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Heurs et Malheurs de l’Opéra de Paris au XIXe siècle
La Restauration (1815-1830)

1815 : Napoléon est en exil, les Bourbons sont de retour et, par une belle démonstration d’opportunisme qui n’est du reste pas propre à leur corporation, les compositeurs qui ont bénéficié des largesses et des faveurs de celui qu’on ne désigne plus que comme l’Usurpateur, se sont aussitôt disputé l’honneur de chanter la gloire du nouveau roi et de flétrir leur ancien protecteur.
 



L’ Académie royale de musique

Les deux frères qui se succédèrent sur le trône, Louis XVIII et Charles X, partageaient la même ignorance et la même absence d’intérêt pour la musique. Seule au sein de la famille royale, la jeune duchesse Marie Caroline de Berry, belle-fille de Charles X passée à la postérité pour sa folle équipée, entretenait de réels rapports avec l’art. Elle jouait du piano et de la harpe, prenait des cours de chant avec Paer et aimait à jouer les mécènes. Contrairement à ce qui s’était passé sous l’Empire, le régime n’imprimait aucune impulsion sur la vie lyrique et ne se préoccupait réellement que des oeuvres composées pour la Chapelle royale, où officiaient avec bonheur Lesueur et Cherubini. Le souverain se montrait parfois à l’Opéra , mais uniquement pour accomplir un devoir de représentation mondaine. Castil-Blaze, observateur attentif de la vie musicale, a ainsi rapporté l’ennui qu’avait ostensiblement manifesté Charles X pendant une représentation d’Il Viaggio a Reims, pourtant spécialement composé en l’honneur de son sacre par le plus célèbre des compositeurs du moment. Devenu officiellement Académie royale de musique, l’Opéra continua à occuper la salle Richelieu jusqu’à ce que s’y produisît un évènement dramatique pour l’avenir de la monarchie. Le 13 février 1820, l’ouvrier bonapartiste Louvel assassina en effet le duc de Berry, fils unique de Charles X et grand coureur de tutus, sur les marches de l’institution. On décida aussitôt de raser le théâtre et de construire sur son emplacement une chapelle expiatoire (qui ne vit jamais le jour). L’ Académie royale investit alors la salle Louvois et la salle Favart, en attentant que l’on bâtisse, avec les matériaux de l’ancien bâtiment, une nouvelle salle, rue Le Peletier, qui abrita l’Opéra jusqu’en 1873. Les régimes passaient, mais les déficits restaient. En plus d’une subvention officielle de 1.300.000 francs et des 300.000 prélevés sur les théâtres secondaires, le roi était régulièrement obligé de puiser dans sa liste civile pour éviter la ruine de l’Opéra, qui continuait à enregistrer des pertes d’exploitation considérables. Plus que jamais, les places de faveur gangrenaient les finances de l’institution. Les grands seigneurs revenus d’exil confisquaient les meilleures places et n’auraient pas admis qu’on leur réclamât quoi que ce soit. Quelques progrès avaient toutefois été réalisés dans cette Académie royale somnolente, grâce notamment au talent et à l’inventivité du peintre et décorateur Cicéri. En 1822, l’apparition de l’éclairage au gaz avait également assuré le succès de l’opéra féerique posthume de Isouard, Aladin ou la Lampe merveilleuse.

Une production assez médiocre

Du retour des Bourbons jusqu’à l’année 1828, l’Académie royale de musique n’eut l’occasion de s’enorgueillir d’aucune création lyrique majeure. Le compositeur le plus en vue sous le régime précédent, Spontini, connut à nouveau le succès en 1817 avec la version révisée de Fernand Cortez, mais il vit ensuite son Olympie disparaître de l’affiche après seulement une douzaine de représentations et préféra alors fuir l’hostilité de la critique française et répondre à l’invitation du roi de Prusse. Le public aristocratique et sans grande culture musicale, qui se pressait à l’Opéra, se délectait d’ouvrages de divertissement légers et dépourvus d’ambition, comme le Rossignol de Lebrun, opéra en un acte utilisé comme simple prélude à un grand ballet, ou Zirphile et Fleur de Myrte, opéra féerique de Catel qui n’ajoutait rien au mérite de cet estimable compositeur. Les contemporains ne manquèrent pas de stigmatiser l’ignorance et l’absence de goût de ce public, à l’image de l’acerbe Castil-Blaze, qui pourtant n’avait manifesté aucun scrupule à défigurer le Freischütz pour en faire son Robin des Bois à l’Odéon. Les considérations musicologiques n’étaient pas encore de mise, et Berlioz pouvait encore se lamenter des mauvais traitements que l’on continuait à infliger à Paris à de nombreux chefs d’oeuvre lyriques, honteusement défigurés.

Il est désolant de constater que, de la révélation de Spontini à l’arrivée de Rossini, aucun nouveau talent n’a été en mesure de s’imposer sur la première scène nationale. Un théoricien aussi habile que Reicha, célébré par Liszt et Berlioz, y démontra surtout son manque de familiarité avec l’univers lyrique. Quant à Louis Ferdinand Hérold, il allait affirmer son talent à l’Opéra Comique après avoir signé pour l’Académie royale une très médiocre Lasthénie. Et que dire du Don Sanche, signé par un prodige de douze ans, Franz Liszt, et qui ne connut que quatre représentations. Le public parisien, qui attachait généralement plus de prix au livret qu’à la partition, dédaigna également le Macbeth d’Hippolyte Chelard, qui n’était pas le premier à porter l’oeuvre shakespearienne sur la scène lyrique mais précédait tout de même Verdi de vingt ans. Son librettiste malhabile n’était autre que Rouget de L’Isle. Le seul rayon de soleil dans ce triste tableau allait émaner d’Auber qui s’était déjà illustré dans le registre de l’opéra comique mais remporta un succès éclatant avec son premier ouvrage créé rue Le Peletier : la Muette de Portici.

L’ Opéra au service de la monarchie

La mode des ouvrages de circonstance avait survécu à l’Empire. La seule véritable réussite du genre fut créée au Théâtre Italien à l’occasion du sacre de Charles X - il s’agissait bien sûr d’Il Viaggio a Reims -, mais c’est à l’Opéra que Spontini s’était empressé de flétrir l’Usurpateur et de célébrer le retour des Bourbons avec Pélage ou Le Roi et la Paix, qui ne compte pas au nombre de ses réussites majeures. Son biographe, Charles Bouvet, affirme même catégoriquement : « Son Pélage ou le Roi de la Paix, opéra en deux actes représenté le 28 août 1814, obtint un insuccès à peu près complet ; c’est tout ce que méritait une élucubration de ce genre. Composé très rapidement, cet ouvrage ne fut donné que quatre fois »[1]. Ceci n’empêcha pas Spontini de récidiver deux ans plus tard avec l’opéra-ballet les Dieux rivaux, écrit en collaboration avec Persuis, Berton et Kreutzer, à l’occasion du mariage du duc de Berry. Dans cet ouvrage, qui tentait vainement de ressusciter les fastes du Grand Siècle, les dieux de l’Olympe se disputaient l’honneur de chanter la gloire du monarque. Cette fois, il n’y eut que cinq représentations. Pour la naissance du duc de Bordeaux, fils posthume du duc de Berry, on donna en 1821 une Blanche de Provence à laquelle avaient contribué cette fois Boieldieu, Kreutzer, Cherubini et Paer. Les deux premiers s’associèrent à nouveau au moment du sacre avec Berton pour un Pharamond de la même eau. La seule différence avec la période précédente résidait dans le fait que ces ouvrages apologétiques ne puisaient plus leur inspiration dans l’Antiquité mais dans les racines d’une monarchie française en quête de légitimité.

Le dénominateur commun de ces oeuvres était la médiocrité et la froideur de la partie musicale. Passée une première où les grands dignitaires du régime se laissaient étourdir par ces hymnes à la monarchie et par le faste de la présentation scénique, ils étaient impitoyablement rejetés par le public. Il ne faudrait pas cependant juger trop sévèrement les compositeurs qui acceptaient de se fourvoyer dans ces entreprises laudatives. Ils n’étaient ni les premiers, ni les derniers à se compromettre de la sorte, et je souscris à cette appréciation de Patrick Barbier : « Dans le cas d’une commande, la marge de manoeuvre d’un musicien ou d’un librettiste était des plus étroites ; refuser signifiait se mettre rapidement au ban du cercle des élus, alors qu’accepter représentait à la fois richesse et honneurs. Le choix était vite fait ! »[2]. L’ Opéra de Paris, sous la Restauration, restait un instrument de conservation du régime, directement rattaché à la Maison du Roi puis à la direction des Beaux-arts : « le symbole de privilèges indéfendables, le bastion d’une culture antiquisante au service d’un régime anachronique »[3]. Institution sclérosée, vitrine d’une monarchie archaïque, l’Académie royale avait perdu tout contact avec la population et avec les mouvements culturels dominants.

La naissance d’un genre

Les dernières années de la Restauration furent marquées sur le plan lyrique par l’éclosion d’un genre nouveau : le Grand Opéra historique, qui trouva son apogée sous la Monarchie de Juillet. Nous avons déjà consacré un dossier complet au Grand Opéra mais il n’est pas inutile de rappeler que les deux ouvrages fondateurs du genre furent la Muette de Portici d’Auber en 1828, et Guillaume Tell de Rossini l’année suivante. Appelé comme un sauveur au chevet de l’Académie moribonde par le redoutable directeur de l’administration des beaux-arts, Sosthène de la Rochefoucauld[4], le compositeur italien, avant de signer son chef d’oeuvre, avait eu l’occasion de se familiariser avec les exigences du style français en adaptant et enrichissant deux de ses opéras italiens pour donner naissance au Siège de Corinthe et à Moïse et Pharaon. Il avait également signé pour l’Opéra le Comte Ory, proche par l’esprit de l’opéra comique en utilisant le matériel d’Il Viaggio a Reims, et avait contribué à sortir l’institution de sa léthargie en  lui redonnant un peu de son lustre perdu et en ouvrant la voie aux succès à venir. Le régime vivait déjà ses dernières heures, même si l’Académie royale continuait à entretenir l’illusion en donnant, au mois de mars 1830, François 1er à Chambord de Prosper de Ginestet, ancien garde du corps de Louis XVIII. Les excès des ultras, ceux-là même qui s’accaparaient les places en vue à l’Opéra, allaient bientôt précipiter le peuple de Paris dans la rue et contraindre le petit-fils de Louis XV à l’exil.

Vincent Deloge

Annexes

Principales créations lyriques à l’Opéra de Paris durant cette période

1814 : Pélage (Spontini)

1816 : le Rossignol (Lebrun) les Dieux rivaux  (Berton, Kreutzer, Persuis et Spontini) Nathalie (Reicha)

1819 : Olympie (Spontini)

1821 : Blanche de Provence (Boieldieu, Cherubini, Kreutzer et Paer) la Mort du Tasse (Garcia)

1822 : Aladin (Isouard, achevé par Benincori) Sapho (Reicha) Florestan (Garcia)

1823 : Virginie (Berton) Lasthénie (Hérold) Vendôme en Espagne (Auber et Hérold)

1824 : les Deux Salem (Daussoigne) Ipsiboé (Kreutzer)

1825 : Pharamond (Berton, Boieldieu et Kreutzer) la Belle au Bois dormant (Carafa)

1826 : le Siège de Corinthe (Rossini) Don Sanche (Liszt)

1827 : Moïse et Pharaon (Rossini) Macbeth (Chelard)

1828 : la Muette de Portici (Auber) le Comte Ory (Rossini)

1829 : Guillaume Tell (Rossini)

1830 : François 1er à Chambord (Ginestet)


[1] Charles Bouvet, Spontini, Rieder 1930, p.53-54

[2] Patrick Barbier, A l’Opéra au temps de Balzac et Rossini, Hachette 2003, p.112

[3] Jane Fulcher, Le Grand Opéra en France : un art politique, Belin 1988, p.21

[4] Personnage généralement très décrié, si ce n’est par Louis Véron qui en fait l’éloge dans ses Mémoires d’un bourgeois de Paris (Librairie Nouvelle 1856)

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