C O N C E R T S 
 
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BAYREUTH 
du 6 au 12/08/03

Bayreuth, Festspielhaus 
Richard WAGNER

Das Ring des Nibelungen 

6, 7, 9, 11 Aôut 2003

Direction musicale - Adam Fischer
Mise en scène - Jürgen Flimm
Décors - Erich Wonder
Costumes - Florence von Gerkan


 
 
Das Rheingold

Wotan - Alan Titus
Donner - Olaf Bär
Froh - Endrik Wottrich
Loge - Arnold Bezuyen
Fasolt - Johann Tilli
Fafner - Philip Kang
Alberich - Hartmut Welker
Mime - Michael Howard
Fricka - Mihoko Fujimura
Freia - Anja Kampe
Erda - Simone Schröder
Woglinde - Caroline Stein
Wellgunde - Daniela Sindram
Flosshilde - Elena Zhidkova
 

Die Walküre

Siegmund - Robert Dean Smith
Hunding - Philip Kang
Wotan - Alan Titus
Sieglinde - Violetta Urmana
Brünnhilde - Evelyn Herlitzius
Fricka - Mihoko Fujimura
Gerhilde - Anja Kampe
Ortlinde - Yvonne Wiedstruck
Waltraute - Irmgard Vilsmaier
Schwertleite - Elena Zhidkova
Helmwige - Irene Theorin
Siegrune - Daniela Sindram
Grimgerde - Simone Schr_der
Rossweise - Yumi Koyama
 

Siegfried

Siegfried - Wolfgang Schmidt
Mime - Graham Clark
Der Wanderer - Alan Titus
Alberich - Hartmut Welker
Fafner - Philip Kang
Erda - Simone Schröder
Brünnhilde - Evelyn Herlitzius
Stimme des Waldvogels - Eva Scheider
 

Götterdämmerung

Siegfried - Wolfgang Schmidt
Gunther - Olaf Bär
Hagen - Peter Klaveness
Alberich - Hartmut Welker
Br_nnhilde - Evelyn Herlitzius
Gutrune - Yvonne Wiedstruck
Waltraute - Lioba Braun
1. Norn - Simone Schr_der
2. Norn - Irmgard Vilsmaier
3. Norn - Judit Nemeth
Woglinde - Caroline Stein
Wellgunde - Daniela Sindram
Flosshilde - Elena Zhidkova
 

Lohengrin

12 Aôut 2003

Direction musicale - Sir Andrew Davis
Mise en scène - Keith Warner
Décors - Stefanos Lazaridis
Costumes - Sue Blane

König Heinrich - Reinhard Hagen
Lohengrin - Peter Seiffert
Elsa - Petra-Maria Schnitzer
Telramund - John Wegner
Ortrud - Judit Nemeth
Der Heerrufer - Roman Trekel
1.Edler - Tomislav Muzek
2.Edler - Helmut Pampuch
3.Edler - Attila Jun
4.Edler - Alexander Marco-Buhrmester

Choeur et Orchestre du Festival

(Crédit Photos : P.-E. Lephay)



Oui, assister au festival de Bayreuth est une expérience inoubliable, et ce, quelle que soit la qualité du spectacle que l'on y voit. D'une part, le simple fait d'être dans une des salles les plus mythiques au monde est déjà un immense bonheur ; d'autre part, l'acoustique si particulière du Festspielhaus (dont on n'a qu'une idée dans les enregistrements) permet une bien meilleure compréhension du langage wagnérien.

On sait que la fosse se trouve, pour sa plus grande partie, sous la scène. Les cuivres étant tout au fond, leur sonorité est comme étouffée, ainsi, même jouant fortissimo, ils ne couvriront jamais les autres instruments. Cette particularité (que Wagner exploitera pleinement dans Parsifal, le seul opéra qu'il ait conçu avec l'expérience de l'acoustique du Festspielhaus) permet cette incroyable sonorité orchestrale qui allie la puissance de la masse des cuivres au son toujours clairement perceptible des cordes. C'est peut-être cela le "miracle" acoustique de Bayreuth, auquel il faut aussitôt ajouter un autre l'équilibre fosse/scène qui en découle. Jamais, en effet, les chanteurs ne donnent l'impression de forcer pour "passer" l'orchestre, ce qui dément la légende des "grosses voix wagnériennes". La salle, vaste, offre par ailleurs une réverbération idéale. Il est difficile de décrire par des mots les particularités d'une acoustique, aussi ne pouvons-nous que souhaiter à tout amateur de Wagner de pouvoir se rendre dans ce Festspielhaus afin de goûter la magie du son de l'orchestre de Bayreuth, magie encore accrue par le fait qu'il est, avec son chef, est absolument invisible depuis la salle.


(la fosse)

Quant à l'interprétation, je commencerai justement par parler encore de l'orchestre, car c'est sans doute le souvenir le plus fort que me laissera ce voyage à Bayreuth : non seulement sa sonorité si particulière, mais également son extraordinaire qualité.
Les musiciens qui le composent viennent des meilleures formations allemandes et cela s'entend : une beauté des solos à couper le souffle (par exemple la clarinette basse qui chante superbement et ne "poitrine" jamais, le tuba dont la musicalité et la finesse du jeu sont renversantes lors du prélude du IIe acte de Siegfried), une homogénéité des pupitres absolument magnifique (les cuivres !, les cordes !!) et une sûreté à toute épreuve (y compris dans les musiques de scène dont les fameux appels du cor de Siegfried, impeccables). Nous sommes vraiment très proches de la perfection. La direction d'Adam Fischer (le frère d'Ivan) met en valeur toute la beauté de l'orchestre. Superbes sont le souffle et l'efficacité dramatique qui la caractérisent. Les tempi sont en général très lents, ce qui peut devenir gênant (ou lassant) dans certaines scènes de Götterdämmerung, mais au final, il faut saluer le très bon travail de ce chef discret, y compris dans les saluts au rideau, où l'homme paraît embarrassé d'être là, ainsi ovationné.


(la salle)

La troupe de chanteurs réunie pour le Ring ne compte pas de célébrités (c'est une "signature" du festival de Bayreuth : "no star", ou alors exceptionnellement) mais offre de très belles surprises à côté de réelles déceptions.


(Die Wälküre)

C'est Die Walküre qui aura le plus convaincu sur le plan vocal : Sieglinde absolument magnifique de Violetta Urmana, splendide et vaillant Siegmund de Robert Dean Smith, Wotan royal d'Alan Titus, superbes Fricka de Mihoro Fujimura et Brünnhilde d'Evelyn Herlitzius,dominent une distribution très heureuse.

Les autres grandes performances, nous les devrons à Arnold Bezuyen, qui signe un Loge magnifique, où l'intelligence du musicien et celle de l'acteur ledisputent à la maîtrise du chanteur, au Mime de Graham Clark (dans Siegfried uniquement) dont la prouesse scénique masque une petite méforme vocale, au Froh de Endrik Wottrich, qui réussit à se distinguer dans un rôle pourtant bien court grâce à une voix d'une réelle beauté (il sera Parsifal l'an prochain avec Boulez) et aux trois filles du Rhin, dont les voix s'allient idéalement pour former un trio magnifique. Hartmut Welker campe un très bel Alberich qui suscite la compassion, Wolfganf Schmidt est un Siegfried solide, qui réussit à conjuguer la vaillance à la finesse (indispensable au IIe acte de Siegfried) tandis qu'Olaf Bär est bien meilleur en Gunther qu'en Donner.

Les deux géants, le Hunding de Philippe Kang, l'Erda de Simone Schröder (bien davantage mezzo qu'alto), la Gutrune d'Yvonne Wiedstruck ou les trois nones laissent indifférents.

Par contre, le Hagen de Peter Klaveness, à bout de voix dès le deuxième acte du Götterdämmerung et se réfugiant dans le cri au troisième, déçoit, de même que l'oiseau d'Eva Scheider, dont la voix blanche est d'une instabilité pénible...

Revenons un instant sur Evelyn Herlitzius qui campe, de bout en bout, une merveilleuse Brünnhilde. La voix est claire, "jeune", extrêmement touchante, elle convient particulièrement bien à la fougue du personnage telle que la mise en scène le caractérise, notamment dans Die Walküre. L'actrice est en outre très convaincante et parachève une interprétation particulièrement réussie.

La production de Jürgen Flimm ne laissera pas un grand souvenir. La volonté d'actualiser l'intrigue est manifeste, dès les premiers tableaux de Rheingold (ascenseur qui amène Alberich devant les filles du Rhin au premier, lendemain de cuite pour Wotan et ses compagnons - avec Fricka ramassant bouteilles et gobelets en plastique - au deuxième...) et tout au long des trois journées suivantes (IIe acte de Walküre dans le bureau du big boss Wotan, avec ordinateur et fontaine à eau ; IIe acte de Siegfried dans un no man's land avec table de camping ; barrière de sécurité autour de l'antre de Fafner ; Ie et IIIe actes de Götterdämmerung dans un immeuble de bureaux...), tout cela n'est guère convaincant ni, le plus souvent, très beau. La modernisation de l'intrigue nous amène dans le royaume de l'argent (plutôt sale d'ailleurs), qui devient la principale motivation des personnages, ce qui ne correspond pas vraiment au livret (rappelons que l'or du Rhin permet à celui qui renonce à l'amour de forger un anneau qui le rendra maître de l'univers) et tend plutôt à tout uniformiser : Wotan, déchu de sa divinité et plus ou moins mafieux, siège dans une tour d'acier au mobilier luxueux, Alberich est bien installé dans son bureau tout en cuir, tandis que Gunther et Hagen sont à la tête d'une entreprise florissante... qu'est-ce qui les différencie ? Tout paraît quelque peu monotone dans cette vision où seul le profit (plus que l'anneau lui-même donc) semble important. Tout cela pourrait encore se défendre si de nombreux illogismes, contre-sens, questionnements et parti pris discutables ne venaient brouiller le message.


(Götterdämmerung)

Illogisme par exemple, au début du premier acte de Götterdämmerung où Brünnhilde et Siegfried se trouvent dans un intérieur qui n'a rien à voir avec le rocher de Brünnhilde ; comment justifier alors que les flammes entourent cet endroit lorsque Waltraute puis Siegfried/Gunther s'approchent ? La couronne de flammes a-t-elle suivi Brünnhilde telle l'auréole d'un saint ? De même, Alberich est accompagné durant le deuxième acte de Siegfried d'un jeune garçon que l'on comprend être son fils Hagen, mais comment justifier qu'il soit devenu un homme dans Götterdämmerung alors qu'une seule journée sépare l'action de Siegfried de celle de Götterdämmerung ? Contre-sens dans les décors, notamment celui du deuxième acte de Siegfried, qui n'a absolument rien d'une forêt mais montre, au contraire, un paysage plus ou moins désertique avec hameau d'un côté et grange de l'autre (ce qui sous-entend que Siegfried a côtoyé des humains alors qu'en principe les Gibichungen sont les premiers qu'ils rencontrent). Questionnement lorsque c'est Brünnhilde elle-même qui brode sur la chemise de Siegfried une croix qui signale l'endroit du dos où il faut frapper pour le tuer (!!), tout cela pendant que Siegfried repeint le bateau (baptisé "Brünnhilde") qui lui servira pour son voyage sur le Rhin... Et j'en viens donc aux nombreux "gags" qui parsèment les quatre ouvrages, le plus "atteint" étant Siegfried... Je ne m'attarderai pas, mais signale juste que lorsque Siegfried fait sonner son cor (qui va réveiller le dragon), il sort une partition (premier gag, lourd) puis, entre deux phrases, tourne consciencieusement la page (deuxième gag, très lourdÖ) et ainsi de suite (et je ne parle pas de l'oiseau en costume bavarois qui sort du trou du souffleur...).

Concédons au metteur quelques beaux moments, tel le premier acte de Walküre, la fin du troisième avec cette conque se refermant sur Brünnhilde, conque que nous retrouvons sous la neige au troisième acte de Siegfried et saluons une réelle direction d'acteurs.

Si Die Walküre se révèle la journée la plus réussie, Götterdämmerung reste sans doute la moins convaincante et laisse même un goût amer, notamment la scène finale qui, hormis la prestation d'Evelyn Herlitzius, déçoit et reste peu compréhensible : Hagen se suicide dès le début du monologue de Brünnhilde, mais survit pourtant jusqu'à la fin (ce qui nous vaut des soubresauts grotesques du personnage) ; le "bûcher", sur lequel se trouvent non seulement Siegfried mais aussi Gutrune et Gunther, s'enfonce dans le sol, après quoi Brünnhilde reste tranquillement sur scène tandis que la foule se dirige vers le fond de la scène éclairé et embrumé ; l'image est belle, mais que signifie-t-elle au juste ?


(Siegfried)

C'est donc avec plaisir que je me dirige à nouveau, le lendemain, vers le Festspielhaus pour y voir Lohengrin et avec l'espoir de découvrir une meilleure mise en scène... Le travail de Keith Warner est très esthétique et riche en symboles, peut-être trop ? Que signifient, par exemple, cet enfant en cage que l'on voit dès le Prélude ou bien l'eau qui se déverse du plateau lorsque Elsa ne peut se retenir de poser les questions fatidiques ? Plusieurs lectures peuvent sans doute aider à répondre à ces questions, en tout cas, sur l'instant, elles n'empêchent pas de goûter un travail extrêmement réussi avec une distribution de l'espace scénique particulièrement variée et intéressante : les personnages évoluent sur la scène même, un plateau carré, mobile et en hauteur, tournant et s'inclinant de tous côtés, ainsi que sur une passerelle qui descend des cintres et sur laquelle apparaît le Roi Henri, entouré de soldats, le tout dans des teintes extrêmement sombres qui installent un climat au pessimisme quasi étouffant, mais qui, finalement, convient bien à cet opéra "de la défaite"...

Musicalement, Peter Seiffert campe un Lohengrin crédible, même si l'on est en droit de se demander si sa voix correspond bien au rôle. Il manque à l'Elsa de Petra-Maria Schnitzer un je-ne-sais-quoi d'émotion et de prestance pour conquérir tout à fait l'auditeur. Quant à Judith Nemeth en Ortrud et John Wegner en Telramund, ils semblent quelque peu dépassés par leur personnage, et n'ont rien de transcendant dans des rôles pourtant payants. Le Héraut de Roman Trekel et le Roi Henri de Reinhard Hagen sont, par contre, bien chantants.

Les choeurs emportent totalement l'adhésion : d'une homogénéité et d'une beauté confondantes, et ce sont bien eux les grands triomphateurs de la soirée, Andrew Davies ne livrant qu'une prestation honnête à la tête de l'orchestre.

Au final, et ce, malgré des spectacles critiquables et inégaux, il y aura bien un "avant Bayreuth" et un "après Bayreuth" pour le wagnérien que je suis. Le plus marquant demeure cette acoustique si étonnante, ce son orchestral unique qui font qu'on se demande, avec Pierre Boulez, pourquoi ce modèle n'a pas été imité... Rendons du moins justice au compositeur belge Grétry (1741-1813) qui, dans ses Mémoires, imaginait une fosse similaire, et au génial architecte français Claude-Nicolas Ledoux, lequel réalisa pour le Théâtre de Besançon (inauguré en 1784) une fosse quasi identique à celle de Bayreuth...
 
 
 

Pierre-Emmanuel Lephay
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