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NANCY
27/01/05
© DR
Giacomo Puccini (1858-1924)

MADAMA BUTTERFLY

Tragédie japonaise en trois actes
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
Créée le 17 février 1904 à la Scala de Milan

Mise en scène : Jean-François Sivadier
Décors : Jean-François Sivadier et Virginie Gervaise
Costumes : Virginie Gervaise
Lumières : Philippe Berthomé
Collaboration artistique : Véronique Timsit

Madama Butterfly : Eva Jenis
F.B. Pinkerton : Evan Bowers
Suzuki : Liliana Mattei
Sharpless : LeRoy Villanueva
Goro : Nicolas Gambotti
Yamadori / Le commissaire impérial : Christophe Gay
Le bonze : Cyril Rovery
Yakuside : Daniel Serfaty
La mère de Cio-Cio-San : Patricia Garnier
La tante de Cio-Cio-San : Marie-Louise Egurrola
La cousine de Cio-Cio-San : Barbara Wysokinska
Kate Pinkerton : Elisabeth Lanore
Le serviteur : Christophe Ratandra
L'enfant : Romain Malléa

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Choeur de l'Opéra de Nancy (Direction : Merion Powell)

Direction musicale : Pascal Verrot

Opéra de Nancy et de Lorraine
Le 27 janvier 2005

Un papillon prénommé Eva

En l'honneur peut-être des nombreux touristes de l'Empire du Soleil Levant qui, friands d'Art Nouveau, chaque année, se pressent pour admirer les trésors du Musée de l'Ecole de Nancy, les vitraux de Gruber et les boiseries Majorelle ou s'arrachent en salles des ventes les vases de Gallé et de Daum, la capitale des Ducs de Lorraine accueillait l'une de leurs plus illustres concitoyennes, une jeune fille de quinze ans, nommée Cio-Cio-San, que Puccini a immortalisée, victime d'un amour impossible pour un fringant lieutenant de la marine américaine. L'inconséquent yankee n'y voyant qu'une passade amusante et sans lendemain, en dépit de l'enfant né de leurs amours, elle n'aura d'autre issue à son désespoir que le suicide rituel, comme son père avant elle.

Dans cette coproduction déjà donnée à Nantes et Lille, le metteur en scène Jean-François Sivadier renonce à tout exotisme de pacotille, à toute "japoniaiserie" pour se concentrer sur le drame universel de l'héroïne. Hormis l'entremetteur Goro, l'oncle Bonze et le serviteur, clone de Jet Li, les costumes de Virginie Gervaise se réfèrent plus aux drapés antiques qu'aux kimonos. Quant aux deux Américains, ils arborent un sportswear atemporel. Le décor dénudé ne laisse que peu d'intimité aux protagonistes. Seules de grandes bannières amovibles, manipulées par les interprètes, évoquent l'Extrême-Orient mais aussi des voiles de bateau et la mer, si omniprésente. Tour à tour cloisons, refuges ou armes (brandies contre Goro ou Yamadori), elles dessinent un espace mouvant et évolutif, qui s'adapte remarquablement aux effets quasi-cinématographiques de fondu enchaîné que contient la partition musicale. S'octroyant même au 1er acte quelques effets comiques de jeu avec la salle ou le chef, la très précise direction d'acteurs se focalise ensuite sur Butterfly, dont elle met en exergue, avec une grande finesse psychologique, l'isolement, l'attente interminable puis le désespoir final.

Les seconds rôles croquent une galerie de portraits contrastés et convaincants, du Bonze tonnant de Cyril Roverty au Yamadori adolescent de Christophe Gay, en passant par l'insinuant Goro de Nicolas Gambotti. En Sharpless, LeRoy Villanueva fait montre d'une profonde humanité et d'une tendresse touchante mais sa puissance vocale limitée le fait trop souvent disparaître dans les ensembles ou les tutti orchestraux. Le grave profond et sombre, presque de contralto, de la Roumaine Liliana Mattei convient mal au rôle de Suzuki et déséquilibre notamment le sublime "duo des fleurs" du 2ème acte. Enfin, le ténor américain Evan Bowers campe un Pinkerton très probant, amusé et enamouré au 1er acte, fuyant ses responsabilités au 3ème. La voix est splendide, avec un aigu rayonnant et puissamment projeté. On lui reprochera juste quelques engorgements dans le médium et une certaine avarice de nuances piano.

Mais si cette production de Madama Butterfly réussit à toucher au coeur (pour reprendre la formule du metteur en scène), à emporter l'émotion et l'adhésion et à soulever l'enthousiasme d'une salle archi-pleine, c'est avant tout à son interprète principale qu'elle le doit. Bien connue à Nancy, où elle a déjà offert des interprétations remarquées de Violetta ou de Jenufa, la soprano slovaque Eva Jenis réussit une exceptionnelle incarnation de Cio-Cio-San. Le matériau vocal est pourtant parfois rebelle, l'aigu quelquefois tendu et métallique, le vibrato par moments envahissant. Mais qu'importe ! En très grande artiste, Eva Jenis transcende ses limites, les utilise même à des fins dramatiques et parvient à nous convaincre qu'elle joue sa vie, là, devant nous... Elle réussit ce miracle de théâtre en premier lieu par une implication scénique de chaque instant, explorant toutes les facettes du personnage, successivement adolescente mutine, femme amoureuse, épouse pleine d'espoir dans l'attente puis de doute, enfin petit animal affolé et finalement plein de détermination. Mais c'est par la voix surtout qu'elle parvient à émouvoir, à tirer les larmes. L'irisation formidable des colorations, la progression agogique du duo d'amour, la nostalgie infinie des longues phrases flottantes pianissimo ("Un bel di vedremo"), l'attaque des aigus de front, à découvert, à la Scotto, prémonitoire dans son désespoir du suicide final ("Tu, tu, piccolo Iddio!"), tout est en situation et fait mouche.

A la direction musicale, Pascal Verrot déploie une immense énergie. Parfois un peu trop lente et analytique, comme dans le "Coro a bocca chiusa" qui relie les deux derniers actes, sa baguette parvient à enlever rythmiquement les ensembles comme à s'épancher sans mièvrerie dans les moments de pur lyrisme. Malgré ses efforts, il ne parvient cependant pas toujours à obtenir de l'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy le velouté des cordes ou les paroxysmes orchestraux adéquats.

En dépit de quelques menues réserves, une magnifique soirée d'opéra et un splendide écrin pour la perle Eva Jenis.
 
 

Michel THOME
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