux aspect. Trop de chefs en effet brillent au risque d’essouffler les chanteurs, peinant à suivre la précipitation maladive, et parfois bruyante, malheureusement en vogue aujourd’hui. Rien de cela chez José Cura, véritable « maestro concertatore e direttore », selon l’expression italienne consacrée, et que l’on entend encore aujourd’hui sur les ondes de la R.A.I. retransmettant concerts ou opéras. Il insuffle une intensité dosée, nerveuse sans précipitation, brillante sans clinquant, à cette ouverture tant entendue. « Le destin de la soirée est entre les mains du chef d’orchestre », déclarait le lendemain, le grand ténor ayant aimablement accepté de répondre à nos questions ; « il soutient, repère tout, et doit assurer la liaison entre les instrumentistes et les chanteurs », ajoutait le Maestro-Tenore, rappelant qu’il existe des chefs d’opéra dirigeant tête baissée, uniquement soucieux de l’orchestre.

Du reste, cette union des qualités d’interprète et d’accompagnateur attentif aux chanteurs se retrouve chez le Maestro Mario De Rose, non pour rien collaborateur fidèle du grand Ténor argentin. Sous sa direction, l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy ne sonne jamais au détriment des chanteurs mais s’équilibre avec leur performance vocale. Finesse et intensité dramatique, chaleureuse mais non outrancière, sont également les qualités que le chef italien déploie à la direction des morceaux symphoniques, nous distillant notamment, dans la seconde partie du concert, un intermezzo de Manon Lescaut à la poésie retrouvée.

Le duo final de l’acte I d’Otello terminait la première partie et les couleurs déployées par le chant de Julija Samsonova se mêlèrent avec bonheur à la chaleur nuancée et tout en maîtrise que démontra le grand interprète.

La seconde partie du concert lyrique était consacrée à Giacomo Puccini, en hommage au compositeur dont on fête le cent-cinquantième anniversaire de la naissance. On avait eu la bonne idée de choisir des morceaux moins connus comme l’air de Luigi dans Il Tabarro, bref mais intense d’amertume pour un personnage narrant la désespérante médiocrité de sa vie (Luigi est un pauvre débardeur), sentiments admirablement rendus par José Cura, qui put épanouir la générosité très à la Mario Del Monaco de son chant si chaleureux, faisant également merveille dans l’air « Ch’ella mi crede » de La Fanciulla del West. On l’attendait dans le lamento de Tosca « E lucevan le stelle », peut-être l’air d’opéra le plus connu dans l’absolu… si ce n’était La donna è mobile de Rigoletto. Maîtrise du chant, richesse des sonorités, legato, intensité impressionnante furent mis au service du génial compositeur ayant si bien traduit en musique la poésie dans le désespoir.

Comme autres morceaux peu connus et judicieusement choisis, on pouvait découvrir une Romance de Le Villi, premier opéra du Maître de Lucques, chantée par une Julija Samsova radieuse et le duo d’amour qui dans l’opéra suit immédiatement cet air. L’adjonction de la voix de José Cura complétait le charme, le ténor connaissant bien le rôle qu’il confia au disque avec une saisissante interprétation du fort difficile grand air du second acte.

Un autre duo puccinien, fort connu celui-là, le finale du premier acte de La Bohème, devait réunir les deux interprètes, qui eurent la touchante idée de s’éloigner doucement pour sortir de scène comme prévoit l’action, et de lancer leur long aigu final sur le mot « Amor ! ! ! ». C’est alors que l’on put apprécier le tact de l’homme José Cura, rejoignant celui de l’artiste : le soprano eut un problème avec la note prolongée et dut l’arrêter assez tôt, or son Rodolfo qui, lui, aurait pu tenir l’aigu, l’arrêta également, par sympathique solidarité ! Combien d’enregistrements sur le vif montrent le contraire, certains chanteurs cédant à la tentation — compréhensible du reste — de briller au lieu de faire preuve de camaraderie, et prolongeant ainsi un aigu que l’infortuné partenaire, à bout de souffle, avait dû laisser tomber.

Le moment de la fin du concert et donc de la prise de congé d’un public rempli d’enthousiasme sonna… alors que chacun se demandait quels cadeaux pouvaient nous réserver des chanteurs ayant déjà tant donné en remplacement de leur compagnon souffrant… Avec la simplicité bon enfant qui le caractérise, le grand ténor s’adressa alors au public, expliqua la récupération des bis pour combler l’absence du troisième artiste… et le manque de ses lunettes disparues, qui lui auraient permis à la rigueur d’interpréter un morceau hors bis, pour ainsi dire. Qu’à cela ne tienne, s’écria un monsieur des premiers rangs d’orchestre, et il tendit ses propres lunettes au ténor qui, réaliste, lui demanda quelle correction elles présentaient… « Oh ! j’ai à peu près tout ! », répondit avec une résignation humoristique le monsieur, augmentant encore l’hilarité de la salle, déjà amusée et ravie à l’idée d’entendre encore du grand beau chant.

On eut droit alors au charmant duo de Don Giovanni « Là ci darem la mano », joliment perdu au milieu de ce flamboyant XIXe siècle italien émaillé de tchèque, le Ténor se faisant étonnamment baryton-basse pour l’occasion, et complétant par la grâce de son interprétation la délicatesse fruitée de Julija Samsonova.

Ce fut ensuite un tourbillon lyrique dans lequel le public se laissa tourner la tête avec délices : enchaînant de nouveaux bis, l’art de José Cura faisait encore une fois merveille, que dis-je ! deux fois ! car le public à peine remis de l’éblouissement d’un florissant — c’est le cas de le dire— : « Addio, fiorito asil » de Madama Butterfly, retrouvait l’émotion maximale avec un « Nessun dorma » de Turandot, grand succès d’un Grand parti trop tôt, et redonné ici par un José Cura survolté, donnant le maximum de ses couleurs, de son expression… au point que le public tout entier éclata en applaudissements, alors que l’orchestre jouait encore (!), et fortissimo, la triomphante conclusion du morceau, ineffable effet de superposition d’apothéose musicale et d’enthousiasme méditerranéen, impensable au nord de la France !

« C’est italien : les gens se rouleront par terre, ils seront contents », avait dit avec condescendance quelqu’un de la direction… eh bien, c’est en fait une salle debout, du parterre aux galeries, qui ovationna José Cura à la fin de sa performance. Du jamais vu à l’Opéra de Nancy en trente-quatre années de fréquentation !… et pourtant, nos premiers pas timides dans ce somptueux palais où se disputent les styles Louis XV et Louis XVI dans le sillage d’un parfum Art nouveau, en cette lointaine année 1974, voyaient s’épanouir les talents d’un autre grand ténor : Carlo Bergonzi.

On se réjouit de revoir le Maestro Cura lors des master classes de l’année prochaine, dans lesquelles il va transmettre sa conception du métier de chanteur à des jeunes interprètes. Il le définit du reste volontiers ainsi : « c’est le métier d’un acteur qui au lieu de parler, chante. Il ne doit pas seulement bouger, il doit parvenir à une conception psychologique de son personnage, adopter son identité psychologique malgré la musique qui en fait nous arrange, en ce sens que grâce à cette forme d‘expression que constitue la musique, l’on ne ressent pas un besoin impératif de caractériser le personnage… il le faut pourtant, absolument ! ». Le pauvre chanteur doit éviter un autre écueil : on ne doit pas « voir » (c’est-à-dire entendre) sa technique, sinon, « il n’est pas un bon chanteur, et se trouve comparable à un acteur qui surjoue. » En somme, le chanteur, doit « être soi-même, tous les autres rôles sont déjà pris. », conclut le Maestro-Tenore, avec une philosophie souriante mais déterminée.

Fort de cette belle conception, on souhaite une heureuse poursuite de carrière au Maestro Cura, en attendant de retrouver son art et sa croyance dans l’opéra, mis à la disposition de jeunes chanteurs, mais aussi la simplicité chaleureuse de l’Homme, à la hauteur du grand Artiste.

Yonel Buldrini

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