C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
BERNE
13/02/04
(© Opéra de de Berne)
Georges BIZET (1840-1875)

CARMEN 

Opéra comique en quatre actes
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy d'après la nouvelle de Prosper Mérimée

Nouvelle production

Maria José Montiel (Carmen)
Emil Ivanov (Don José)
Petra Labitzke (Micaëla)
Kevin Short (Escamillo)
Robin Adams (Moralès)
Richard Ackermann (Zuniga)
Gunda Baumgärtner (Frasquita)
Eliseda Dimitru (Mercédès)
Patric Ricklin (Le Dancaïre)
Andreas Hermann (Remendado)
Thomas Mathys (Lillas Pastia)

Eike Gramms (mise en scène)
Beatrix von Pilgrim (décors)
Catherine Voeffray (costumes)
Patrice Trottier (lumières)
 

Choeur et choeur auxiliaire du StadttheaterBern
Choeur d'enfants du Singschule Köniz
Berner Symphonie-Orchester
Miguel Gomez-Martinez, direction musicale

Berne, 13 février 2004



Une Carmen bien seule

Comme La Traviata ou La Bohème, Carmen est un opéra dont l'intrigue est si connue, qu'il semble que d'en jouer les notes et d'en chanter les airs suffisent à en faire un spectacle. Comme si une bohémienne, un toréador et un vague Don José racontaient toute l'Espagne et le drame de la Carmen de Bizet.

Eike Gramms, le directeur-metteur en scène du théâtre lyrique bernois avait prévu que les éléments de sa troupe relèveraient le défi posé par cet opéra mythique. Malheureusement, il lui a fallu déchanter en admettant qu'il avait visé trop haut. Si ses personnages sont théâtralement bien caractérisés, si sa direction d'acteurs est efficace et sa mise en scène joue subtilement des éclairages et des décors pour évoquer les ambiances chaudes des étés espagnols, sa production reste en-deçà des espérances en raison d'un plateau vocal globalement faible. Avec une Carmen mise en scène de manière très conventionnelle, le spectateur n'est pas attiré par une éventuelle lecture symbolique de l'ouvrage et se réfugie tout naturellement vers la seule expression vocale et musicale. Pourtant, l'exiguïté de la scène bernoise appelle à l'invention scénique, particulièrement pour des opéras "à grand spectacle", comme ce fut le cas pour les précédents Nabucco ou Tannhaüser, particulièrement réussis. Au lieu de cela, les scènes d'Eike Gramms sont encombrées de décors renforçant l'impression de petitesse. Dans cet univers restreint, les choeurs et les figurants peinent à trouver leur place. La sortie des cigarières ou les scènes d'animation marchandes, avant la corrida, manquent de naturel. Chacun se range comme de petits soldats cherchant maladroitement à ne pas gêner son voisin. Ce manque d'espaces réduit le défilé des protagonistes de la corrida à une ridicule parade. Les figurants, se pavanant lourdement, expriment davantage la fierté d'être présents sur une scène d'opéra que celle inhérente aux banderilleros et picadors qu'ils sont censés incarner.


(© Opéra de de Berne)

Ces problèmes ne seraient qu'épisodiques et mineurs s'ils n'étaient stigmatisés par le niveau de la plupart des protagonistes. Et pourtant, le Berner Symphonie-Orchester ne ménage pas sa peine pour leur offrir un solide tapis musical sous l'excellente direction de Miguel Gomez-Martinez. Sans mesurer les écueils de cette partition, Emil Ivanov (Don José) empoigne son rôle avec une extrême véhémence qui le conduit rapidement aux limites de sa voix. Le ténor russe force des aigus qu'il ne possède plus. Sa diction désastreuse, sans une seule voyelle claire, rend son discours totalement inintelligible. Étranger à la prononciation française, il n'est d'ailleurs guère plus à l'aise dans les parties parlées. De son côté, le baryton américain Kevin Short (Escamillo) campe un toréador de comédie musicale, à l'américaine, totalement hors propos. Aux limites de la justesse, l'air du Toréador, suite de vociférations incompréhensibles, est chanté avec des effets de voix d'un goût douteux. Ajouté à ses oeillades et à ses gestes de pantins, son personnage rejoint la caricature. Quant aux seconds rôles, s'ils sont plus honnêtement interprétés, ils ne soulèvent pas pour autant l'enthousiasme. A commencer par la soprano Petra Labitzke (Micaëla) qui ne possède pas un atome de l'esprit des phrases qu'elle chante. Ses notes tantôt projetées avec force, tantôt retenues, n'épousent jamais le sens des mots. On peut toutefois noter la bonne prestation de Richard Ackermann (Zuniga) qui aurait intérêt à ne pas abuser de l'énormité de ses moyens. En la contenant, il gagnerait en subtilité et en expressivité. A relever encore, la belle prestation de la soprano allemande Gunda Baumgärtner (Frasquita), au timbre clair et agréable.

Cette production serait certainement ratée si, dans ce brouillard vocal, la mezzo-soprano Maria José Montiel (Carmen) ne tenait pas le spectacle sur ses épaules. Dotée d'un charisme qui lui fait prendre l'ascendant sur ses collègues, la mezzo espagnole offre un beau personnage à sa bohémienne. Elle est une amoureuse de la vie, une joueuse, avec juste ce qu'il faut de sel pour faire tourner la tête aux hommes. Occupant toute la scène par sa seule présence, cette Carmen bien seule sur le plateau bernois, jamais ne surjoue. Avec ses aigus de bronze et l'ampleur contrôlée d'une voix au vibrato chaleureux, la voix de Maria José Montiel n'est pas sans rappeler la Carmen de Régine Crespin. Jamais vulgaire, rarement aguicheuse, il suffirait d'une meilleure diction dans les dialogues parlés pour qu'elle se hisse au rang des meilleures interprètes du rôle mythique de Bizet. A suivre ?
 

Jacques SCHMITT 


Prochaines représentations : les 21, 25 et 29 février, les 6, 9, 11, 17, 19 et 21 mars, les 3, 8 et 12 avril et les 2, 19, 21, 23 et 29 mai 2004.

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]