C O N C E R T S 
 
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ASPENDOS
23/08/03
CAVALLERIA RUSTICANA
Opéra de P. Mascagni

I PAGLIACCI 
Opéra de R. Leoncavallo
 

Mise en scène : Alexander Titel
Décors : Tayfun Çebi
Costumes : Gürcan Kubilay

Santuzza : Ebru Kaytmaz
Turiddu : Oben Bostanci
Alfio : Mukhtar Malikov
Lola : Medine Akhun
Mama Lucia : Gülru Toko_lu

Canio : Erol Uras
Nedda : Sevinç Bilgin
Tonio : Tamer Peker
Silvio : Mukhtar Malikov
Beppe : Devrim Demirel

Choeurs et Orchestre de l'Opéra d'Antalya

Direction : Alexandru Samoila

Théâtre antique d'Aspendos, le 23 août 2003



Situé à 45 km d'Antalya, capitale provinciale de la côte égéenne turque, la ville d'Aspendos propose un des théâtres antiques les mieux conservés au monde.

La fondation de la cité remonte au 5ème siècle avant notre ère. Conquise en 330 par Alexandre le Grand, elle dut attendre l'influence romaine pour que l'architecte Zenon bâtisse le théâtre vers 190. Au treizième siècle, après divers réaménagements, le site fut converti en palais pour le sultan Alaaddin Keykubat (ce qui nous rappelle un opéra de Richard Strauss). Enfin, dans les années 20, Mustafa Kemal entreprit une visite des différents sites dont regorge une Turquie fraîchement émancipée, créant un Département des Antiquités et lançant une politique active de conservation des vestiges archéologiques.
Après une visite d'Aspendos, Atatürk engagea la restauration du théâtre en vue de sa réouverture au public ; le théâtre est d'ailleurs le seul élément qui subsiste des cités successives.

Le soin apporté à cette restauration a été contesté par les puristes : le théâtre est composé à 80% des matériaux originaux, des complément modernes constituant les 20% restant. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un ouvrage proprement superbe : mur de scène intact, murs et portiques latéraux conservés, colonnade en partie supérieure des gradins ..., il ne manque que le plafond de bois au dessus de la scène.

Malgré une capacité théorique de 20.000 places, l'accès au site est maintenant limité à 5.000 spectateurs : il y a quelques années, des concerts pop de 15.000 personnes avec sono tapageuse et feu d'artifice final ont mis en péril l'édifice par des vibrations excessives ; malheureusement, la dégradation s'accélère au fil des années, amplifiée par un drainage insuffisant des sols.

Unique festival lyrique et chorégraphique de Turquie, Aspendos proposait pour sa dixième édition une grande variété de spectacles s'étalant pour la première fois sur trois mois, de la mi juin à la mi août.

L'Opéra d'Etat assurait Aida ainsi qu'un ballet néoclassique turque Harem. Turandot était confié à la troupe de l'Opéra de Sofia et le Prince Igor à celui d'Istamboul (on aurait plutôt imaginé l'inverse). Nabucco était dévolu à la troupe d'Izmir, Traviata, Cavalliera Rusticana & I Pagliacci, Giselle et les Carmina Burana à celle d'Antalya. Spartacus était dansé par le ballet de Moscou, Romeo et Juliette par celui de Mersin et Casse Noisette par la troupe nationale ... du Kirgistan (1) !

Dans sa volonté d'occidentalisation, la Turquie, quoique dépourvue de véritable tradition dans ces arts, réussit donc l'exploit d'aligner quatre troupes lyriques ou chorégraphiques, et ne se contente pas d'attirer la meute des touristes (majoritairement allemands) mais aussi un public turc (2) en nombre appréciable quoique minoritaire (de l'ordre de 20% des spectateurs présents).
Etonnant décalage avec un environnement encore essentiellement dominé par d'autres traditions : d'un côté du mur, Nedda s'apprête à fuir avec son amant, de l'autre les femmes voilées, assises en tailleur au seuil des maisons, baissent les yeux au passage des hommes ...

Le spectacle proposé le 23 août pour une unique représentation contraste notablement avec les autres productions, très classiques (voire poussiéreuses à en juger par les clichés) données dans le cadre de ce festival : sans qu'on puisse clairement préciser une époque, les deux opéras sont transposés à une date plus récente.

Ils bénéficient d'un décor unique très simple : un praticable métallique et des escaliers figurant tantôt les marches de l'église sicilienne de Cavalleria ou la place de village de Pagliacci, tantôt une sorte de "Bar de la Marine" où la troupe de Canio donne son spectacle.

Le dispositif ne facilite pas les déplacements des masses chorales, d'autant qu'il leur est demandé pas mal de mouvements, ainsi pour la "toilette du dimanche" qui anime le début de Cavalleria et voit les femmes apporter les habits des hommes et les enfants cirer les chaussures avant de partir à la messe. Il s'ensuit quelques décalages avec l'orchestre et un manque de puissance, les chanteurs songeant d'abord à se mouvoir : lors de la procession, les porteurs perdent même leur Vierge Marie, la statue dégringolant les escaliers en matraquant au passage quelques crânes. Cette difficulté est contournée dans Pagliacci, où le choeur "Ding Dong" est présenté comme une répétition menée par l'instituteur du village : statiques, et la partition sous le nez, les choristes sont alors autrement convaincants.

Les deux oeuvres se succèdent sans solution de continuité : à la fin de Cavalleria, le corps de Turiddu est ramené et posé sur la table de l'auberge; au prologue de Pagliacci, ce sont les artistes du second opéra qui sont figés dans les mêmes pauses, puis saluent comme à la fin de leur propre spectacle et enfin se démaquillent devant leur miroirs cernés d'ampoules : Tonio se retourne alors pour entamer son monologue. 

En Santuzza , Ebru Kaytmaz domine aisément la distribution de Cavalleria : reste qu'on a plutôt l'impression d'entendre une Suzanne. Oben Bostanci n'est guère à sa place en Turiddu : malgré une émission spinto, il s'agit plutôt d'une voix pour 'Alfredo, rôle qu'il incarnait également à l'occasion de ce festival. Mukhtar Malikov est absolument au dessous de tout en Alfio : la justesse et le rythme sont tellement approximatifs qu'on a du mal à reconnaître son air d'entrée.
Medine Akhun est juste correcte en Lola et Gülru Toko_lu campe une Mama Lucia particulièrement indolente.

A la fin de cette première partie, on finit même par avoir des doutes sur l'acoustique prétendument exceptionnelle du lieu.

Heureusement, la suite vient balayer cette première impression. La distribution est dominée cette fois par l'excellent Tonio de Tamer Peker (interprète de Nabucco par ailleurs) et à ses côtés, par la Nedda convaincante de Sevinç Bilgin : belles voix, aigus faciles, puissance enfin satisfaisante et caractérisation dramatique évitant la caricature. Grâce à ces artistes, on peut enfin apprécier l'acoustique du théâtre.

On ne peut pas en dire autant du Canio d'Erol Uras : le chanteur a peut-être eu des heures de gloires il y a quelques décennies, mais il a clairement dépassé l'age de la retraite; vibrato envahissant et incontrôlé, aigus tendus et approximatifs ... L'absence de souffle lui fait frôler le désastre dans un "Vesti la giubba" démarré assez lentement par le chef qui se voit rapidement obligé d'accélérer le tempo pour rattraper son Canio alors que celui-ci continue, derechef, à accélérer : chacun pour soi, rendez-vous au point d'orgue ! Mukhtar Malikov frappe encore en Silvio : le rôle, plus lyrique, lui convient toutefois mieux, car son type d'émission est assez proche de celui d'un artiste de comédie musicale. Enfin, Devrim Demirel est un Beppe très correct.

A la tête de l'orchestre de l'Opéra d'Antalya composé de musiciens particulièrement jeunes, Alexandru Samoila fait des miracles : évitant l'écueil de la vulgarité, il sait ménager de belles couleurs (notamment dans l'intermezzo, plus debussyste que vériste) tout en accompagnant avec professionnalisme les chanteurs.

Ce n'est pas demain que le Festival d'Aspendos concurrencera celui de Vérone ; il reste néanmoins une destination agréable pour les touristes déjà présents sur les lieux.
 
 
 

Placido Carrerotti



Notes

1. Comme chacun sait :-) , le Kirgistan est une république indépendante de 5 millions d'âmes, détachée de l'ancienne URSS, coincée entre le Kazakhstan, l'Ouzbekistan, le Tajikistan et la Chine. La langue de cette population de tradition nomade, rappelle le Turc, l'Ouzbek, le Kazakh, et bien sûr le Turkmen. D'une superficie à peine inférieure à celle du Sud Dakota, ce pays montagneux culmine à 7.439 mètres, mais je m'égare.

2. Le prix des places est d'ailleurs assez doux : 30 euros pour les touristes auprès d'une agence, en bénéficiant du "pick up" à l'hôtel et certainement beaucoup moins pour ceux qui se rendent directement au théâtre.
 

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