A C T U A L I T E (S)
 
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Pia de' Tolomei
radio diffusion de la RAI

19 Avril 2005

Gran Teatro La Fenice de Venise / RAI Radio italienne
"Tragedia lirica" en deux parties de Salvatore Cammarano

Musique de Gaetano Donizetti

Pia de' Tolomei, épouse de Nello, soprano : Patrizia Ciofi
Nello Della Pietra, du parti gibelin, baryton : Andrew Schroeder
Ghino degli Armieri, cousin gibelin de Nello, ténor : Dario Schmunck
Rodrigo dei Tolomei, frère de Pia, du parti guelfe, contralto : Laura Polverelli
Ubaldo, homme de confiance de Nello, ténor : Francesco Meli
Lamberto, vieux serviteur des Tolomei, basse : Carlo Cigni
Bice, suivante de Pia, soprano : Clara Polito
Piero, ermite, basse : Daniel Borowski
Un geôlier, ténor : Luca Favaron (15,17,19?) 
/ Bo Schunnesson (21, 24)

Orchestra e Coro del Gran Teatro La Fenice di Venezia
Maestro del Coro : Emanuela Di Pietro
Maestro Concertatore e Direttore : PAOLO ARRIVABENI

Mise en scène de Christian Gangneron,
costumes de Claude Masson,
décors de Thierry Leproust et lumières de Marc Delamézière.

Représentations données au Gran Teatro La Fenice de Venise,
les 15, 17, 19 (retransmise par la RAI), 21 et 24 avril 2005.

Pia de' Tolomei est une figure de légende en Italie, à tel point que des représentations populaires nombreuses existent encore aujourd'hui.

L'oeuvre musicale la plus connue s'étant emparée de la légende médiévale est ce cinquante-cinquième opéra de Gaetano Donizetti, créé à Venise le 18 février 1837 et faisant suite aux triomphes successifs de la première italienne de Marino Faliero, des créations de Lucia di Lammermoor et Belisario, et précédant de quelques mois seulement celui de Roberto Devereux. Représenté jusqu'en 1860, Pia de' Tolomei réapparaît un siècle plus tard en 1967 et précisément à Sienne, berceau de la noble famille des Tolomei.

La Casa Ricordi et la "Fondazione Donizetti di Bergamo" ont préparé et édité une édition critique rassemblant les variantes que Donizetti, infatigable réviseur, a effectué pour cette partition (à ce sujet, nous renvoyons volontiers l'aimable lecteur à notre article bientôt publié sur ce site).

Le premier personnage important à paraître est Ghino, et le ténor Dario Schmunck, au timbre clair comme la plupart des Ghino des reprises modernes, tente d'assumer efficacement, malgré quelques aigreurs, les élans généreux alliant passion et élégance, formant l'essentiel de son rôle de "méchant-tout-de-même-humain". Malheureusement, son propre élan et ses coup de glottes ne remplacent hélas pas chaleur, éclat de timbre, ni technique suffisante et donc pour apprécier pleinement le rôle de Ghino, on retournera à la voix si bien timbrée d'Aldo Bottion à Sienne en 1967. Le baryton Andrew Schroeder possède un timbre noir et un peu rugueux, convenant en cela au rôle d'époux passionnément épris au point d'être défait à l'idée que sa femme le trahisse, mais devant faire ressortir la douleur de sa bonne fois... même s'il est dans l'erreur ! En cela, A. Schroeder parvient à nous convaincre même s'il semble, comme le ténor D. Schmunck, un peu limité dans l'expression de la générosité intrinsèque de la ligne mélodique voulue par Donizetti.

Le mezzo-soprano Laura Polverelli, en Rodrigo dei Tolomei, frère de Pia, se montre sans failles, avec des graves sonores, des aigus pleins mais clairs, et des variations techniquement affirmées... d'autant qu'on lui avait laissé ses deux airs, composés un peu à contrecoeur par Donizetti qui les coupa plus ou moins dans d'autres productions. (Le rôle fut d'abord conçu pour un ténor mais Donizetti accepta obligeamment de le composer pour contralto). Si le duo avec Pia, dans le Finale I°, n'atteint pas au sublime miraculeux de l'exécution de Londres en 1978, ce n'est pas dû aux interprètes mais à la partition, présentant un délicat accompagnement de pizzicati au lieu des suggestifs harpèges belliniens des violons adoptés à Londres.

Les autres interprètes se révélèrent efficaces, à commencer par l'Ubaldo de Francesco Meli dont A. Cammarano (un descendant du grand librettiste romantique ?!...) se demanda dans sa critique sur operaclick si ce jeune chanteur de vingt-cinq ans n'aurait pas dû chanter le rôle de Ghino ! Souhaitons que le "r" qui lui manque pour rappeler un grand ténor du passé, Francesco Merli, lui soit de bon augure. Daniel Borowski, en caverneux (c'est le cas de le dire) ermite Piero, et Carlo Cigni prêtant son beau timbre sonnant à Lamberto, vieux serviteur des Tolomei, composent les deux basses de la distribution, efficaces et bien dans leur rôle. Tout comme la Bice, suivante de Pia, de Clara Polito et le geôlier interprété, selon le feuillet inséré dans le programme de salle, par Luca Favaron, tandis que le présentateur radio indique Bo Schunnesson, (identification apparemment plus plausible si l'on en juge par l'accent dans la prononciation italienne).

Les choeurs du Gran Teatro La Fenice, menés par Emanuela Di Pietro, ont la précision nécessaire pour rendre notamment un passage très typé comme ce choeur furtif si donizettien introduisant le Finale primo, ou la stretta donnant la chair de poule qui le couronne.

La célèbre Patrizia Ciofi est une somptueuse Pia, résumant toutes celles qui l'ont précédée. Elle possède en effet le timbre à la fois accrochant ou incisif comme celui de Jolanda Meneguzzer ou de Lois Mc Donall, mais imprégné également de cet aspect angélique pleinement et incroyablement offert par Lella Cuberli.

La valeureuse cantatrice nous semble posséder l'intelligence du rôle, décrit par elle dans l'entracte comme écrasant. Sa technique pleinement efficace lui permet non seulement ces magnifiques aigus et suraigus piani à couper le souffle, mais également de varier joliment les reprises, aussi l'on s'interroge : de tels interprètes, faisant montre d'une si belle compétence, seraient-ils tellement rares aujourd'hui, au point que le Maestro Muti interdise aux chanteurs placés sous sa direction toute velléité de colorature (c'est-à-dire de variations) ?...


(Pia à terre, probablement dans l'Aria-Finale secondo (Patrizia Ciofi))

Durant l'entracte, comme toujours agrémenté d'interviews des interprètes et de citations tirées des sympathiques messages électroniques envoyés par les auditeurs, Patrizia Ciofi nous révèle la propre expérience de sa confrontation à cet opéra. Elle le définit comme "un po`spezzetata", un peu morcelé ou fragmenté, en ce sens qu'elle ressent moins la continuité d'une Lucia di Lammermoor (offrant pourtant sept tableaux et donc seulement un de moins que Pia qui en comporte huit). "Je retrouve, certes, une vocalità allant du lyrique à la colorature, poursuit la Signora Ciofi, mais quoi qu'il en soit, toujours avec un accent dramatique, et peut-être avec Pia allons-nous plus loin que le caractère dramatique ["la drammaticità"] de Lucia : la scène finale de Pia, de sa mort, est une scène délicate en certains moments mais qui possède à l'intérieur un caractère dramatique vraiment très profond. Je dois dire qu'à la fin de cet opéra - bien que je le croyais au début plus ìsimpleî entre guillemets, plus bref, comportant moins, disons, de difficultés techniques... - je me retrouve en réalité, avec une grande fatigue en moi : cette scène finale est donc une très grande page de bel canto... dramatique, en fait, dramatisé vocalement d'une manière très intense."

La direction de Paolo Arrivabene est précieuse à plus d'un titre, en commençant par échapper au faux critère moderne de dramatisation hélas imposé par ces chefs croyant qu'aller vite rend la musique plus dramatique, alors qu'on ne fait que lui brûler les ailes, que l'exécuter, au sens négatif du terme ! Précipiter les tempi aboutit à "bâcler" en effet les délicatesses conçues par le génie, comme ces "certe individuazioni timbriche, nella dosatissima orchestra donizettiana, certaines mises en valeur de timbres, certaines identifications de sons, dans le très dosé orchestre donizettien", comme l'observait justement Guglielmo Barblan(1) lors de la redécouverte de l'oeuvre. Interrogé durant l'entracte par le présentateur de la RAI lui demandant ce qu'il pensait de l'orchestration donizettienne habituellement estimée, le maestro Arrivabeni confia la stupeur première qui le saisit, à l'ouverture de la partition. Il découvrait précisément ces recours si fréquents aux instruments solistes, ces touches si justement dosées dont le "Maestro Donizetti", selon son expression, émailla sa partition. L'auditeur sensible et attentif ne peut que remarquer en effet ces soupirs de la clarinette, ces sourires mélancoliques de la flûte, ces traits délicatement insidieux des cuivres, introduisant une mélodie, soulignant un sentiment même fugace, une attente angoissée, et faisant que si l'on rente de s'interroger en se demandant quel autre instrument on aurait pu choisir pour telle ou telle occasion, on n'aurait pu mieux faire que Donizetti, avec lequel on tombe immanquablement d'accord.

En cela, Paolo Arrivabeni laisse "respirer" l'exécution, respectant la palette du créateur, laissant s'épanouir le triste sourire de la flûte, le soupir de la clarinette, le souffle mélancolique des violoncelles si donizettiens. Il sait faire vivre et laisser vivre la partition, pratiquement exempt d'accélérations intempestives, non seulement maestro, "chef", mais aussi concertatore.

La mise en scène de Christian Gangneron habillait apparemment les personnages à la manière médiévale et les encadrait de panneaux présentant le texte célèbre de l'évocation de Pia par Dante Alighieri dans La Divina Commedia. Si elle ne passait évidemment pas sur les ondes de la radio, elle mérite de voir au moins citer l'essence de sa conception, ayant certainement dû influencer le spectacle dans son ensemble. Christian Gangneron construisit en effet "sa" Pia pour apprendre ensuite, juste la veille de son envol pour Venise, qu'au-delà du temps, il concordait en tout point avec Donizetti recommandant chaudement à l'interprète de Pia "il sorriso ed il morire", le sourire dans le fait de mourir, secret de Pia, secret de Donizetti !

En attendant la reprise en terre donizettienne, puisque le "Teatro Donizetti" de Bergame aura la bonne idée de donner l'opéra dans autre version de la partition, on peut dire qu'il s'agit d'une réussite globale pour le Gran Teatro La Fenice reconstruit qui, avec Pia de' Tolomei, non seulement représentait noblement le Romantisme italien dans sa saison inaugurale, mais accomplissait également le choix symbolique d'accueillir enfin un opéra commandé par lui mais créé au Teatro Apollo (aujourd'hui Goldoni) pour cause d'incendie !
 
 
 

Yonel BULDRINI


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Note

In : Una eroina senza nessun peccato da redimere ; Programme du Teatro Comunale de Bologne pour Pia de' Tolomei, Saison 1967-68. Grand spécialiste de Donizetti, G. Barblan laissa une refonte inachevée de son important ouvrage dédié au cygne de Bergame mais qui fut tout de même publiée, complétée grâce à de nombreux articles consacrés à des reprises spécifiques de certains opéras, comme ici pour Pia de' Tolomei.

© Crédit photos : Michèle Crosera, source :
http://www.teatrolafenice.it/news/news.jsp?id=3786&target=focus

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