C O N C E R T S
 
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PARIS
12/04/2007
 
Gaëlle Méchaly
© DR
Jacques IBERT (1890 – 1962)

ANGÉLIQUE

Farce en un acte sur un livret de Nino
Créée au Théâtre Fémina le 28 janvier 1927
Entrée au répertoire de l’Opéra Comique le 2 juin 1930

Angélique : Gaëlle Méchaly
Boniface, son mari : Marc Barrard
Charlot : Matthieu Léocrart
L’Italien : Mowgli Laps
L’Anglais : Jean-Louis Meunier
Le Nègre : Jean-Loup Pagésy
Le Diable : Olivier Podestà
Première Commère : Marie-France Goudé-Ducloz
Deuxième Commère : Jeanne-Marie Lévy


Francis POULENC (1899 – 1963)

LES MAMELLES DE TIRÉSIAS

Opéra-bouffe en deux actes et un prologue
sur un texte du compositeur d’après Guillaume Apollinaire
Créé au Théâtre de l’Opéra Comique le 3 juin 1947

Thérèse – Tirésias : Gaëlle Méchaly
Le Mari : Jean-Paul Fauchécourt
Le Directeur, le Gendarme : Marc Barrard
Presto, le Vieux Monsieur : Matthieu Léocrart
Lacouf, le Fils : Jean-Louis Meunier
Le Journaliste : Olivier Podestà
La Marchande : Jeanne-Marie Lévy
La Dame élégante, la Grosse Dame : Marie-France Goudé-Ducloz

Chœur Carpe Diem – Alain Palma, chef de chœur
Orchestre-Atelier OstinatO
Jean-Luc Tingaud, direction

Théâtre National de l’Opéra-Comique
Salle Favart – 12 avril 2007


 
INDOMPTABLE ANGÉLIQUE… ET SACRÉE THÉRÈSE…

Encore une soirée délicieuse – décidément – après celle consacrée à Gian-Carlo Menotti une semaine auparavant, mais cette fois pour un autre hommage au surréalisme avec la très rare Angélique d’Ibert et le premier opéra de Poulenc, beaucoup plus connu, Les Mamelles de Tirésias, dédié à Darius Milhaud. Poulenc adapta lui-même le livret en éliminant du texte d’Apollinaire les allusions à la Première guerre mondiale pour se concentrer sur le thème de l’ambiguïté sexuelle. Ce choix, comme on peut s’en douter, provoqua des réactions plutôt houleuses de la part du public de la première …

Tout comme la soirée Menotti mettait en scène deux femmes en proie à des obsessions, celle du 12 avril donne à voir et à entendre deux héroïnes habitées par la révolte.

Dans la première œuvre - dont le librettiste, Nino, est rien moins que l’ineffable Raymond Queneau – on assiste aux déboires de Boniface avec sa redoutable et insupportable épouse affublée pourtant du suave prénom d’Angélique…

Le pauvre homme essaiera tous les stratagèmes et tentera même, sur les conseils d’un ami, Charlot, de la vendre successivement à un touriste italien, un lord anglais, un roi africain et même … au Diable ! Las, ce dernier, comme les précédents, n’en voudra pas non plus et la rendra à son époux, car, avec elle, même l’enfer était devenu encore plus infernal…..

Ibert dira de son œuvre : « Je voulus à la fois continuer et moderniser la tradition de l’opéra-comique français et je constatais avec joie que j’étais suivi par le public parisien. »

Outre Angélique, Jacques Ibert a écrit six opéras, parmi lesquels on remarque un Aiglon (1937) dont Arthur Honegger composa une partie et un Barbe-bleue (1943) ; il fut aussi l’auteur de la musique de plusieurs films dont le célèbre Macbeth d’Orson Welles.

D’une écriture musicale plus contemporaine, moins « néo-classique » que les Mamelles de Poulenc, Angélique puise malgré tout ses sources dans la commedia dell’arte avec des références parodiques au bel canto et une surprenante utilisation du chœur syllabique « parlé/rythmé » en hommage à la comédie grecque antique.

Le rôle-titre, caractérisé par une pyrotechnie savante dans la colorature, est particulièrement difficile. Gageons que ces pages, qui nécessitent de l’abattage et une grande virtuosité, iraient sans doute comme un gant à une artiste comme Natalie Dessay, époustouflante dans La Femme Silencieuse de Richard Strauss, donnée il y a quelques années au Théâtre du Châtelet.

Gaelle Méchaly, dont le timbre et le type de voix rappellent, certes, un peu ceux de Dessay (mais la comparaison s’arrête là), se sort globalement plutôt bien de l’épreuve : elle a de la présence, de l’autorité et de l’humour ; en revanche, elle trouve très vite ses limites avec des aigus tirés, voire stridents et une diction quasiment inintelligible.

Boniface, c’est le formidable Marc Barrard, déjà remarqué plus d’une fois dans ce théâtre, et qui, comme toujours, fait merveille.

Le reste de la distribution n’appelle aucun reproche. On peut saluer tout particulièrement les prestations de Matthieu Léocrart (Charlot) et des deux commères, Marie-France Goudé-Ducloz et Jeanne-Marie Lévy, absolument parfaites.

Quant aux chœurs et à l’orchestre, menés d’une main de fer par Jean-Luc Tingaud, ils achèvent de donner de ce petit bijou ironique et impertinent une lecture enlevée et précise, servie de surcroît par une mise en espace très réussie (la scène avec le Diable).
 
Avec Poulenc, nous avons affaire à un style très différent, à la fois burlesque et grave. Le Prologue, chanté par le Directeur de Théâtre (encore et toujours le formidable Marc Barrard), évoque à s’y méprendre la noblesse du Dialogue des Carmélites, écrit pourtant dix ans plus tard (1957). Ensuite, les choses prennent une tournure plus délirante avec l’air de Thérèse (le rôle fut écrit pour Denise Duval, qui en fut la créatrice), véritable manifeste féministe, l’injonction très subversive « Débarrassons-nous de nos mamelles » trouvant un écho dans les interventions comiques du Mari : « Donnez-moi du lard, donnez-moi du lard »…Thérèse devenue Tirésias perdra donc ses attributs féminins, ses fameuses mamelles se muant en ballons qui s’envolent vers le ciel alors que la barbe se met à lui pousser… Quant à son mari, il deviendra une femme…

Tout se passe à Zanzibar - ville imaginaire située quelque part sur la Côte d’azur entre Nice et Monte-Carlo - pour le meilleur et pour le pire. Et si Thérèse et son mari changent de sexe, ils n’en continuent pas moins à faire des enfants, et beaucoup…

L’intrigue, on ne peut plus scabreuse, aura cependant une fin assez morale et s’achèvera sur la phrase célèbre « Ecoutez, ô Français, les leçons de la guerre, et faites des enfants, vous qui n’en faisiez guère. »

Le Mari, c’est Jean-Paul Fouchécourt, à la diction exemplaire, d’une autorité surprenante, fascinant et vertigineux lorsqu’il se « féminise », enveloppé dans son châle mauve (rappelons nous sa nourrice du Couronnement de Poppée, et sa Platée). Thérèse, c’est de nouveau Gaëlle Méchaly qui, quoique moins exposée vocalement que dans Angélique, ne parvient pas à convaincre totalement. Sans pour autant démériter, il lui manque la charge dadaïste, foncièrement poétique et irrévérencieuse, qui faisait le prix de l’interprétation d’une Denise Duval, à la fois raffinée et incisive.

L’écriture de Poulenc, plus dramatique et plus large que celle d’Ibert, contraint les protagonistes à chanter plus qu’ils ne jouent, à l’exception de Fouchécourt, Barrard et Léocrart, égaux à eux-mêmes… Le chœur est renforcé, l’orchestre sonne plus « lyrique » aussi, et la mise en espace se trouve, pour le coup, réduite à la portion congrue.

Malgré ces quelques réserves, il convient de remercier Jérôme Savary pour avoir, une fois de plus, fait courir un vent de folie salutaire sur les dorures de la salle Favart, dans un esprit de fantaisie débridée – sans conteste la marque de fabrique de l’Opéra-Comique, qu’il serait dommage de ne pas perpétuer…

Précisons encore que l’orchestre-Atelier OstinatO fêtera ses dix ans au Châtelet le 25 janvier 2008 avec un programme « De Mozart à Rosenthal » ainsi que de nombreux invités et que son prochain concert à l’Opéra-Comique programmé les 14 et 15 mars 2008 aura pour thème : « Rapt, vol et brigandage » avec la soprano Chantal Perraud. Encore de joyeux moments en perspective…


Juliette BUCH


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