C O N C E R T S 
 
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PARIS
14/10/03

(Cristina Gallardo-Domas)
LA BOHEME

Opéra de Giacomo Puccini

Mise en scène : Jonathan Miller
Réalisée par :Alejandro Stadler
Décors : Dante Ferretti
Costumes : Gabriella Pescucci
Lumières : Guido Levi

Mimi : Cristina Gallardo-Domas
Rodolfo : Marcelo Alvarez
Musetta : Maira Kerey
Marcello : Manuel Lanza
Colline : Luca Pisaroni
Schaunard : Christopher Schaldenbrand
Benoit : Michel Trempont
Alcindoro : Christian Jean
Sergent : Armando Nogueira
Douanier : Philippe Madrange

Choeurs et Orchestre de l'Opéra de Paris
Direction : Daniel Klajner

Paris Bastille, le 14 octobre 2003


QUARTIER LATINO
 
 

Un ténor argentin, une soprano chilienne, un baryton espagnol et une basse italienne : cette nouvelle reprise du chef d'oeuvre de Puccini se caractérise par une distribution en grande partie latine.

On ne reviendra pas sur une mise en scène d'un anachronisme vain et cachant mal une totale absence d'imagination, une direction d'acteurs purement anecdotique qui fourmille de détails qui se veulent réalistes, mais sonnent toujours faux, un décor beau, mais pas toujours fonctionnel (le deuxième tableau, quoique spectaculaire, impose l'immobilité aux choeurs)... tout ceci a déjà été signalé lors de nos précédentes chroniques.

Concentrons donc nous sur les chanteurs. 

Souffrant, Marcelo Alvarez avait dû être remplacé au pied levé pour la première : le public, mécontent à l'annonce, puis incrédule en apprenant l'identité du remplaçant, put ainsi faire un triomphe à un Roberto Alagna en état de grâce.

Marcelo Alvarez était-il complètement remis le 14 octobre ? On peut se le demander tant le résultat est loin de ce que l'on est en droit d'attendre d'un artiste de ce talent. Le timbre est toujours aussi beau, mais la voix s'amincit de manière inquiétante au fur et à mesure que la tessiture se tend.

Le "Che gelida manina" est expédié avec précipitation, David Klajner accélérant de toute évidence le tempo pour soulager son Rodolfo : l'air est dans le ton, mais le contre-ut est bien instable ; Alvarez ne le retentera pas à la conclusion de l'acte I.
Les choses se gâtent singulièrement à l'acte III : en maintes occasions la voix se brise, certaines notes sont même discrètement éliminées !

L'acte IV, moins exigeant physiquement, nous permet d'apprécier un interprète sensible, qui a bien compris que "les grandes douleurs sont muettes", et qui nous épargne les sanglots appuyés à la mort de Mimi. On ne peut qu'espérer qu'il s'agisse là d'une méforme passagère, car cet artiste semble gérer avec prudence et intelligence sa carrière.

Depuis plusieurs mois, les apparitions de Cristina Gallardo-Domas n'avaient pas franchement reçu d'échos enthousiastes et certains craignaient déjà le déclin de cette artiste. Sa Mimi dissipe une grande partie de nos interrogations : certes, la voix est devenue plus dramatique, le suraigu est sans doute plus difficile, mais nous avons droit un contre-ut piano de toute beauté qui vient couronner le duo de l'acte I.

Sa Mimi est un vrai personnage, qu'elle chante avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, sans doute avec davantage de calcul que de véritable abandon, mais avec une science de la coloration proprement exceptionnelle. Pas une note qui ne soit polie, pas un effet gratuit, et au final une authentique émotion dans une mort qui arrache les larmes.

Pour le Boy's band de rigueur, Bastille s'est visiblement davantage concentré sur la plastique des interprètes que sur leurs capacités vocales. Malheureusement, La Bohème n'est pas un peep show et nos oreilles souffrent.

Manuel Lanza, qui porte bien mal un nom illustre, détonne dès lors qu'il y a une note un peu aigue au détour d'une phrase musicale. Nous avions déjà souligné ce défaut lors d'une précédente critique : mais il s'agissait du rôle d'Alphonse IV dans La Favorite. On pouvait espérer que le rôle de Marcello lui poserait moins de problèmes, mais il n'en est rien et il ne nous reste qu'à subir ses interventions.

Luca Pisaroni est un Colline-barbe-de-trois-jours très sexy, qui se tire bien de ses interventions aux trois premiers actes, mais dont la "Vecchia zimara" nous laisse sur notre faim.

Christopher Schaldenbrand, chevelure blonde en folie, nous vient quant à lui de Detroit : pas de réserve à son sujet ; la voix manque encore de maturité, mais les notes y sont et la technique est maîtrisée : une voix à suivre, mais qui ne devrait pas aborder de rôles lourds avant plusieurs années.

Maïra Kerey est artiste émérite de la République du Kazakhstan. Mais c'est plutôt la Palme de l'Insignifiance qu'il conviendrait d'attribuer à sa Musetta, si cette distinction existait ! Au niveau de la tenue, "Cuando m'en vo" est chanté comme un exercice de débutant dans un conservatoire de musique, pieds joints, regards vers le plafond et bras ballants ; musicalement, ça ne vaut guère mieux : Butterfly en Musetta, une totale erreur de casting.

On retrouve avec plaisir les excellents Michel Trempont et Christian Jean, toujours justes de ton.

Côté orchestre, la réalisation laisse à désirer : hormis l'accélération, déjà relevée, afin de ménager Alvarez (à mettre au négatif) et quelques ruptures rythmiques, plutôt bien venues, à de rares endroits (au positif), les tempi sont très prévisibles et le chef subit le drame au lieu de s'en saisir et d'en livrer une vision personnelle, à l'opposé, notamment, de Daniel Oren pour la reprise de 2001.
 
 

Placido CARREROTTI
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