A C T U A L I T E (S)
 
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Heurs et Malheurs de l’Opéra de Paris au XIXe siècle
Le Consulat et l’Empire (1800-1814)
De tous les beaux-arts, la musique est celui qui a le plus d’influence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager.
 
Napoléon Bonaparte
 
Rien ne semblait prédisposer Napoléon 1er à s’intéresser à la musique en général, et à l’opéra en particulier. Ses préférences allaient clairement au théâtre parlé, et principalement à la tragédie cornélienne. Sa culture artistique et musicale était des plus succinctes, mais il avait rapidement perçu le pouvoir des notes et le parti qu’un gouvernant pouvait en tirer. Convaincu que le prestige des grandes scènes parisiennes contribuait de façon non négligeable à celui de son règne, celui en qui les Goncourt ont vu « le dictateur de l’imagination nationale » encouragea l’Opéra pendant toute la durée de son règne et, non content d’assister aux spectacles dans la mesure de sa disponibilité, s’impliqua dans l’administration de l’Académie impériale de musique, dont il entendait faire l’un des phares de la vie culturelle européenne ainsi que, sur le plan économique, un moteur de l’industrie du luxe. S’il accueillit avec enthousiasme Ossian ou les Bardes de Lesueur et reconnut la valeur de la Vestale, ses préférences allaient toutefois à l’opéra italien, qui donnait une absolue priorité à la partie vocale et dont il appréciait la légèreté et la veine mélodique. Il s’empressa d’ailleurs d’accueillir dans son théâtre de cour compositeurs et chanteurs transalpins et ne cacha jamais son goût pour un compositeur indéfectiblement attaché au style ancien comme le napolitain Zingarelli.
 

 
L'Académie Impériale de Musique
 
L’ Empereur s’était montré soucieux de mettre un terme à l’anarchie qui régnait dans la vie théâtrale parisienne et, depuis 1807, huit théâtres seulement restaient autorisés dans la capitale, et parmi eux quatre salles officielles : l’Opéra (devenu Académie impériale de musique en 1804 après avoir été successivement Théâtre national, Théâtre de la République et des Arts et Théâtre de l’Opéra), l’Opéra Comique, le Théâtre de l’Empereur (actuelle Comédie française) et le Théâtre de l’Impératrice, dédié aux comédies. L’ Opéra était donc placé sous tutelle gouvernementale et l’Empereur lui-même s’impliquait dans sa gestion, exigeant notamment un rapport quotidien sur ses activités. Napoléon institua notamment en 1811 une redevance sur tous les théâtres secondaires et les représentations itinérantes pour renflouer les finances de l’Opéra et lutta contre la prolifération des billets de faveur. Il intervint même à plusieurs reprises directement dans la programmation et commanda plusieurs ouvrages de circonstance pour célébrer des évènements marquants de son règne, tels que la paix d’Amiens ou la naissance du roi de Rome.

Installé rue de Richelieu (sur l’emplacement de l’actuel square Louvois) depuis 1793, l’Opéra disposait d’une salle de 1.650 places, particulièrement dépourvue de confort et de commodité. L’ Empereur avait souhaité la construction d’une nouvelle salle mais aucun des projets présentés n’aboutit et l’on se contenta de refaire la décoration de la salle en 1808, puis de consolider le bâtiment trois ans plus tard. L’institution demeurait un gouffre financier en raison de l’importance des charges structurelles et naturellement des coûts de production, mais aussi des entrées gratuites qui, certains soirs, pouvaient concerner 130 des 150 places d’orchestre. Le financement public consistait en une subvention mensuelle de 50.000 francs, à laquelle s’ajoutaient 700.000 francs de recettes annuelles et accessoirement la redevance perçue sur les autres spectacles, mais cela se révélait insuffisant pour l’Opéra qui, pour la seule année 1810, affichait un déficit de 160.000 francs. Le régime devait donc régulièrement mettre la main à la poche pour secourir un établissement qu’il jugeait nécessaire à son prestige.

Pour la nouvelle aristocratie impériale, l’Opéra était un lieu de représentation obligé ainsi qu’un temple de l’élégance où l’on se rendait autant pour être vu que pour voir. Posséder une loge à l’Opéra était un signe évident d’ascension sociale, mais le public populaire conservait la possibilité de s’asseoir sur les bancs du parterre ou dans les étages supérieurs. Y régnait encore, pour le grand malheur des véritables mélomanes, la « mode de l’aboiement » qui rapprochait le chant du cri et épouvantait tous les étrangers de passage à Paris. On ne trouvait aucun raffinement dans cette façon tonnante et rugissante de pousser le son, héritage d’une longue tradition déclamatoire et fatale à plus d’une voix encore jeune. Ainsi, on assure que Caroline Branchu, la plus célèbre cantatrice française de l’époque, avait à ce compte déjà perdu la beauté de sa voix à sa sortie du Conservatoire. Cela ne l’empêcha pas de triompher bien souvent sur scène grâce à son grand talent de tragédienne.

La période napoléonienne ne fut guère propice à la création lyrique. La fonction laudative et représentative de l’Opéra prenait le pas sur les considérations artistiques, mais nous aurons l’occasion de constater que ce fut souvent le cas, au XIXe siècle, pour la première scène lyrique nationale. Aussi peu d’ouvrages sont parvenu jusqu’à nous, ne serait-ce que de réputation. Qui se souvient par exemple que Fiocchi, honnête professeur de chant, ait signé pour la première scène lyrique française un Sophocle qui, du reste, n’eut aucun succès ? Durant la période 1800-1815, on y représenta au total une quarantaine d’opéras, opéras-ballets et tragédies lyriques, pour la plupart assez médiocres. Heureusement, les principales oeuvres de Gluck s’étaient maintenu au répertoire et faisaient l’objet de reprises régulières.
 
Nous réserverons à Jean-François Lesueur et Gaspare Spontini un traitement particulier, mais il nous faut auparavant faire mention de Charles Simon Catel, professeur influent, auteur d’un traité d’harmonie novateur et compositeur aussi prolifique que méconnu. Il donna à l’Opéra une Sémiramis (1802) et des Bayadères (1810) imprégnées de pompe impériale mais portant déjà la marque du romantisme naissant. Par son action réformatrice au Conservatoire, Catel s’était créé de nombreux ennemis qui précipitèrent la chute de Sémiramis en dissuadant le public d’en goûter la séduction mélodique et la recherche harmonique. « Musique savante » ! Que de compositeurs se virent opposer cette épithète inepte par des critiques jaloux ou ignares ! Les Bayadères, qui affichaient les mêmes qualités, reçurent en revanche un accueil très favorable. Catel fut de plus un véritable novateur en matière d’instrumentation, employant de manière originale la grosse caisse ou le cor anglais.

L’opéra le plus souvent représenté à Paris au cours des dix premières années du siècle s’intitulait les Mystères d’Isis. A une époque où toutes les mutilations et tous les arrangements étaient permis, c’est ainsi que l’on avait rebaptisé la Flûte enchantée après l’avoir copieusement trafiquée. De nouveaux personnages y avaient été ajoutés, ainsi que des numéros extraits d’autres ouvrages du compositeur et même d’oeuvres de Haydn, Pleyel, Sacchini et Lemoyne, reliés par des récitatifs composés pour l’occasion... Partition et livret étaient tous deux devenu absolument méconnaissables, ce qui n’empêcha pas cette adaptation de rencontrer un grand succès. L’exemple n’est pas unique et l’on pourrait consacrer des pages entières à la description de ces « opéras arrangés » régulièrement proposés à un public qui ne s’embarrassait pas de considérations musicologiques. Don Giovanni fut ainsi pareillement vandalisé quatre années plus tard par Kalkbrenner qui n’hésita pas à y glisser des romances de son cru. Passée l’ouverture, tout était devenu méconnaissable dans ce Don Juan à la mode parisienne. Ces fâcheux usages survivront malheureusement à la chute de l’Empire et l’on continuera à malmener copieusement la musique de Mozart durant tout le XIXe siècle.
 
Les Italiens à Paris
 
Parmi les compositeurs italiens invités à Paris, Paisiello donna à l’Opéra une Proserpine, en 1803. Malgré la protection du Premier Consul et l’incontestable savoir-faire mélodique du compositeur, l’ouvrage ne connut que treize représentations, le public s’étant quelque peu lassé des sujets mythologiques qui avaient fait les grandes heures du règne de Louis XIV . La pompe napoléonienne s’inspirait certes de la grandeur antique mais vestales et centurions se substituaient désormais aux divinités, et les colonnes de Rome aux jardins de l’Olympe. Paisiello avait également commis l’erreur de s’en remettre uniquement à ses dons de mélodiste et d’ignorer l’évolution expressive de l’opéra français depuis Rameau et Gluck. Bonaparte prit ombrage de l’échec de son protégé et, de colère, affirma que les Français n’entendaient rien à la musique. Pourtant, de l’avis général, l’ouvrage était long et monotone : « On y baillait à se décrocher la mâchoire », affirma même Castil-Blaze. Reconnaissant de l’accueil et des faveurs que lui avaient réservés Napoléon, Paisiello ne manqua jamais, après son retour à Naples, de lui adresser chaque année une composition sacrée pour sa fête.
 
La même année, Cherubini n’eut pas plus de réussite avec son Anacréon teinté de néo-classicisme. On notera que le compositeur florentin n’était en ce qui le concerne guère en cour auprès de Napoléon qui jugeait son orchestration chargée et ne lui pardonnait pas, selon Madame de Rémusat, d’avoir déclaré : « On peut être habile sur le champ de bataille et ne point se connaître en harmonie ».

Les ouvrages livrés à l’Opéra de Paris par d’autres compositeurs transalpins durant cette période, exception faite naturellement de ceux de Spontini, nous orientent davantage vers l’Histoire, voire la petite histoire, que vers l’histoire de la musique. Ainsi la tragédie lyrique Les Horaces, composée par Bernardo Porta, ne doit sa notoriété qu’au complot ourdi contre le Premier Consul à l’occasion de sa création, le 10 octobre 1800. Quant à l’élégant Félix Blangini, auteur de Nephtali ou les Ammonites, il était avant tout l’amant de Pauline Bonaparte, princesse Borghèse.
 
Lesueur, favori de l'Empereur
 
Les compositeurs favoris de l’Empereur semblent avoir été Giovanni Paisiello et Jean-François Lesueur. Ancien maître de Chapelle à Notre Dame celui-ci connut un grand succès en 1793 avec un drame lyrique, La Caverne, et entreprit parallèlement de réformer la musique religieuse. Il fut l’un des principaux compositeurs de la Révolution et contribua à la fondation du Conservatoire. Napoléon le nomma, à la suite de Paisiello, « Maître de la Chapelle des Tuileries et Directeur de la Musique du Palais ». Protégé de l’Empereur, alors que Spontini possédait les faveurs de l’Impératrice Joséphine, Lesueur ne donna que peu d’oeuvres lyriques (Ossian ou les Bardes 1804, La Mort d’Adam 1809) mais s’affirma comme un novateur et un maître en matière d’écriture chorale et d’orchestration. Il est passé à la postérité en tant que pédagogue, en particulier pour son influence sur le jeune Berlioz. C’est lui qui avait composé la marche du Sacre de Napoléon, qui considérait Ossian comme un pur chef d’oeuvre et gratifia alors le compositeur de la somme de 6.000 francs en plus de la Légion d’honneur.
 
En l’absence de témoignage discographique ou de reprise récente, il nous est impossible de porter un véritable jugement sur ces oeuvres. Je me contenterai donc de citer le commentaire porté par Félix Clément sur Ossian : « Le songe dans lequel Ossian croit voir tous les héros de sa race est la scène la plus remarquable de l’ouvrage. Les décorations et la perspective des palais aériens étaient, dit-on, d’un effet magique. La musique de Lesueur, composée dans un style qui s’écartait des idées reçues, eut des admirateurs enthousiastes et des détracteurs non moins passionnés. On ne peut en méconnaître l’originalité et le caractère grandiose et simple, mais plutôt religieux que dramatique. L’empereur Napoléon 1er passait pour faire ses délices de la lecture des poèmes d’Ossian, cette mystérieuse compilation de MacPherson. C’est par ce goût singulier de mélancolie rêveuse et de sentiments vagues qu’il appartenait à la fin du XVIIIe siècle. Oscar, Malvina et Fingal avaient le privilège d’émouvoir sa sensibilité, ce qui explique la protection qu’il accorda à l’ouvrage de Lesueur » . Ce jugement met l’accent sur l’originalité de l’écriture du compositeur picard, que beaucoup considèrent comme l’un des pères de la musique française au XIXe siècle. Il nous renseigne également sur un trait de caractère méconnu de celui qui se rendit maître de l’Europe : habitué pourtant au bruit du canon sur les chants de bataille, l’Empereur n’aimait dans l’intimité que la musique douce et mélancolique, à l’harmonie et à l’instrumentation simplistes. On assure que, pour lui être agréable, un jour où il s’était laissé convaincre de se rendre à l’Opéra pour y entendre les Bayadères de Catel, on exécuta l’ouvrage à la sourdine, « avec la plus parfaite monotonie, sans crescendo, ni forte », au grand désespoir du compositeur qui ne reconnut pas sa partition.

Lesueur paya, comme beaucoup, le prix de son originalité. Il éprouva de grandes difficultés à faire jouer La Mort d’Adam, tandis qu’Alexandre à Babylone, pourtant reçu à l’Opéra en 1823, ne fut jamais représenté. Ses recherches formelles et ses effets d’écriture n’étaient guère du goût d’un public qui entendait se satisfaire de plus simples plaisirs et d’aucuns estimaient qu’il aurait du se cantonner à la musique religieuse et renoncer à la scène lyrique. Aucune réelle tentative de réhabilitation n’a encore été entreprise en faveur de celui qui fut sans doute l’un des créateurs les plus originaux de son temps, en dépit de maladresses et d’insuffisances soulignées par les musicologues, ainsi qu’un trait d’union incontournable entre Gluck et Berlioz.

J’ai volontairement passé sous silence jusqu’ici le Triomphe de Trajan, tragédie lyrique en trois actes donnée par Lesueur et Persuis à l’Académie impériale en 1807 en réponse à une commande officielle, car cet ouvrage appartient à un genre bien particulier : l’opéra de circonstance, hérité de la Révolution. En transposant un acte de clémence de l’Empereur dans l’Antiquité romaine, ses auteurs n’avaient d’autre ambition que de célébrer la gloire du vainqueur d’Eylau et de Friedland. L’insignifiance de la musique était rachetée par de somptueux décors, et le public s’enthousiasma à la vue d’un immense défilé impliquant six cents figurants et treize chevaux. Il va sans dire que les coûts de production de cet ouvrage crevèrent tous les plafonds. Paradoxalement, cet ouvrage conçu à la seule gloire de Napoléon fut joué, moyennant quelques remaniements, sous la Restauration, cas unique d’un ouvrage de circonstance survivant précisément aux circonstances de sa création. Nous verrons que le recours à l’opéra de circonstance pouvait se révéler une arme à double tranchant, avec Fernand Cortez, création encouragée par l’Empereur et destinée à servir sa gloire, qui devint une arme de subversion lorsque les opérations militaires en Espagne tournèrent à son désavantage. De même, L’ Oriflamme, médiocre pot-pourri patriotique monté en six jours au mois de janvier 1814 pour ranimer les énergies à l’approche des troupes alliées, provoqua des manifestations hostiles au régime et fut retiré après onze représentations.

On notera encore que les autres maîtres de la période révolutionnaire ne s’illustrèrent pas à l’Opéra durant cette période. Méhul triompha à l’Opéra Comique avec Joseph en 1807, mais échoua salle Richelieu avec ses Amazones quatre ans plus tard, et préféra désormais se consacrer à la culture des tulipes. Gossec se consacrait désormais à l’enseignement, tandis que Grétry s’était retiré à Montmorency pour prendre soin d’une santé devenue précaire.
 
Spontini, favori de l'Impératrice
 
La formation musicale de l’Impératrice Joséphine ne se distinguait guère de celle de son illustre époux. Pourtant, elle s’efforçait de donner le change, organisant des soirées musicales à la Malmaison et s’essayant modestement à la harpe, « instrument qui avait l’énorme avantage de mettre en valeur les jolis bras de ses interprètes » . Nous lui reconnaissons toutefois le mérite d’avoir encouragé et protégé les artistes, et en particulier le compositeur italien Gaspare Spontini. Celui-ci n’avait que vingt-neuf ans lorsqu’il s’installa à Paris, en 1803. Il s’y fit remarquer avec un opéra-comique en un acte, Milton, avant de faire, grâce à la protection de l’Impératrice et en dépit de l’opposition de Lesueur et Grétry, son entrée à l’Opéra . Ce fut pour la création mémorable de la Vestale, le 15 décembre 1807.

Le livret en était signé par Etienne de Jouy, poète et dramaturge habile qui est surtout passé à la postérité comme l’une de ces vieilles barbes qui, au nom de l’héritage des Lumières, combattirent de toutes leurs forces le romantisme naissant. Méhul et Cherubini avaient refusé le sujet avant que Spontini s’en empare. Le jury conservateur de l’Opéra avait à son tour renâclé devant une partition qu’il jugeait trop novatrice et une orchestration inhabituellement fournie. L’ Impératrice fut contrainte d’intervenir pour que l’oeuvre fût donnée, après que le compositeur eût accepté de revoir sa copie. Le succès à la création fut éclatant et il allait durer un quart de siècle. En dépit de son goût prononcé pour une musique italienne d’essence plus légère, l’Empereur fut saisi par la Vestale et félicita le compositeur pour l’originalité de sa composition, la justesse de sa déclamation et son inspiration mélodique. Les qualités de l’ouvrage suffisaient à faire oublier d’évidentes faiblesses dans la construction comme dans l’inspiration.

La découverte des chefs d’oeuvre de Gluck avait fait naître chez Spontini une ambition nouvelle, et il avait oeuvré avec persévérance pour vaincre des difficultés stylistiques nouvelles pour lui. Avec la Vestale, il jetait ainsi les bases d’un genre appelé à régner bientôt sans partage sur la production lyrique française : le grand opéra historique. Le rôle important dévolu à l’orchestre et le début de l’émancipation des choeurs démarquaient l’ouvrage de tous ceux qui l’avaient précédé. Spontini parvenait de plus à concilier un lyrisme très italien avec l’héritage de la tragédie lyrique française. Il alla plus loin encore dans la nouveauté avec Fernand Cortez, grande fresque historique dont la qualité formelle fut quelque peu masquée par le faste de la présentation scénique. Berlioz ne s’y trompait pas et écrivit : « Il y a là de ces grands coups d’ailes que les aigles donnent seuls, des séries d’éclairs à illuminer un monde ». Créée en 1809, l’oeuvre connut une création triomphale, mais l’actualité de la campagne d’Espagne lui fut fatale : d’apologétique, elle était devenue subversive à mesure que l’armée française s’enlisait de l’autre côté des Pyrénées, si bien que le ministre de la Police décida de l’interdire. Sa version révisée s’imposa cependant au répertoire à partir de 1817.
 
Nommé directeur du Théâtre Italien, Spontini y fit représenter la version originale de Don Giovanni. A l’Opéra, il donna encore Olympie en 1819, mais l’oeuvre chuta après seulement une douzaine de représentations, ce qui incita sans doute le compositeur à répondre à l’invitation de Frédéric Guillaume III et à s’installer à Berlin. Olympie trouva alors en Allemagne un accueil aussi chaleureux que celui que le public français avait réservé à la Vestale. Personnage irascible et querelleur, ce qui lui valut bien des déboires, Spontini restera cependant dans l’histoire de l’opéra comme un maître qui ouvrit la voie à Berlioz, Meyerbeer et Wagner.
 
Quelques mots pour conclure
 
De façon générale, on constatera que les opéras créées sous le Consulat et l ‘Empire ont presque totalement disparu de nos scènes. Seule la Vestale a connu au cours de ces dernières années quelques timides tentatives de réhabilitation, la plus médiatisée ayant été celle de Riccardo Muti à la Scala en 1993. Il ne faudrait pas pour autant ignorer ou traiter avec condescendance des compositeurs qui ont joué un rôle décisif dans l’évolution de l’art lyrique. L’usage « moderne » des cors a ainsi été introduit par Rodolphe Kreutzer - violoniste virtuose et compositeur fécond à défaut d’avoir été toujours inspiré - dans Sémiramis. En tournant le dos au classicisme du XVIIIe siècle, ils ont jeté les bases de l’opéra moderne et ouvert la voie à Berlioz et Meyerbeer, mais aussi Wagner et Verdi. Pour cette seule raison, il nous a paru utile et nécessaire de feuilleter ces quelques pages un peu jaunies de l’histoire de la production lyrique.
 
Vincent Deloge
 

Annexes

Principaux ouvrages lyriques créés à l’Opéra de Paris au cours de cette période

1800 : Hécube (opéra de Fontenelle), les Horaces (opéra de Porta)
1801 : Astyanax (opéra de Kreutzer), le Casque et les Colombes (opéra de Grétry), les Mystères d’Isis (opéra de Mozart (!), arrangé par Lachnith)
1802 : Sémiramis (opéra de Catel), Tamerlan (opéra de Winter)
1803 : Saül (oratorio pastiche de Kalkbrenner et Lachnith, d’après Haydn, Mozart, Cimarosa et Paisiello) Proserpine (tragédie lyrique de Paisiello), Delphis et Mopsa (opéra de Grétry), Anacréon (opéra de Cherubini)
1804 : Ossian ou les Bardes (opéra de Lesueur), le Connétable de Clisson (opéra de Porta)
1805 : Don Juan de Mozart (opéra de Mozart (!), arrangé par Kalkbrenner)
1806 : Nephtali (opéra de Blangini), Castor et Pollux (tragédie lyrique de Winter)
1807 : le Triomphe de Trajan (tragédie lyrique de Lesueur et Persuis), la Vestale (tragédie lyrique de Spontini), Inauguration du Temple de la Victoire (intermède de Lesueur et Persuis)
1808 : Aristippe (opéra de Kreutzer)
1809 : la Mort d’Adam (opéra biblique de Lesueur), Fernand Cortez (opéra de Spontini)
1810 : la Mort d’Abel (opéra de Kreutzer), les Bayadères (opéra de Catel), Hippomène et Atalante (opéra de Louis Piccinni)
1811 : Sophocle (opéra de Fiocchi), les Amazones (opéra de Méhul), le Triomphe du Mois de Mars (opéra-ballet de Kreutzer)
1812 : Jérusalem délivrée (opéra de Persuis), Oenone (opéra de Kalkbrenner)
1813 : les Abencérages (opéra de Cherubini), Médée et Jason (opéra de Fontenelle) le Laboureur chinois (opéra, musique de Haydn et Mozart arrangée par Berton)
1814 : l’Oriflamme (opéra pot-pourri, musique de Méhul, Paer, Berton et Kreutzer)

Quelques repères discographiques

Nous l’avons laissé entendre, cette période de la création opératique française est très mal servie par le disque, comme par la programmation des théâtres. Nous signalerons cependant :

LA VESTALE : Gustav Kuhn / Plowright, Araiza ; 1991 (Orfeo)
LA VESTALE : Riccardo Muti / Huffstodt, Michaels-Moore ; 1993 (Sony)
FERNAND CORTEZ : Jean-Paul Penin / Marras, Perrin ; 1998 (Accord)

Quelques (rares) reprises récentes

LA VESTALE : Nantes (1992) Scala (1993)


[1] Félix Clément et Pierre Larousse, Dictionnaire des opéras, Bibliothèque des Introuvables 1999, p.122

[2] Patrick Barbier, A L’ Opéra au temps de Balzac et Rossini, Hachette Littératures 2003, p.21

[3] Spontini devint, dès son arrivée en France, une cible du clan nationaliste - animé notamment par Méhul, Gossec et Grétry - qui considérait l’afflux étranger comme un péril pour la musique française et regrettait, parfois à raison, que les compositeurs nationaux se voient préférer des concurrents transalpins de moindre talent. La querelle des Bouffons n’était pas encore vidée...

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