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Simon Keenlyside

« Il faut essayer de comprendre Wozzeck »
Entretien avec Simon Keenlyside



© Opéra de Paris / Ruth Walz
Star incontestée du paysage lyrique actuel, Simon Keenlyside aborde pour la première fois un rôle incontournable et éprouvant : Wozzeck. Dans sa loge, à la veille de la première, le baryton anglais pense avant tout à ce qu’il doit communiquer au public.





Wozzeck est un défi, mais pas pour moi. Venir à bout du rôle, vocalement, n’est pas le vrai défi. Le vrai défi, c’est parvenir à impliquer le public et réussir à soulever les bonnes questions. Pourquoi Wozzeck tue-t-il Marie ? Parce qu’il est devenu fou ? Parce qu’il est trop amoureux d’elle ? Est-ce qu’il a sombré dans la folie, ou est-ce qu’il craque parce qu’il est au bout du rouleau ? Le défi, c’est de communiquer à toute la salle ces interrogations. Ce rôle est nouveau pour moi. C’est un personnage au-delà des caractéristiques de « héros » ou de « méchant ». Il ne s’agit pas de l’admirer, ou au contraire de le plaindre ou d’être horrifié par lui, il faut simplement essayer de le comprendre, en le replaçant dans son contexte : Il subit une pression intense depuis des années et des années, et il finit par craquer. Est-ce que j’aurais agi différemment à sa place ? Tout le monde n’en ferait-il pas autant ? Toute cette pression doit être perceptible le jour du spectacle, comme si toute la salle était sur une plaque tectonique. Je me dois d’être ouvert à tous les questionnements et d’être très réceptif, plus encore que d’habitude, car il s’agit d’une prise de rôle ! Christoph Marthaler est pour cela un homme très intéressant car il ne nous demande pas juste de retenir et d’assimiler des réflexions, ni d’apprendre par cœur sa direction d’acteur. Il encourage aussi toutes les propositions que l’on peut avancer ; il est très attentif à tout ce qu’on lui dit ou ce qu’on lui montre et il sait donner envie à toute l’équipe de se passionner pour la pièce. Il nous chauffe à blanc, car il veut à tout prix inventer quelque chose à chaque séance de répétition ! Parfois c’est éprouvant, car pour proposer quelque chose d’intéressant, il faut donner de soi-même, s’exposer, et donc courir quelques risques… Mais on n’en meurt pas ! (rires) Evidemment, Sylvain [Cambreling] m’a beaucoup aidé, car il connaît extrêmement bien cette œuvre ! Il sait par cœur chaque mesure de chaque page, mais nous laisse néanmoins, là aussi, assez libres. Il sait communiquer ses idées aux chanteurs, tout en leur laissant une marge de manœuvre et en leur faisant confiance. J’avais déjà pu constater cela quand nous avions donné Pelléas ensemble il y a quatre ans.

Bien sûr, Wozzeck et Pelléas sont des personnages assez éloignés des rôles de Verdi, de Wagner ou de Mozart que j’ai également chantés ! Mais je ne crois pas qu’il soit essentiel de catégoriser le répertoire de cette manière. Je préfère chercher des correspondances entre différents styles : le Lied - ou les mélodies (j’aime beaucoup le « Travail du peintre » de Poulenc !) - me parait important pour faire de l’opéra. Et puis, interpréter deux personnages très différents, en raison de leurs styles et de leurs époques respectives, offre des sensations différentes : quand on chante Papageno ou Don Giovanni, on ne ressent pas du tout la même chose que lorsqu’on chante Rodrigo dans Don Carlo ! Comparer des rôles si différents, c’est comme comparer une merveilleuse journée d’été à une merveilleuse soirée pluvieuse : je ne veux pas exprimer de préférences, je veux aimer tous ces personnages. J’ai besoin de leurs différences. Chanter un large éventail de rôles me permet de me renseigner sur différentes époques, différents courant artistiques, différentes périodes historiques : outre la musique, les livres et les tableaux font aussi partie de mon travail au quotidien. Et c’est merveilleux d’exercer une profession qui nous ramène toujours aux arts, et à la beauté ! Enfin, avoir un vaste répertoire est aussi un privilège : peu d’artistes peuvent choisir ce qu’ils veulent chanter ou ne pas chanter, et c’est aussi l’occasion d’exhumer des œuvres peu connues, comme la merveilleuse Calisto de Cavalli ! Alors que l’on propose toujours un peu les mêmes rôles aux jeunes chanteurs.

Le parcours des jeunes barytons contient d’ailleurs un obstacle étonnamment dur à franchir : Ils doivent se méfier de Mozart ! Contre toute attente, c’est un compositeur très difficile à chanter. Papageno est épuisant pour la voix, on doit passer sans cesse du chant au dialogue... Au bout d’un moment, on a même l’impression de faire du « Sprechgesang » ! Le rôle nécessite vraiment un gros travail quotidien et une voix en très bonne forme ! Don Giovanni est un rôle merveilleux, on voudrait y consacrer sa vie, mais là aussi, la voix n’est pas ménagée, alors même qu’il n’y a pas vraiment d’airs. Le Comte Almaviva convient bien à de jeunes voix, mais là c’est l’engagement scénique qui doit être total ! Mozart est un compositeur attirant mais un peu perfide : il est plus difficile que l’on pense, et on peut s’y brûler les ailes. Arlequin dans Ariane à Naxos, Schaunard dans la Bohème ou Valentin dans Faust sont à mon avis les meilleurs rôles pour les jeunes barytons.

A bon entendeur !


Propos recueillis et traduits par Brigitte Cormier
et Clément Taillia
Mars 2008

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Lire également le compte rendu de Wozzeck

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