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STRAUSS, Vier letzte Lieder – Besançon

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Spectacle
18 septembre 2024
A toute chose malheur est bon

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Détails

Camille Pépin
Vajrayana, pour orchestre (2015)

Richard Strauss
Vier letzte Lieder, AV 150

Piotr Ilytch Tchaïkovski
Symphonie n°6 « Pathétique », en si mineur

 

Dorothea Herbert, soprano

Orchestre Philharmonique de Stuttgart

Direction musicale
Andrey Boreyko

Besançon, Festival, Théâtre Ledoux, 16 septembre 2024, 20h

 

Alors que le public attendait Gabriela Scherer comme soliste, et Dan Ettinger à la direction, ni l’une ni l’autre n’auront été disponibles… Si le remplacement du dernier était connu, ce n’est qu’au début du concert que l’annonce est faite de la présence de Dorothea Herbert. L’attention n’en sera que redoublée. L’Orchestre Philharmonique de Stuttgart, dans sa plus grande formation, sera la troisième découverte de cette extraordinaire soirée.

Nous laisserons les spécialistes du bouddhisme disserter sur cette forme ésotérique, tantrique, que représente le Vajrayana, qu’illustre l’une des premières compositions pour orchestre (2015) de Camille Pépin. L’aménagement du Théâtre Ledoux autorise une communion intime entre musiciens et auditeurs. Onirique, étrange par ses textures, par une science de l’écriture où l’on identifie les sources debussystes et l’influence de Messiaen, l’ouvrage a été retenu comme hommage à la France, précisément à Besançon, à laquelle la compositrice doit une part de sa notoriété. L’exercice est redoutable, tant l’écriture virtuose est exigeante. La direction experte de Andrey Boreyko obtient de ses musiciens une précision et un engagement exemplaires, tout en conférant à cette musique toute sa poésie, sa magie et sa vigueur. On est conquis.

Avouons-le comme un enfant qui trempe son doigt dans la confiture (sauf qu’il s’agit d’un tout autre bonheur) : ce sont les Quatre derniers lieder de Strauss qui avaient motivé notre gourmandise. Le changement de soliste comme de chef induisait une certaine perplexité lorsque retentissaient à l’orchestre les premières notes de Frühling. Dorothea Herbert, straussienne comme wagnérienne (elle vient de faire ses débuts à Bayreuth), mais tout autant mozartienne (consacrée à Glyndebourne), a absolument tout pour chanter ces Vier letzte Lieder. La voix, ample, épanouie, au riche medium comme aux aigus lumineux, impressionne dès les premières notes. Un lyrisme juste, contenu, d’une suprême distinction, assorti de couleurs irisées participe à notre émotion. Malgré une articulation qui fait la part belle à chaque syllabe, à chaque mot, bien que connaissant le poème de Hesse, on peine à toujours en saisir le sens (1). Mais n’est-ce pas également le cas de la plupart des solistes, y compris des plus célèbres ? Si la longueur de voix, le soutien ne sont pas en cause, le soin porté au texte la conduit à faire de chaque phrase une parure dont chaque perle est égrenée, fut-ce au détriment du legato. Pourquoi pas, tant les autres qualités sont patentes ? L’orchestre, transparent, tisse un écrin somptueux, frémissant, palpitant, moiré, à la voix, pour cette évocation nostalgique du printemps, de la jeunesse. September lui oppose la réalité de la vieillesse, ultime expression résignée, traduite par une voix ineffable et une formation dont les flûtes suggèrent la chute des gouttes tombant des feuilles. L’orchestre scintille, avec le violon solo donnant la réplique à la voix, d’une exaltation contenue (« l’âme va planer, libre enfin, et vivre mille vies »), dans la berceuse apaisée de Beim Schlafengehen.  Enfin, Im Abendrot couronne le cycle. L’orchestre s’y montre fluide, irréel, bien qu’au grand complet, serein, avant l’entrée de la voix. « Nous sommes las du voyage, serait-ce donc la mort ? ». L’ultime interrogation à laquelle répondent les cors dans ce postlude épuisé, ralenti, diminuendo, nous étreint, comme le long silence qui suit. Résumé et aboutissement de tout l’art de Strauss, aussi magistral dans son écriture vocale qu’orchestrale, c’est certainement l’une des œuvres les plus fortes de tout notre patrimoine musical, vécue ce soir dans sa plénitude, son intimité et sa grandeur.

La fertile carrière internationale d’Andrey Boreyko l’a déjà conduit à enregistrer avec des musiciens de Stuttgart, et sa familiarité confiante à l’ensemble est manifeste. L’orchestre, riche en couleurs, toujours lisible, se montre capable des nuances les plus subtiles, des contrastes les plus impressionnants, et d’une précision diabolique. Ses équilibres, dosés avec soin, autorisent des modelés exemplaires et on ne sait quel pupitre s’y montre le plus juste tant l’excellence est au rendez-vous.  Dans ce que la grande tradition russe, héritée de Mravinski, nous a légué de meilleur, nous allons redécouvrir la célèbre « Pathétique », si souvent galvaudée, qui retrouve ce soir une prodigieuse énergie, où les contrastes accusés, les phrasés, les équilibres conduisent une forme de jubilation désespérée (2), loin des clichés, heureusement débarrassée de toute boursouflure, de tout pathos ajouté. Toujours, ça respire et ça chante jusqu’au cri et au paroxysme, dans un lyrisme jamais dévergondé, avec élégance et raffinement, mais aussi avec une force peu commune, tellurique. Malgré son effectif, l’orchestre est chambriste. La direction est admirable, d’une gestique sobre, explicite, efficace. Ainsi, dans le deuxième mouvement (Allegro con grazia), se fait-elle la plus discrète, réduite à l’essentiel, le chef se préoccupant seulement des départs, de quelques nuances et phrasés : l’orchestre y rayonne, de toutes ses lumières, le bonheur des musiciens se lit dans leur expression. On entend tout, on est suspendu au discours orchestral comme si l’encre de la partition était encore fraîche. Le long et absolu silence qui suit le dernier souffle (quadruple piano) traduit cette communion rare entre l’orchestre et le public. Interminables seront les ovations que lui réservera ce dernier.

Par-delà le changement de distribution, on était droit de s’interroger sur la programmation d’œuvres relevant d’esthétiques aussi éloignées. Au terme de ce concert mémorable, le fédérateur, jamais cité mais dont la lumière est quasi constante, apparaît avec une forme d’évidence : Mozart, dieu tutélaire de Strauss comme de Tchaïkovski, était bien dans la salle. Dorothea Herbert et Andrey Boreyko sont deux très grands artistes, deux noms à garder en mémoire, et il faut savoir gré au Festival de Besançon de nous avoir permis leur heureuse découverte, comme celle des Stuttgarter Philharmoniker. Pourquoi sont-ils si rares dans l’Hexagone, nos organisateurs de concerts seraient-ils sourds ?

(1) Seule réserve : alors que la poésie imagée de Hesse et de Eichendorff gouverne tout, l’écriture vocale comme orchestrale, que chaque mot, chaque évocation trouvent la plus belle des traductions musicales, pourquoi laisser le public dans sa méconnaissance ? Faute de programme de salle, un sur-titrage de leur traduction, sinon de leur texte aurait été bienvenu. 
(2) L’orchestre fête son jubilé. La... jubilation dont il nous gratifie, de Camille Pépin à Tchaïkovsky, n’est-elle pas la marque que les ans n’ont pas de prise sur les institutions conduites avec intelligence ?

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Camille Pépin
Vajrayana, pour orchestre (2015)

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Piotr Ilytch Tchaïkovski
Symphonie n°6 « Pathétique », en si mineur

 

Dorothea Herbert, soprano

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Andrey Boreyko

Besançon, Festival, Théâtre Ledoux, 16 septembre 2024, 20h

 

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