C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
25/01/04

© Johan Jacobs
Christoph Willibald GLUCK

Alceste

Tragédie-opéra en trois actes
Livret de M.F.L. Gand Le Blanc du Roullet d'après Ranieri de' Calzabigi

Direction musicale : Ivor Bolton

Mise en scène, éclairages et scénographie : Robert Wilson
Costumes : Frida Parmeggiani
Éclairages : Aj Weissbard
Co-réalisation de la mise en scène et de la chorégraphie : Giuseppe Frigeni
Collaboration à la mise en scène : Arco Renz - Makram Hamdam
Collaboration à la scénographie : Laurent Berger
Chef des Choeurs : Renato Balsadonna

Admète : Kurt Streit
Alceste : Katarina Karnéus
Grand-Prêtre : David Wilson-Johnson
Evandre : James Gilchrist
Apollon/ un héraut d'armes : Nabil Suliman
Hercule : Nathaniel Webster
Une Coryphée : Céline Scheen
L'Oracle / un Dieu infernal : Henry Waddington
Solistes des Choeurs : Françoise Renson - Beata Morawska
Marc Coulon - Damien Parmentier 

Orchestre Symphonique
et Choeur de la Monnaie
Konzertmeister : Zygmunt Kowalski

Production du théâtre du Châtelet
Théâtre Royal de la Monnaie

23, 27, 29 janvier,
3, 5, 7, 10 février 2004 (20:00)
25 janvier * et 1er février 2004 (15 :00)


La Monnaie, nouveau temple de l'art gluckiste ?
 

Intemporelle et d'une densité extrême, Alceste se suffit à elle-même et pourrait se contenter d'une mise en scène minimaliste. Inutile de s'étendre longuement sur le travail de Bob Wilson, au risque de frustrer inconditionnels et détracteurs, toujours prêts à bondir et à se crêper le chignon. Huée par une partie du public lors de sa création au Châtelet (1999), cette production a pourtant l'immense mérite d'assurer la lisibilité du drame et de le laisser respirer. Si la griffe du plasticien américain se reconnaît immédiatement (dans les tableaux de lumière comme dans des cubes noirs qui se balancent le long des cintres), elle n'éclipse jamais l'oeuvre et ne la dénature pas davantage. "Quand j'ai mis en scène Alceste, j'ai conçu, plutôt qu'une architecture baroque, une géométrie plus sévère, faite de lignes droites. Non pas pour actualiser cet opéra, c'est plutôt que je recherche un contrepoint à la musique, au texte". Dans un décor dépouillé (la statue d'Apollon, un autel, quelques colonnes...), la mise en images se déploie au gré de somptueux dégradés de bleus et de rideaux peints qui nous valent quelques très beaux tableaux (en particulier l'arrivée d'Alceste aux portes des Enfers). L'un ou l'autre tic wilsonien, certaines poses ésotériques ou les soubresauts guerriers d'Hercule peuvent agacer, mais ils ne compromettent pas la fluidité et la cohérence du spectacle.

Armés de flûtes en bois et de cors naturels, de trombones baroques et même de cordes en boyau (quelques aventuriers du moins !), les musiciens de l'Orchestre de la Monnaie se sont rapidement familiarisés avec le style de Gluck. Bénéficiant du concours d'un répétiteur spécialisé (Ryo Terakado de la Petite Bande), ils ont repensé leur sonorité, leur articulation et même intégré à leur jeu l'ornementation héritée de Rameau et des ses successeurs. Le résultat est stupéfiant de beauté, de vivacité et de finesse ! Il faut dire qu'avec Ivor Bolton, ils ont trouvé bien plus qu'un chef : un guide, un initiateur à la fièvre contagieuse. "Chaque fois que j'entends cet opéra, une véritable frénésie s'empare de moi. Mes nerfs sont tendus à l'extrême et du premier mot jusqu'au dernier, cet état d'exaltation ne me quitte pas. C'est un peu comme un fût de vin de vendange tardive : le parfum est magnifique, mais concentré et trop robuste pour être bu à profusion...".


© Johan Jacobs

L'image est belle et juste. L'ivresse menace surtout lorsque les amants, déterminés à mourir l'un pour l'autre, s'implorent mutuellement : il s'en faut de peu pour que la tension devienne insoutenable et que le piège se referme sur des artistes prêts à se consumer. Cri, pathos, délire : ils n'ont pas leur place ici. Nulle folie ne guette les protagonistes, atrocement lucides. Ce n'est pas le sens de l'honneur, la vertu, l'héroïsme ou un quelconque fanatisme qui les pousse à se sacrifier ; non, l'amour seul motive cette abnégation et les crucifie. Face à l'Admète ardent et combatif de Kurt Streit, Katarina Karnéus, chanteuse par ailleurs magnifique, incarne une Alceste tendre et vulnérable, mais qui demeure un peu sur son quant-à-soi, même lorsque les dieux fléchissent et que la tragédie s'efface devant un dénouement heureux. Point de catharsis pour le spectateur, mais un drame et une musique sublimes. Les éclats et les frissons, il faut les rechercher dans la fosse où le choeur, admirablement préparé et dans une forme superlative, a rejoint l'orchestre. Les seconds rôles sont bien tenus : James Gilchrist est un Evandre sensible et stylé, David Wilson-Johnson, un peu court et rythmiquement instable, sait néanmoins trouver les accents incantatoires qui siéent au Grand-Prêtre et l'Hercule de Nathan Webster a belle allure... lorsqu'il ne roule pas des mécaniques en agitant un bout de bois ! Débuts plus que prometteurs de Nabil Suliman, basse belge d'origine syrienne (Apollon) et de Céline Scheen (une Coryphée).
 
 

Bernard SCHREUDERS
Lire également l'interview de Kurt Streit
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