C O N C E R T S 
 
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MONTREAL
31/01/04

© Opéra de Montréal
Giacomo PUCCINI

LA BOHÈME

Opéra en quatre actes
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d'après 
Scènes de la vie de Bohème d'Henri Murger
 

Direction musicale : Yannick Nézet-Séguin
Mise en scène : Brian Deedrick
Décors : John Conklin (location du San Diego Opera)
Costumes : Claude Girard
Éclairages : Guy Simard

Orchestre Métropolitain du Grand Montréal
Choeur de l'Opéra de Montréal 

Mimi : Marie-Josée Lord
Rodolfo : Marc Hervieux
Musetta : Gianna Corbisiero
Marcello : Jeffrey Kneebone
Schaunard : Phillip Addis
Colline : Stephen Morscheck
Benoît/ Alcindoro : Claude Grenier
Parpignol : Pascal Charbonneau
Premier douanier : Étienne Dupuis
Second douanier : Sébastien Ouellet

Place des Arts : Salle Wilfrid Pelletier
le 31 janvier 2004



Une Bohème sans surprise

La Bohème et La Traviata sont les oeuvres les plus souvent jouées à l'Opéra de Montréal. Ces incontournables font salle comble et permettent de donner des ouvrages moins connus, mais que l'Opéra de Montréal a cependant pour mission de programmer à l'occasion, mais qui ne remplissent pas aussi aisément les coffres. Au-delà de ces considérations pratiques, il faut quand même admettre que le choix de La Bohème est tout à fait logique quand il s'agit d'attirer un public désireux de voir et d'entendre une oeuvre particulièrement attachante. Ici, le défi qui consiste à ne pas sombrer dans la routine lorsqu'un opéra est si souvent présenté, a été relevé avec adresse. Si cette production ne compte pas parmi les meilleures de l'Opéra de Montréal, elle reflète bien le souci constant de rehausser le niveau artistique des saisons montréalaises.

À la mise en scène, Brian Deedrick propose une lecture traditionnelle des mouvements : retenue dans les échanges personnels, même orageux, débridée dans les ensembles, en particulier dans l'acte du Café Momus et au quatrième acte lors d'un combat mémorable, à coups d'oreillers, entre les quatre étudiants. Cette cohésion se tient du début à la fin et c'est déjà une réussite en soi quand on pense que la scénographie occupe entièrement le large plateau de la salle Wilfrid Pelletier, un plateau dans une effervescence continuelle. Même les gestes en apparence les plus anodins prennent ici un relief bien particulier; sans les relever tous, il suffit de mentionner la posture que les trois amis de Rodolfo prennent à l'approche de la mort de Mimi. Bien que vus de dos, on les sent plongés dans la plus profonde tristesse. Leur silence et leur maintien en dit long sur l'impuissance qu'ils éprouvent devant l'issue fatale.

Les décors sont jolis, mais à force de vouloir occuper chaque coin de la scène, les concepteurs du spectacle aboutissent à quelques incohérences. Ainsi la mansarde du premier et du quatrième acte occupent en volume autant d'espace que la place du Café Momus qui rassemble pourtant beaucoup plus de protagonistes et de figurants. De plus, cette magnifique verrière qui donne une vue sur la ville suggère une aisance qui ne cadre pas avec la pauvreté des quatre étudiants. Lorsqu'on ne se laisse plus distraire par ces impressions contradictoires, on entre facilement dans le jeu.

Marie-Josée Lord, une Mimi fort convaincante dramatiquement, rend bien le tempérament du personnage, réussissant surtout à traduire la fragilité de son caractère sans toutefois en maîtriser complètement la douce poésie. L'expression vocale est juste malgré des aigus poussés et un vibrato un peu gênant. Elle possède l'amplitude requise, son phrasé est ravisant et on lui pardonne volontiers ces quelques fautes qui font légèrement ombrage à sa prestation. Un nom à retenir.

Marc Hervieux, qui joue sans grande passion, possède un timbre idéal pour Rodolfo, mais sa voix manque singulièrement d'harmoniques. Elle est néanmoins parfaitement homogène sur toute la tessiture. L'expression est malheureusement trop souvent uniforme. Deux moments, toutefois, échappent à ce constat : l'émotion de Rodolfo est palpable dans le magnifique duo des amoureux à la fin du premier acte et lors de la mort de Mimi. Ailleurs la joie, l'exaspération et le découragement sont exprimés d'une voix presque continuellement forte et monochrome.

Vocalement un peu faible, mais scéniquement crédible au deuxième acte, Gianna Cobisiero acquiert plus d'assurance aux troisième et quatrième actes. La ligne de chant s'améliore et s'embellit jusqu'à devenir lumineuse dans sa prière à la Vierge pour implorer la guérison de Mimi.

La véritable révélation de la soirée c'est le Marcello de Jeffrey Kneebone qui donne à son personnage une dimension de premier plan. Il constitue le point fort de cette distribution. Une présence très marquée dès le début qui ne se dément jamais et confère une belle unité au drame. Il est en quelque sorte l'élément déclencheur autour duquel tout s'enchaîne. Son baryton est superbe, son articulation exemplaire et il maîtrise comme personne la portée dramatique de chacune de ses interventions.

Il convient également de souligner l'excellent travail des autres protagonistes. Tous tiennent leur rôle à la perfection. On retiendra, entre autres, au quatrième acte, la basse américaine Stephen Morscheck qui chante admirablement le très beau "Vecchia zimarra, senti". Quel timbre magnifique et quelle justesse d'expression !

Le Choeur de l'opéra de Montréal livre une prestation de grande classe et l'Orchestre se montre à l'écoute d'un chef dont apprécie la direction ferme, mais toujours inspirée. Toutefois le son sort moins bien que d'habitude de la fosse. On sait que l'acoustique de la salle le porte assez mal, mais ce défaut semble accusé en l'occurrence.

Puccini est le grand gagnant de cette production à la fois touchante et enjouée. Le compositeur possède à merveille l'art des contrastes, des couleurs et des sonorités et on peut dire que sur ces plans, il a été assez bien servi. Le public ne s'y est pas trompé, qui a manifesté sa satisfaction à la fin du spectacle. En définitive, ce qui a le plus ému, c'est encore l'oeuvre elle-même, ce drame bouleversant enveloppé d'une musique chatoyante, véritable joyau enchâssé dans une monture en or.
 
 
 

Réal BOUCHER
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