A C T U A L I T E (S)
 
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Les badauds pressés aux grilles des entrepôts de l'ONP
- scène naturaliste de la vie parisienne -
Le vide grenier du père Gall

Le 21 novembre dernier, sur le trottoir du sinistre boulevard Berthier, une foule se presse dans le froid d’un petit matin gris. Qui sont ces êtres maussades emmitouflés dans de grands manteaux ? Est-ce la Soupe Populaire ? Un Resto du Cœur ? Une file d’attente devant l’ANPE ? Des sans-papiers en mal de régularisation ?

Point du tout : toute cette troupe prend son mal en patience afin de participer à un événement bien parisien : la seconde braderie annuelle des costumes de l’Opéra de Paris, dans les anciens entrepôts construits par Charles Garnier pour les décors de l’Opéra.
 


Retour un an en arrière

L’ouverture de l’Opéra-Bastille a vu la création de nouvelles productions lyriques et chorégraphiques dans des proportions jamais atteintes jusque là dans l’histoire de la Grande Boutique. Face à ce problème de stockage, l’administration eut l’idée proprement lumineuse de mettre en vente les costumes non recyclables, soit qu’il s’agisse d’habits franchement passés, soit de créations trop typées pour pouvoir être réutilisées dans d’autres spectacles. Cette vente se tint en deux parties : une première, réservée aux professionnels, une seconde pour les particuliers. Inutile de dire que les professionnels pillèrent les meilleures pièces, qu’on retrouva dès le lendemain proposées à des prix bien supérieurs.

Le mini scandale ne s’arrêta pas là : la vente des particuliers fut prise d’assaut par les fripiers, lesquels emportèrent des portants entiers chargés de costumes, n’hésitant pas à arracher des mains d’autrui les pièces qui les intéressaient : une ancienne couturière à la retraite fut ainsi agressée alors qu’elle avait réussi à sauver une pièce qu’elle avait elle-même cousue lors de sa longue carrière à l’Opéra.

Pour éviter un nouveau carnage, l’Opéra de Paris avait pris cette année la décision de réserver cette nouvelle vente à ses seuls abonnés, en limitant celle-ci à une pièce par personne ; dans la réalité, l’administration s’est montrée plus compréhensive. Le ticket d’entrée à la vente se montait à 20€, déductible des achats éventuels. Les abonnés étaient invités à choisir une tranche horaire d’une heure et demie : un réassortiment des costumes étaient effectués entre chaque nouvelle fournée de visiteurs

Grâce à cette initiative, la vente a pu se passer dans le calme, à défaut de courtoisie (1).

Si la quantité de pièces proposées est impressionnante, le choix est difficile : les plus belles pièces sont en effet conservées pour les musées et il faut se rabattre sur ce qui reste. Les prix varient essentiellement en fonction de la façon : comme le confiait les couturières présentes, on ne refera plus jamais des costumes tels que ceux ornés de somptueuses broderies, garnis de centaines de perles et de plumes d’autruche. Ils sont assez élevés :

• 20€ pour des accessoires en très mauvais état (casques, voilettes, hauts de forme …) ou de la lingerie intime de danseur (chemises blanches usagées, jupons, collants …) : on peut en prendre autant qu’on le souhaite) ; détail pour les éventuels fétichistes, ces sous vêtements sont impeccablement blanchis : pas la moindre trace de sueur à se mettre sous le nez !

• 50€ pour des pièces moyennes (la collection complète des robes de moines de la création de « St François d’Assise » pour les pervers , une veste de page d’un « Bal Masqué » des années 50 d’un rose passé de toute laideur)

• 120 ou 250€ pour des pièces justes correctes (les tenues d’officiers de « La Dame de Pique » de 1993)

• et jusqu’à 400€ dès que ça ressemble vraiment à quelque chose (de magnifiques vestes ¾ tirées des « Soldaten », une collection de robes excentriques « d’Obéron » …)

• enfin la robe de chambre du « Bal Masqué » (bâche bleue et manches garnies de fausse fourrure), taillée pour Big Lulu et donc un peu difficile à recaser, est partie pour 1.000€ (on paie surtout le métrage).

Dans ces conditions, difficile de faire un choix car les bonnes affaires sont rares (2).

Initialement respectueuse du règlement (limitation du nombre de pièces, pas d’aller-retour possible entre les accessoires et les vêtements), l’administration s’est d’ailleurs faite plus coulante par la suite : sans doute le stock ne partait-il pas aussi vite que souhaité… A voir les prix et la qualité de ce qui était proposé, l’Opéra a sans doute eu les yeux plus gros que le ventre d’autant que très peu de pièces provenaient de spectacles récents (disons de moins de 20 ans) et susceptibles d’intéresser des spectateurs nostalgiques.

Placido Carrerotti

 


(1) je pense en particulier à un vieux couple tout droit sorti de la Cage aux Folles et qui avait monopolisé un pendant chargé des plus belles pièces qu’ils essayaient sans gêne aucune : toute personne s’approchant était accueilli d’un hargneux « C’est réservé ».

(2) Si j’ai finalement « claqué » un peu d’argent (pas mal, en fait…), c’est bien parce que je ne voulais pas revenir totalement bredouille.

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