OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
28/05/2008


Lawrence Zazzo
© DR


GEORG FRIEDRICH HAENDEL  (1685 – 1759)

AMADIGI DI GAULA
AMADIS DE GAULE

Opéra en trois actes, HWV 11 (1715)

Livret attribué selon les sources à Nicola Francesco Haym ou Giacomo Rossi, d’après les tragédies lyriques Amadis de Grèce d’Antoine Houdar de la Motte et Amadis de Philippe Quinault.

Amadigi : Laurence Zazzo , contre-ténor
Oriana : Maria Espada, soprano
Melissa : Sharon Rostorf-Zamir, soprano
Dardano : Regina Richter, mezzo-soprano

El Ayre Espanol
Direction : Eduardo Lopez Banzo


Théâtre des Champs Elysées
28 mai 2008

UN AMADIGI SANS MAGIE…


Amour, rivalité, sortilèges et trahison : cet Amadigi composé en 1715 possède tous les ingrédients des « opéras de magie » chers à Haendel, et annonce, tant par son écriture musicale que par son intrigue Alcina (le personnage complexe de la puissante sorcière Mélissa) et aussi Ariodante (l’extrême virtuosité du rôle-titre où s’expriment à la fois la fragilité mélancolique et la noblesse du chevalier).

Le preux Amadigi et la douce Oriana sont amoureux l’un de l’autre. Mais hélas, la terrible magicienne Melissa s’est éprise d’Amadigi, qu’elle poursuit de son amour dévorant et incendiaire, sans être payée de retour. De son côté, le Chevalier Dardano, ami d’Amadigi, est amoureux d’Oriana en vain et Melissa va se servir de lui pour tenter de parvenir à ses fins. Après bien des déboires, le pur amour triomphera : Amadigi tuera Dardano, Melissa repentante, finira par mettre fin à ses jours, et, Oriana et Amadigi, tels Ariodante et Ginevra, célèbreront leurs noces dans l’allégresse générale.

On sait qu’Alcina, après avoir longtemps disparu des scènes, fut remis au goût du jour par des interprètes d’exception, de Joan Sutherland à Karina Gauvin en passant par Arleen Auger et Renée Fleming, pour ne citer qu’elles. Quant à Ariodante, sa « renaissance » reste liée de manière indélébile à la grande Janet Baker et à la version discographique qui fit longtemps référence, jusqu’à la révolution provoquée, il y a déjà plus de dix ans, par l’enregistrement réalisé à Poissy par Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre, avec Anne-Sofie von Otter dans le rôle-titre… Celui interprété par la regrettée Lorraine Hunt en 1995 avec Mc Gegan au pupitre n’était pas mal non plus…

Amadigi di Gaula, créé au King’s Theatre de Haymarket avec le castrat Nicolo Grimaldi dit Nicolini en Amadigi et la soprano très réputée Elisabetta Pilotti-Schiavonetti en Melissa, nécessite, comme les deux chefs-d’œuvre précités, des chanteurs de très haut niveau.

Au vingtième siècle, la première eut lieu en 1929, à Osnabruck en langue allemande. Elle fut ensuite représentée au Festival Haendel de Halle en 1963 et 1964 et c’est à Marc Minkowski que l’on devra sa création en France le 28 novembre 1989, Salle Chopin-Pleyel, avec la distribution de son enregistrement chez Erato, œuvre qu’il redonnera aux Festivals de Sablé et d’Utrecht en 1990.

Une nouvelle production d’Amadigi sera représentée à Halle en 1991, puis une autre encore, réalisée à Karlsruhe par Jean-Louis Martinoty et dirigée par Roy Goodman. Enfin, la salle Favart accueillit en novembre 1996 celle créée par l’Opera Company de Dublin dans une mise en scène de James Conway et sous la direction de Paul Goodwin, à laquelle j’eus la chance d’assister.

Cette version de concert du Théâtre des Champs Elysées était donc plutôt attendue, et la déception fut d’autant plus grande à son écoute, déception assortie d’une forte sensation de frustration.

Lawrence Zazzo fut dans ce même théâtre un excellent Ottone d’Agrippina et du Couronnement de Poppée, ainsi qu’un formidable Arsamene, frère et rival de Serse. Oui, mais voilà, le rôle d’Amadigi, comme nous l’évoquions plus haut, est d’un autre calibre et demande déjà les vertus d’Ariodante, à savoir en particulier la capacité de passer sans difficulté de l’abandon le plus alangui à travers les arie de lamentation et d’introspection, à la vaillance, voire à la violence la plus déchaînée, à travers les arie di furore… Certes, Zazzo s’en tire plutôt honorablement, surtout au niveau de l’élégie. Mais l’on perçoit par moments, et en particulier dans les airs de bravoure, qu’il atteint l’extrême limite de ses possibilités, en un mot, on sent l’effort, et un chant « sur le fil  du rasoir», ce qui est dommage.

D’ailleurs, on ne dira jamais assez à quel point il est risqué pour un contre-ténor, même s’il est excellent dans des emplois plus adaptés à sa voix, de se lancer dans ces rôles écrits au départ pour les plus célèbres castrats. Haendel lui-même, on le sait, préférait, quand il n’avait pas de castrat suffisamment talentueux sous la main, confier ce genre de rôle très périlleux à une voix féminine de mezzo ou de contralto.

Dans le récent enregistrement que le même chef et le même orchestre viennent de graver chez Naïve, n’est-ce pas un mezzo, Maria Riccarda Wesseling qui chante le rôle d’Amadigi ? Et en 1989, Marc Minkowski avait fait le choix de le confier à un contralto, Nathalie Stutzmann, pour celui réalisé chez Erato.

Eternel débat : la voix de contre-ténor, moins riche en harmoniques, plus limitée en tessiture et en puissance, si elle est parfaite dans certains répertoires  - œuvres religieuses, songs de Dowland et de Purcell - tels ceux qu’explora le grand Alfred Deller, butera toujours inexorablement sur ces grands rôles écrits pour des voix que, certes, nous n’entendrons jamais (quoique Moreschi, même très âgé, en donne une vague idée) mais qui, d’après les récits historiques, possédaient un volume, une longueur et une couleur dont sont exemptes celles des interprètes d’aujourd’hui.

Pour ce qui est de la sorcière Melissa, il faut bien reconnaître que la soprano Sharon Rostorf Zamir est la seule de toute la distribution à tirer vraiment son épingle du jeu. Dotée de surcroît d’une belle présence, elle parvient, malgré une voix de dimension relativement modeste, à colorer son chant de manière intéressante et raffinée.

Ses partenaires, rôle-titre compris, paraissent à ses côtés diablement monochromes, la palme de la monotonie revenant à Regina Richter dans le rôle du chevalier Dardano, qui devait - hélas, trois fois hélas – au départ être interprété par la somptueuse Ann Hallenberg. Visiblement, sa remplaçante a quelques problèmes avec la tessiture du rôle, de toute évidence trop grave pour elle eu égard à la clarté et à la puissance des sons émis dans les aigus, très projetés et rayonnants. Encore dommage.

Même frustration pour la fragile Oriana, dévolue à Maria Espada. Irréprochable, certes, dotée d’un timbre pulpeux, d’une émission très en place, et chantant tout à fait dans sa tessiture, mais quelque part un peu scolaire, prudente, retenue et interprétant tous ses airs quasiment de la même manière.

Alors, à qui la faute ? Au chef, sans aucun doute, qui bichonne et chérit son orchestre, au point de ne pas assez « soigner » les chanteurs… De plus, sa lecture aux tempi très contrastés et même hachés, soit très lente, voire languissante, soit trop saccadée, ne les aide guère en leur imposant souvent des nuances au bord du susurrement - voire de l’extinction de voix - ou des cadences contredisant le sens du texte. Ce dernier travers est particulièrement flagrant dans le fameux « aria di furore » de Melissa « Destero dall’empia dite » de l’acte III dont les cadences sont trop jolies, trop « décoratives » pour que ladite fureur soit crédible. Même Kiri Te Kanawa, à qui l’on a souvent reproché d’être trop « placide », en donnait une lecture autrement plus captivante dans le disque Haendel qu’elle grava avec Hogwood.

L’orchestre « El Ayre Espanol » possède indiscutablement de belles couleurs, certains pupitres sont de très haute qualité, en particulier les bois et les cuivres, mais c’est au niveau de la cohésion générale, de la conception d’ensemble que le travail du chef face à sa formation fait défaut. En un mot, tout cela sonne trop compassé, trop « sage » et, malgré les efforts louables des solistes, manque diablement de drame, de sang et de larmes, en un mot de théâtralité.

Amadigi sent le soufre et Lopez Banzo nous en offre une lecture proprette, sans magie aucune…Le résultat n’est pas indigne, certes, mais on s’ennuie plus souvent qu’on ne s’émeut, et l’on se prend à rêver de Minkowski et de sa fougue, d’Ann Hallenberg en Amadigi, de Karina Gauvin en Melissa, - ne fut-elle pas à Paris et à Beaune une incandescente Alcina ? – et même en Oriana - elle serait capable des deux…

Dommage, encore dommage…


Juliette BUCH
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