Après-midi royale, ce dimanche à l’Opéra Grand Avignon, que cette version concertante de Maria Stuarda, brillante adaptation par Donizetti d’une pièce majeure du poète allemand Friedrich Schiller !
Dans cette tragédie sans suspense – le sort de Maria est scellé d’emblée –, vouée tout entière ou presque à l’étude psychologique de deux caractères opposés que quelques élans amoureux viennent à peine altérer dans leur cheminement inexorable vers des buts différents, la confrontation (historiquement sans fondement) entre la reine d’Écosse et sa geôlière Élizabeth d’Angleterre est devenue une référence obligée du théâtre – voir les Exercices pour comédiens de Brecht ou plus récemment Ulrike Maria Stuart du prix Nobel de littérature Elfriede Jelinek. Elle est aussi l’une des plus célèbres disputes de la scène lyrique, conduisant même en 1834, dans une confusion entre la fiction et la réalité (tel est le pouvoir des mots et des situations extrêmes), à une querelle en règle entre les premières interprètes de l’opéra, qui en vinrent aux mains lors d’une répétition.
Rien de tel, heureusement, lors de cette représentation, même si les interventions des reines ennemies sont saluées aussi bruyamment que les points marqués lors d’un pugilat. C’est que les interprètes, même en l’absence de mise en scène, se donnent corps et âme au chant qui, avec la musique, recèle une puissance dramatique rendant finalement secondaire – ou illustrative – une mise en scène qui ici n’est pas proposée.
Voix puissante, technique impeccable et magnifique diction, Karine Deshayes s’impose d’emblée comme une Elisabetta d’une incontestable autorité, laissant percer sous les accents dominateurs de ses ordres l’intime besoin d’amour d’une reine crainte et isolée. Construisant d’abord par le volume et la projection sonores l’image monolithique de la souveraine toute puissante, elle use savamment des changements de tempo et de tonalité pour nourrir son personnage des affects inavoués ou concédés en aparté.
Patrizia Ciofi est une Maria Stuarda merveilleusement émouvante, qui dissimule sous l’aisance et l’apparente simplicité du chant le travail considérable que nécessite le rôle, dans sa virtuosité, ses nuances, dans ses passages a cappella si exposés, dans l’intensité et la tension des airs qui ménagent si peu de respirations. À la fin de la célèbre scène de l’affrontement, elle ne cède pas à la facilité du cri ni de l’excès d’emphase dans la réplique assassine (« Figlia impura di Bolena ») comme trop souvent, hélas, dans les représentations scéniques. Elle compense par la dignité même de l’émission la vulgarité de l’injure. Dans le dernier acte, les inflexions de l’air « Ah ! se un giorno da queste ritorte » arracheraient des larmes aux auditeurs les plus endurcis.
À côté de ces deux grandes dames du chant, Ludivine Gombert fait bonne figure en Anna Kennedy, avec une présence et une fermeté vocale impressionnantes. Les trois titulaires des rôles masculins se montrent à la hauteur de l’enjeu, en dépit de la moindre importance de leurs interventions. Michele Pertusi donne à Talbot une grande noblesse de timbre et l’équilibre de sa basse généreuse illustrant l’autorité morale du personnage, tandis que Yann Toussaint, un peu en retrait au début, s’affirme progressivement dans le rôle de Cecil pour lui donner toute la force dramatique requise lors de son entretien avec Elisabetta à la suite de l’entrevue avec Maria. C’est le ténor espagnol Ismaël Jordi qui reprend ici avec Leicester un rôle qu’il avait interprété à Londres en 2014, dans lequel il déploie beaucoup d’expressivité – y compris dans sa gestuelle et ses mimiques –, très émouvant du début à la fin, même s’il force un peu dans l’aigu là où plus de nuances seraient attendues.
Les interventions du Chœur de l’Opéra Grand Avignon, parfaitement maîtrisées, produisent de très beaux effets sonores, notamment dans l’ultima scena. L’Orchestre Régional Avignon-Provence est d’une précision admirable, avec une palette de couleurs subtile et séduisante, et des interventions solistes de toute beauté (la clarinette, dès le début, les cuivres et bassons ensuite, les trompettes, la flûte, la harpe enfin pour la prière, et tout au long de l’opéra le rôle de la timbale). L’une des vertus de la version de concert est de rendre visibles les instrumentistes, ce qui donne aussi à voir – et non seulement à entendre – la fonction dramatique de l’écriture musicale de Donizetti. Le chef Luciano Acocella maîtrise de manière souveraine les tempi, les respirations, dont il tient compte pour distribuer les entrées dans le souci constant de la dimension dramatique et de ses interruptions par les applaudissements qui ponctuent les airs. Le concertato notamment, avec les entrées successives et la superposition des voix des six apartés, révèle pleinement, comme l’ensemble de cette représentation, le talent de sa direction musicale.