C O N C E R T S 
 
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PARIS
10/02/03

(Teresa Berganza)
"DIVERTIMENTO BERGANZA"

avec Teresa BERGANZA

Réalisé avec la complicité de Vincent BOUSSARD

Direction musicale, guitare et arrangements : 
José Maria GALLARDO DEL REY

Lumière : Alain POISSON

PROGRAMME

W. A. MOZART Deh vieni alla finestra (Don Giovanni)

J. MASSENET Pourquoi me réveiller (Werther)

R. WAGNER O du mein Holder (Tannhaüser)

LARA Madrid, Madrid

M. T. LARA Noche de Ronda

VELASQUEZ Besame mucho

VALVERDE, LEON Y QUIROGA Maria de la O

PENELLA, ALVAREZ En tierra extrana

PIAZZOLLA
Chiquilin de Bachin / Adios Nonino

D. MODUGNO
Dio come ti amo / Nel blu dipinto di blu

SCHULTZ Lili Marleen

J. M. GALLARDO DEL REY
Cancion de despedida
Cancion de Cuna / Fuego

Paris, Opéra Comique, 10 Février 2003


GRACE ET RAFFINEMENT : LE MIRACLE BERGANZA
 

Ce concert mémorable s'inscrivait dans une tradition - initiée l'an dernier avec Felicity Lott - dont le but, comme le soulignait Jérôme Savary, est d'offrir aux grands chanteurs internationaux un espace de liberté et de divertissement, en un mot de proposer au public la visite d'une parcelle de leur jardin musical secret.

Si la fantaisie de la grande Felicity était bien connue pour ses incursions délicieuses chez Poulenc et Offenbach, entre autres, on s'attendait peut-être moins à découvrir un tel aspect chez l'immense Berganza qui incarna tout au long de sa carrière les grands styles mozartien et rossinien. Et pourtant ... 

D'emblée, le programme choisi par la cantatrice espagnole était inattendu : le titre, tout d'abord, un clin d'oeil à Mozart ; ensuite, les trois premiers morceaux : que celle qui fut une superbe Zerline pour Joseph Losey se mette à chanter la Sérénade de Don Juan, que cette Teresa déchirée qui vécut si douloureusement le rôle de Charlotte entonne le lied d'Ossian, morceau de bravoure de tous les Werther, avait de quoi décoiffer. Sans parler du pied de nez suprême : chanter la "romance à l'étoile" de Wolfram dans Tannhaüser, ce Wagner qui ne fut jamais à son répertoire...

Comme toutes les grandes interprètes, Berganza sut relever le défi en apportant à ces morceaux très - trop - connus ce supplément d'âme qu'on avait peut-être un peu oublié à force de les entendre... Et le "O du mein Holder" de Wolfram ne parut sans doute jamais sonner aussi près des étoiles...

Pour Berganza qui retrouvait la salle Favart après son admirable Carmen (1980) ce choix délibéré de chanter des airs écrits au départ pour des voix masculines avait quelque chose de provocateur, de libérateur et de malicieux aussi... Ne triompha-telle pas également dans nombre de rôles travestis : le page Isolier du Comte Ory, Ruggiero d'Alcina, sans oublier son délicieux Chérubin des Noces et son Sesto de La Clémence de Titus, un des meilleurs de toute la discographie ?

De plus, ce parti pris renvoyait à une autre tradition, celle des salons où, il n'y a pas si longtemps, il était de bon ton pour les dames de la haute société de chanter, pour le plaisir et loin de toute vraisemblance, les airs célèbres du grand répertoire lyrique, qu'à cette époque
les éditeurs de musique publiaient dans des transcriptions prévues pour plusieurs voix et tessitures différentes.

Le reste du programme, nettement moins en trompe-l'oeil, se référait à la variété internationale, la part belle étant faite, bien entendu, aux chansons espagnoles et latino-américaines, parmi lesquelles figuraient des compositions du chef d'orchestre. 

Berganza confia elle-même au public que le répertoire choisi par elle pour cette soirée l'avait accompagnée toute sa vie, en particulier cette fameuse romance de Wolfram qu'elle n'avait jamais pu chanter sur scène - et pour cause....

Il est clair que la voix n'a plus la splendeur et la fraîcheur d'antan et que le temps impitoyable a déposé sa marque indélébile sur ce timbre à la fois chaud et lumineux. Mais le goût, le style, l'émotion, l'art de faire chanter les mots et de les dire, tout est miraculeusement intact.

Et puis surtout l'élégance, celle du chant, certes, mais aussi de la femme. Cette artiste qui, tout au long de sa carrière, aura toujours été connue et appréciée pour son raffinement aussi bien vocal que vestimentaire, fit une entrée éblouissante : elle était belle comme jamais, admirablement coiffée, maquillée et revêtue d'un somptueux manteau fuchsia doublé de rouge corail, sous lequel on devinait une superbe robe noire, très simple, donc très chic, le tout signé du grand Azzaro. 

Le programme sage et intelligemment composé, la qualité de l'orchestre et des
arrangements de José Maria Gallardo del Rey, les éclairages savants, le décor bien choisi - en particulier ce joli rideau rouge délicatement relevé au début, hommage discret à l'opéra baroque et à celui des premières décennies du XIXème siècle qu'elle défendit si bien - la délicatesse, la justesse, la sensibilité et la noblesse avec laquelle elle interpréta aussi bien la chanson italienne - Domenico Modugno - que les oeuvres d'Astor Piazzolla, démontrèrent que Berganza est à elle seule une leçon : la musicienne absolue qu'elle fut et sera jusqu'à son dernier souffle n'a vécu et ne vivra encore et toujours que pour la musique, impérieuse et unique nécessité.

Mais l'autre surprise - outre un autre sublime manteau d'Azzaro, beige rosé, cette fois et le châle rouge sang des chansons flamencas - résidera dans les quatre bis : tout d'abord Carmen, avec un "Près des remparts de Séville" où l'on retrouvera une Teresa royale et gitane en diable, pratiquement comme il y a vingt ans.

Et puis une amusante et rare mélodie de Rossini , "L'addio di Rossini ai Parigini", interprétée avec une facilité dans le registre grave, une agilité dans les vocalises et surtout un STYLE - ah ! le "style Berganza" ... - pour le moins époustouflants.

Mais le sommet fut atteint avec un "Voi che sapete" absolument inouï, qui, d'un coup, fit s'arrêter le temps. Ce qu'entendit soudain la salle Favart pleine à craquer, médusée et retenant son souffle, c'est un tout jeune homme de quinze ans à peine, intimidé, à la voix un peu tremblotante et altérée par l'émoi, accompagné à la guitare (en l'occurrence par José Maria Gallardo del Rey), comme par une fantasmatique Contessa... Tout était là, le style encore, la finesse, la ligne de chant, jusqu'à la manière de se tenir en scène, un peu gauche et empruntée...

Puis Berganza eut l'intelligence de casser l'émotion, parvenue à son comble avec ce Chérubin mythique, par cette "Tempranita" (la Tarentula) qui fut toujours un de ses bis favoris, concluant ainsi la soirée par une touche d'humour bien nécessaire après tant d'émois...

Merci donc à cette grande dame, de surcroît si chaleureuse et généreuse, éternel Cherubino, pour laquelle Paris eut, ce soir là, le regard troublé de la Comtesse, d'ailleurs prénommée Rosina...
 
 

Juliette Buch
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