C O N C E R T S 
 
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PARIS
27/02/03

(Christophe Rousset)
Alcina

Opéra de Georg Friedrich Haendel

Alcina : Karina Gauvin
Morgana : Elisabeth Calleo
Ruggiero : Kristina Hammarström
Bradamante : Ewa Wolak
Oronte : Timothy Robinson
Melisso : Brindley Sheratt

Orchestre des Talens Lyriques
direction : Christophe Rousset

Version de concert

Paris, Cité de la musique, 27 février 2003


En attendant la reprise de l'extraordinaire production de Robert Carsen à l'Opéra de Paris, c'est avec plaisir que l'on a pu réentendre sur une scène parisienne cette oeuvre inspirée des péripéties de l'Orlando furioso de l'Arioste.

Le plaisir fut pourtant assez mitigé : à son arrivée, le spectateur pouvait découvrir par voie d'affichage l'annulation de la prestation très attendue de Sandrine Piau en Morgana, sans motif officiel. La même affichette stipulait que "Pour des raisons dramatiques, Christophe Rousset a choisi de modifier le livret et d'en supprimer le rôle d'Oberto". C'est donc une Alcina tronquée qui nous a été présentée.

Quelle version alors ? Supprimer Oberto c'est occulter toute une facette du personnage-titre, principalement sa cruauté (rappelons qu'Oberto est en quête de son père, changé en fauve par Alcina, et que celle-ci lui tend le glaive pour tuer l'animal au troisième acte). Musicalement, c'est aussi priver l'auditeur de trois airs pour soprano dont le très beau " Barbara ", un air de bravoure au troisième acte qui offre un excellent point d'équilibre entre le désespoir d'Alcina "Mi restano le lacrime", et la fin de l'ouvrage. Ce ne sont malheureusement pas les seules coupures opérées par le chef : le premier air de Ruggiero "Di te mi rido" passe sans raisons à la trappe ainsi que plusieurs da capo, dont le plus flagrant fut celui du trio final, assez vilainement tronqué. A contrario, pourquoi présenter l'intégralité du ballet du premier acte, qui est dramatiquement plus facile à détacher du reste d'un opera seria qu'un personnage ou que certains airs ? On s'attendait presque à entendre la totalité des danses clôturant les actes ! Les choix musicaux demeurent donc très discutables, surtout après que l'Opéra national de Paris, pourtant réputé pour ses découpages, a proposé une Alcina au Palais Garnier dont il ne manquait que les ballets.

En contrepartie, Christophe Rousset a offert au public une excellente prestation à l'aide des vingt musiciens des Talens Lyriques : malgré certains tempi contestables, l'ensemble demeure d'une qualité stylistique exemplaire et le maestro a progressivement et savamment distillé le tumulte des passions pour atteindre des sommets d'intensité dramatique.

À ses côtés, les solistes se sont chargés ensemble des parties chorales et ont interprété leurs rôles respectifs avec plus au moins de bonheur.

Timothy Robinson a mûri avec sagesse son Oronte, déjà entendu au Palais Garnier et figurant sur l'enregistrement qui en a fait suite. Ses trois airs ont allié le comique et les souffrances du personnage (il fut d'ailleurs le seul de la soirée à enrichir le chant de gestes et de mimiques) avec une remarquable maîtrise musicale.

Brindley Sheratt a déployé les mêmes qualités en Melisso, soulignant toute la gravité et le cynisme requis par le tuteur.

Kristina Hammarström n'a été qu'un Ruggiero sans saveur : malgré des qualités stylistiques et vocales indéniables, elle n'a pas su faire vivre le chevalier amoureux, désenchanté et qui doit assumer la dure réalité de ses actes. Aucune émotion ne s'est dégagée du "Verdi Prati", reflet de l'intense "Caro sposa" de Rinaldo, ouvrage également inspiré de L'Orlando furioso. Il a fallu attendre " Sta nell'Incarna ", le dernier air de Ruggiero, pour obtenir un minimum de vigueur et de tonicité ! Elle était peut-être stimulée par l'éclat de la partition et la vaillance des cors qui l'accompagnaient...

Ce fut presque le contraire pour sa compagne Bradamante, la polonaise Ewa Wolak : une incarnation brûlante, mais des attaques constamment prises en dessous, des sons poitrinés, détestables, et un manque de stabilité. Il faut en revanche la féliciter pour des vocalises impressionnantes de rigueur, parfaitement synchrones avec la battue quasi-diabolique du chef. Avec un aussi beau timbre de contralto et des possibilités bien réelles, il faut espérer qu'avec la maturité, elle saura atteindre le niveau de sa compatriote Ewa Podles auprès de qui elle pourrait, en plus de partager le prénom, prendre exemple, possédant la même tessiture et le même répertoire.

Elisabeth Calleo possède les moyens et l'ambitus requis pour Morgana, mais elle a été incapable de se défaire d'une crispation continuelle, tout au long de la représentation, et terriblement flagrante vue de près et de profil. Comment amplifier ses sons en gardant la tête baissée ? Elle a créé ainsi des fausses et laides résonances nasales et mentonnières.


(Karina Gauvin)

Karina Gauvin fut la révélation et le triomphe de la soirée grâce à une interprétation du rôle-titre bouleversante et même exceptionnelle. Dans aucun de ses airs, elle n'a manqué de souffle, d'aigus, de tenue, de ligne, de justesse, de vocalises bien maîtrisées, et tout cela avec un joli timbre et un bel engagement dramatique. L'investissement qu'elle a montré dans le si connu et difficile "Ah mio cor" tout comme ses choix stylistiques dans "Ombre pallide" révèlent une maîtrise technique, un goût et une musicalité superbes.

Ce fut donc un concert assez inégal, mais qui alignait d'indéniables atouts et une révélation extraordinaire, en attendant la reprise de l'oeuvre sur scène, dans l'intimité du théâtre du festival de Drottingholm (où cet été Anne-Sofie Von Otter fera ses débuts en Ruggiero) ou encore au Palais Garnier avec Vesselina Kassarova et Patricia Ciofi. Cette soirée aura surtout démontré que les charmes d'Alcina sauront toujours conquérir le spectateur et ses interprètes. 
 

Jean-Bernard Havé
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