...
ACTUALITES
[ Sommaire de la rubrique ]

...
 

Un opéra « gothique » oublié
La Nonne sanglante de Charles Gounod

17/01/08


Le 19 janvier 2008, l’Allemagne crée chez elle - à Osnabrück- , et en même temps fait ressurgir de la poussière du Temps, La Nonne sanglante, qu’un jeune Charles Gounod de trente-six ans avait donné sans trop de succès à l’Opéra de Paris, en 1854. Découlant de ce côté sombre du Romantisme, le sujet appartient au « Roman noir » ou « Roman gothique anglais », avide de fantômes et d’esprits sans repos, et le public d’opéra le connaît jusqu’ici, pratiquement par les seuls, étranges et magnifiques dans leur genre, Robert Le Diable de Meyerbeer et Maria de Rudenz de Donizetti, un genre qui fit frémir l’opéra du XIXe siècle, de Der Vampyr de Marschner (1828), à Guglielmo Ratcliff de Mascagni (1895).







« M. Gounod, merveilleusement inspiré par son génie de symphoniste,
s’est créé un effet admirable qui n’existe pas dans le livret, et dont tout l’honneur lui revient. Nous avons rarement éprouvé au théâtre une émotion pareille. »
Théophile Gautier, La Musique
(à propos du banquet des fantômes, à l’Acte II)


Les avis sont plutôt négatifs sur cet « opéra gothique » créé en 1854, appartenant de surcroît au genre « grand opéra à la française » dont on dit qu’il ne convenait pas à Gounod. Pratiquement seul admirateur de l’œuvre, le grand poète Théophile Gautier accepte le livret très « roman noir » et encense les trouvailles musicales que Gounod mit en oeuvre pour l’habiller. Il faut dire que les librettistes -l’ineffable Scribe et Germain Delavigne- ont supprimé l’horreur, élément esentiel du texte-source. La Nonne du titre est en effet une femme devenue religieuse contre son gré, et de plus possédée tout entière par la volupté qui la pousse à sacrifier un amant pour un autre (le propre frère du premier !). Elle-même est tuée par le second amant, effrayé par une telle créature. Les incendies ne sèchent pas le sang et les fantômes continuent d’errer…

Rien de tout cela chez Scribe-Gounod : la Nonne est une femme sincèrement amoureuse, assassinée par son bien-aimé qui voulait se débarrasser d’elle. Elle erre dans le château à chaque anniversaire de ce crime, effrayant tous mais ne faisant aucun mal à personne. A la suite d’une curieuse méprise, Rodolfe, le personnage principal, lui promet de l’épouser et lui passe son anneau au doigt ! Elle le poursuit durant tout l’opéra jusqu’au moment où il obtient d’être libéré de sa parole s’il tue le meurtrier de la Nonne. Lorsqu’elle le lui désigne, les cheveux se dressent sur sa tête car le dilemme est cornélien. Il s’en trouve libéré lorsque le meurtrier offre sa vie pour sauver la sienne, et du coup expie son crime : la Nonne ne hantera plus les lieux et lui offre même de l’accompagner au ciel pour tenter d’obtenir sa rédemption !

Les autres personnages affichent de beaux sentiments et nous touchent souvent, comme la véritable fiancée de Rodolfe, le bon Pierre l’Ermite mettant la paix entre les factions, ou le page Urbain, espiègle soprano en travesti.

Au long des cinq actes, on relève des scènes bien imaginées et intéressantes à mettre… en scène, malgré la difficulté, comme le banquet des fantômes. Ce sont les aïeux de Rodolfe, venus en riches habits fêter son mariage spectral. Dans les ruines du château ancestral, prodigieusement redevenu florissant, ils paraissent à toutes les portes « mais d’une pâleur effrayante et ne faisant presque pas de mouvements, ils glissent plutôt qu’ils ne marchent, et s’avancent lentement. », précise la didascalie, tandis que le chœur chante à mi-voix…

Certes, la contradiction demeure : à notre époque où les moyens sont plus riches afin de rendre de manière réaliste, si l’on peut dire, les apparitions de spectres, sévit précisément une mode de mises en scène dépouillées ou triomphant dans le sordide… et l’Allemagne n’est pas le dernier pays à la suivre.

Quant à la musique imaginée par Gounod pour toutes les situations de son second opéra, comment peut-elle être ?… C’est précisément l’exécution musicale, seule remise en vie possible d’une partition, qui nous renseignera.



Yonel BULDRINI


_____

> Site du Théâtre d'Osnabrück :  theater.osnabrueck.de

> Lire le Dossier complet :
Un opéra « gothique » oublié
La Nonne sanglante de Charles Gounod


[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]