Créé à Venise en 1727, Farnace s’impose comme l’un des opéras les plus souvent repris de Vivaldi et bénéficie d’un enregistrement de référence sous la direction de Diego Fasolis, avec Max Emanuel Cenčić dans le rôle-titre. La version entendue ce soir se fonde sur la reprise de l’œuvre donnée à Pavie en 1731, où le rôle-titre, initialement confié à la contralto Maria Maddalena Pieri, passa à un ténor, probablement Antonio Barbieri.
Belle surprise : ce Farnace annoncé en version de concert s’avère en réalité bien plus qu’une simple exécution musicale. Les chanteurs, en costume, se passent de partitions, incarnant pleinement leurs personnages. La mise en espace conçue par Mathilde Étienne offre un double bénéfice : elle rend l’action lisible, jusqu’au happy end un peu abracadabrant, tout en insufflant une véritable théâtralité à l’ensemble. Emiliano Gonzalez Toro, d’abord à la direction pour l’ouverture, rejoint rapidement ses partenaires chanteurs, ces derniers donnant de temps à autre à l’orchestre des signes de départ ou de rythme. L’ensemble instrumental, disposé sur scène, ménage un espace central où se déploie le jeu, conférant à l’ensemble une énergie communicative. Si la mise en espace est vivante, elle pousse parfois certains chanteurs à fragiliser légèrement leur ligne vocale. De même, le style vocal n’est pas toujours exempt de reproches : on note une tendance systématique à conclure les airs sur une note tenue aiguë, pratique efficace sur le public mais moins séduisante d’un point de vue purement musical.
La distribution réunie ce soir se distingue par la diversité des profils vocaux et quelques belles surprises. Emiliano Gonzalez Toro se montre parfaitement à l’aise dans la tessiture barytonnante du rôle-titre. Son premier air, impressionnant de virtuosité, est mené avec un sens du risque qui force l’admiration. Le célèbre « Gelido in ogni vena », saisissant de dramatisme, compte parmi les plus beaux moments du spectacle. Key’mon W. Murrah (Gilade) s’impose comme une révélation : contre-ténor à l’aigu aisé, il séduit par la souplesse du chant et une musicalité irréprochable, malgré une projection contenue. Deniz Uzun (Tamiri) impressionne par une ampleur vocale digne d’une Eboli, avec un grave nourri et un legato soigné qui donnent au personnage une densité inattendue. Adèle Charvet (Berenice) déploie une voix magnifiquement homogène, avec un jeu scénique vif et nuancé. Juan Sancho (Pompeo) affirme une présence autoritaire et un style d’une justesse constante, même si certains aigus téméraires paraissent superflus. Séraphine Cotrez (Selinda) séduit par sa vivacité scénique et son sens du rythme, même si la virtuosité trouve parfois ses limites. Enfin, Alvaro Zambrano (Aquilio) complète l’ensemble avec un chant clair et précis, d’une élégance irréprochable.
Les musiciens de I Gemelli, dirigés d’une main de maître au premier violon par Stéphanie Paulet, contribuent largement à la réussite de la soirée, alliant virtuosité et homogénéité. Par ailleurs, un continuo magnifiquement assuré ponctue l’action et illustre avec subtilité les récitatifs, avec la harpe de Marie-Domitille Murez, le clavecin de Violaine Cochard et le théorbe de Romain Falik.