En tournée à travers l’Europe, Cecilia Bartoli et Lang Lang ont fait escale à Paris, le temps d’un concert prestigieux à la Philharmonie qui, pour l’occasion, affichait salle comble. Les deux artistes, unis par une complicité de longue date, entrent sur la scène, longuement applaudis par un public enthousiaste. Lui, portant chemise et costume noir, elle, arborant successivement deux robes somptueuses et presque identiques, la première d’un rouge écarlate, la seconde vert émeraude, un clin d’œil sans doute aux couleurs du drapeau de son pays. C’est un programme copieux, éclectique et varié que les deux stars ont concocté, qui couvre plus de deux siècles de musique, de Scarlatti à Puccini, en passant par le baroque italien, le bel canto et la mélodie française. Un programme qui témoigne de la versatilité des interprètes et de leur capacité à rendre justice avec bonheur à des compositeurs d’écoles et de styles aussi différents.
La première partie fait la part belle à la musique baroque avec des airs isolés, maintes fois rabâchés par des générations de chanteuses, tels « Se tu m’ami » ou « Caro mio ben », auxquels Cecilia Bartoli apporte une intensité inédite, des extraits d’opéras comme le rare I zingari in fiera de Paisiello, ou d’oratorio, en l’occurrence le fameux « Lascia la spina » que la mezzo-soprano italienne chante depuis des années mais dont elle semble renouveler l’interprétation à chaque fois. Son legato souverain, la perfection de ses trilles, son art de la demi-teinte et sa manière de varier les couleurs font merveille dans cette célèbre page que Lang Lang conclut par une superbe coda dans un silence recueilli. Cette partie culmine avec la longue cantate Arianna a Naxos de Haydn dont la chanteuse livre une interprétation à couper le souffle, tant elle est incarnée et tant sont mis en valeur avec justesse les différents affects de l’héroïne, la mélancolie, l’effarement, la colère et le désespoir enfin, dans un final mené à un train d’enfer. Puis, Cecilia Bartoli repose sa voix le temps d’un impromptu de Schubert, sous les doigts délicats de Lang Lang avant d’aborder, un éventail noir et or à la main, « Una voce poco fa », l’air de Rosine qui fut son premier rôle au théâtre en 1988. Malgré les années, la voix, toujours saine, n’a rien perdu de son éclat, mieux, le medium a gagné en consistance et l’aigu en volume. Si la cantatrice sollicite un peu moins que naguère son suraigu dans les variations, sa technique est toujours souveraine et les pyrotechnies vocales, accompagnées par un Lang Lang endiablé, déchaînent l’enthousiasme du public.
©Marco Borelli
Plus apaisée, la seconde partie fait la part belle à la mélodie. L’art de la mezzo-soprano lui permet de différencier subtilement les trois premières pages si éloignées stylistiquement les unes des autres : Mélancolique dans L’Orpheline du Tyrol, elle se fait mutine dans l’étonnante Coccinelle de Bizet, petit chef d’œuvre de comique musical, avant de se lancer dans une interprétation débridée des Filles de Cadix en s’accompagnant avec des castagnettes pour la plus grande joie de l’auditoire. Puis elle passe avec le même bonheur de la nostalgique Vaga luna bellinienne à la facétieuse Me voglio fa ‘na casa, une chanson napolitaine de Donizetti avant de nous proposer un florilège de petites ariettes de Puccini qui constituent une jolie découverte, suivies de l’incontournable « O mio babbino caro » dont elle souligne le côté dramatique avec beaucoup d’émotion. Une chanson de De Curtis, précède l’inusable Danza de Rossini au cours de laquelle la cantatrice, un tambourin à la main, et son pianiste, plus complices que jamais, multiplient les variations à l’envi. Tout au long de la soirée Lang Lang s’est révélé un accompagnateur de haute volée, avec une rare capacité à s’adapter aux styles des divers compositeurs choisis par sa partenaire à qui il a proposé un soutien sans faille. Ses quelques pages en solo ont été des moments de grâce, notamment son Clair de lune de Debussy, planant dans un silence quasi religieux
Trois bis viennent conclure cette soirée féerique, l’air de Chérubin de Mozart qui est avec Rossini, l’un des compositeurs fétiches de Cecilia Bartoli depuis ses débuts, puis « Non ti scordar di me » de De Curtis, une mélodie de salon délicatement nostalgique, et pour finir sur une note ensoleillée, l’incontournable « O sole mio ».
[modification] : le présent article a été modifié le 13 novembre à 09:21 sur intervention du conseil de rédaction.