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BRUXELLES
07/09/03

Anna Caterina Antonacci (Agrippina)

Agrippina

George Frideric Handel (1685-1759)

Dramma per musica in tre atti
Libretto di Vincenzo Grimani

direction musicale René Jacobs
mise en scène David McVicar
décors et costumes John Macfarlane
éclairages Paule Constable

Agrippina Anna Caterina Antonacci
Nerone Malena Ernman
Poppea Miah Persson
Claudio Lorenzo Regazzo
Ottone Lawrence Zazzo
Pallante Antonio Abete
Narciso Dominique Visse
Lesbo Lynton Black

Concerto Köln

En coproduction avec Le Théâtre des Champs-Elysées, Paris


Néron, Agrippine, Otton, Poppée et Claude sont cinq des personnages les plus fascinants de l’antiquité. La mise en scène de David McVicar s’attache à leur attribuer les maux et les joies des personnages qu’ils pourraient incarner dans la société contemporaine. Néron est un jeune adolescent ambitieux fourré dans les jupes de sa mère et dont la sexualité se manifeste avec une spontanéité nonchalante ; Agrippine est une matronne dévouée corps et âme à la carrière politique de son fils et est prête à tous les sacrifices, à toutes les ignominies pour parvenir à ses fins. Poppée est la belle jeune femme, dans la fleur de l’âge qui pour s’élever socialement n’hésite pas à faire s’éperdre de désir quelques amants. Otton est le jeune soldat courageux qui – encore un peu vert – serait prêt à sacrifier patrie, honneurs et couronne de lauriers pour la femme qu’il aime. Enfin, Claude est un tyran débonnaire, attaché à s’épanouir pleinement dans sa sexualité de quarantenaire et si la pourpre impériale peut l’y aider : tant mieux !

Ce qui fait la réussite de cette vision, ce n’est pas la transposition à notre époque, ce ne sont pas non plus les clins d’yeux à la société qui nous entoure ni la belle impertinence de certaines scènes. Ce qui fait la grandeur de cette mise en scène, c’est qu’elle réussit parfaitement à donner corps à ces personnages et à justifier chacune de leurs actions par un profil psychologique des mieux dessinés. Ainsi, le spectateur est d’emblée convaincu que Néron, transporté au vingt-et-unième siècle serait bel et bien le jeune homme décrit plus haut.

Un concept suffit rarement à animer une soirée (surtout quand celle-ci dure près de quatre heures), il faut donc saluer le nombre incroyable de trouvailles qui colorent les scènes, les rendant ainsi captivantes. Le piège de ces opéras baroques étant de proposer une alternance de scène rocambolesques et stéréotypées, David McVicar a parfaitement compris que le seul traitement qui sauverait le spectateur de l’ennui, était de le faire rire car, indéniablement, Agrippina est l’une des œuvres les plus comiques et les plus savoureuses de la production de Händel. Ainsi on notera quelques phrases qui feraient d’admirables citations, comme Narciso abandonnant lâchement son ami Otton, désavoué par l’empereur et lui lançant benoîtement : « L’amitié dure aussi longtemps que le succès ».

Pour ceux qui auraient le bonheur de découvrir cette production à Bruxelles ou au Théâtre des Champs Elysées de Paris, je ne dresserai pas la liste des gags qui animent la production, simplement je me permets de signaler que l’air de fureur de Néron, où celui-ci sniffe des lignes de coke en vocalisant à une allure démente, restera gravé dans mon esprit comme l’un des moments les plus jubilatoires auxquels il m’ait été donné d’assister.

Véritable leader charismatique, René Jacobs est le Kadhafi des chefs d’orchestre : il terrorise ses solistes avec des dogmes dont il ne s’éloigne jamais ; seulement à l’inverse du sympathique tyran libyen, Jacobs obtient un résultat devant lequel il n’est à propos que de s’agenouiller. Béni soit René Jacobs qui, dans toute sa divine splendeur, trouve les couleurs, les sonorités et les motifs les plus appropriés pour mettre cette partition et ce livret en branle. Après avoir entendu Jacobs, comme les lectures de Gardiner, McGegan, Haïm et Malgoire me semblent soporifiques. Question de goût, sans doute.

Le plateau est en tous points remarquable à l’exception d’Antonio Abete, Pallante scéniquement impressionnant mais qui peine quelque peu dans les ornementations et dont la voix est décidément bien petite. La Poppée de Miah Persson, toute sensuelle qu’elle soit, a bien du mal à faire oublier Rosemary Joshua dont le charme, le talent et le sex-appeal avaient émerveillé bien des mélomanes il y a trois ans, dans la même production. Cependant, il faut reconnaître beaucoup de mérites à la jeune soprano suédoise qui fait montre d’une belle musicalité et d’un investissement scénique jouissif. Réserve également – mais moindre – pour le Claudio de Lorenzo Regazzo, qui manque d’extrême grave (défaut particulièrement exposé dans ce rôle). Le chanteur est cependant très à l’aise dans les passages de grande véhémence et la caractérisation de son personnage est vraiment une réussite. Dominique Visse est un Narciso moitié Woody Allen, moitié Roberto Benigni, sa voix de caractère rend son personnage (couard de nature, sorte de loup Isengrin des temps modernes) encore plus désopilant. Les stars de cette production sont donc sans nul doute Malena Ernman (Néron) et Anna Caterina Antonacci (Agrippina). La première, grimée en adolescent déclare avoir étudié le comportement de son frère et de son mari pour rendre son Néron le plus crédible possible. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle n’a pas les yeux dans les poches ! Magie du maquillage, Malena Ernman campe un adolescent tellement crédible sur scène qu’à la sortie on entend beaucoup de gens demander : « Oui mais pour finir, c’est une mezzo ou un contre ténor ? » Ceci étant dit, saluons l’interprète dont la musicalité atteint des sommets de subtilité et de bon goût, chacun des quatre airs de Néron est exécuté avec une grâce et avec un sens de l’à propos tout bonnement confondants. Soulignons aussi la virtuosité de cette interprète dont les vocalises n’ont rien à envier à Cecilia Bartoli.

Enfin, Anna Caterina Antonacci prouve que ce n’est pas parce qu’on chante faux, quasiment du début à la fin, qu’on est une mauvaise chanteuse. Il est vrai qu’il y a quelque chose dans l’intonation de cette artiste qui fait qu’elle chante pratiquement tout trop bas. Ce défaut a parait-il beaucoup énervé René Jacobs qui n’adresse pas le moindre signe ni le moindre regard à son interprète pendant toute la représentation. Pas vraiment bouleversée par l’ire de Wonder-René, la pulpeuse Anna Caterina offre une incarnation des plus érotiques de l’histoire de l’opéra. Bon nombre de messieurs quittèrent d’ailleurs La Monnaie, ce dimanche après-midi, avec un léger boitement qui fit rougir leurs épouses. Antonacci n’est certes pas la plus grande chanteuse de tous les temps, mais elle a trouvé en Agrippina le rôle qui la rendra immortelle ; le rôle qu’aucune autre ne rendra aussi délirant. Car c’est en meneuse de revue tantôt alcoolique, tantôt manipulatrice, tantôt nymphomane – salope jusqu’au bout des faux-ongles – qu’Antonacci fait progresser l’intrigue. Ajoutons à cela un souffle impressionnant et des vocalises impeccables héritées de sa fréquentation assidue du répertoire rossinien et nous obtenons un petit miracle de musique et de théâtre.

Agrippina est donc un spectacle à ne pas manquer, dont on aimerait qu’il reste à l’affiche éternellement pour y inviter tous ses proches et faire – enfin – un peu de prosélytisme avec efficacité.
 

Camille De Rijck
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