C O N C E R T S 
 
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NEW-YORK
10/12/04
LES CONTES D'HOFFMANN

Opéra en plein d'actes de Jacques Offenbach

Mise en scène : Otto Schenk (1982),
reprise par Lesley Koenig (1991)
et dirigée par David Kneuss
Décors : Gunther Schneider-Siemssen
Costumes : Gaby Frey
Eclairages : Wayne Chouinard

Hoffmann : Ramon Vargas
Olympia : Alelsandra Kurzak
Antonia & Stella : Hei-Kyung Hong
Les 4 ìDiablesî : James Morris
La Muse/Nicklausse : Ruxandra Donose
Les 4 "Valets" : Jean-Paul Fouchécourt
Nathanaël/Spalanzani : Bernard Fitch
Luther/Crespel : Hao Jiang Tian
Hermann/Schlémil : Kim Josephson
La mère d'Antonia : Wendy White

Choeurs et orchestre
du Metropolitan Opera de New York
Direction : Frédéric Chaslin

New York, le 10 décembre 2004


DES CONTES BIEN TENUS

Au Metropolitan, Otto Schenk était jusqu'à une époque encore récente le metteur en scène attitré des opéras allemands. Pas une saison sans qu'une ou plusieurs de ses productions soient à l'affiche : Richard Wagner (Tannhaüser, Parsifal et la Tétralogie), Richard Strauss (Rosenkavalier, Arabella et Elektra), la célébrissime Fledermaus, où il lui arriva d'interpréter lui-même le personnage de Frosch. Plus rarement, Schenk s'est tourné vers d'autres répertoires avec un Rigoletto et ces Contes.

Son travail se caractérise par une fidélité extrême au texte, une théâtralité efficace et une grande homogénéité stylistique (c'est ce qui fait d'ailleurs la force de son Ring).

Si certaines productions tiennent le coup au fil des reprises (dont l'inusable Rosenkavalier ou l'excellente Fledermaus), d'autres finissent par apparaître quelque peu datées.

Ces Contes font partie de la dernière catégorie : on peut même assurer qu'ils étaient déjà datés à la création (personnellement, j'ai découvert cette production en 1988 et c'est le souvenir que j'en ai).

Schenk n'a pas lésiné sur le spectaculaire, mais un manque de moyens et une imprécision générale de la réalisation des décors nuisent au rendu final de sa production.

Le Prologue nous emmène dans les caves de Maître Luther : tables en bois grossier, faux tonneaux plaqués contre les murs, fumée et pénombre. Les costumes balayent toutes la gamme des gris, marron et verdâtre : c'est la joie. Le décor s'enfonce dans les profondeurs de la scène : on ne sait pas si les spectateurs applaudissent l'ascenseur ou s'ils sont heureux de voir disparaître le décor.

Le premier acte est le plus réussi : le massif décor du laboratoire glisse du fond de la scène vers la fosse, entraînant un bric à brac d'objets farfelus et fantasques. La scène de la poupée est donnée avec humour, mais elle pâtit de la comparaison avec des productions plus récentes (Carsen ou Savary par exemple).

Le décor de l'acte d'Antonia ressemble à une maison de poupée. Faux murs en toile, mobilier misérable : on croirait une publicité pour Playmobil.

Le décor de l'acte de Giulietta a été refait pour la reprise de 1991 : c'est Venise vue par Las Vegas mais avec les moyens de la Rhur.

Sans surprise, le décor de l'Epilogue ressort des sous-sols pour la scène finale.

Plaquée là-dessus, une scénographie purement illustrative, sans grande imagination : son seul mérite est de laisser les chanteurs s'exprimer comme ils le souhaitent.

Ramon Vargas en profite pleinement : sautant, courant, dansant le cancan sur la table du bouge. On n'imaginait pas que ce chanteur puisse s'animer à ce point en scène. Tout l'y engage : le rôle lui-même (Alfredo Kraus considérait qu'il pouvait être un piège pour la voix d'un chanteur belcantiste, car il invite aux débordements un peu véristes : nous sommes en plein dedans), la production et surtout la tessiture : Vargas a toujours été angoissé par les notes suraiguës, devenant souvent timide à l'approche d'une note difficile. Cette fois, il est bien davantage à son aise qu'en Duc de Mantoue quelques mois plus tôt. Le timbre est encore très riche, le chant superbe : c'est un plaisir que d'entendre une voix aussi "latine" dans cet ouvrage.

James Morris reprend ses personnages diaboliques en leurs donnant une coloration un peu moins noire que par le passé. Le personnage est plus effacé, moins sardonique, mais le chant plus propre (ce qui ne l'empêche pas de rater l'aigu final d'un "Scintille diamant" transposé d'un demi-ton). La performance reste néanmoins remarquable, venant d'un des plus grands Wotan ou de l'un des meilleurs Sachs de l'histoire.

Alelsandra Kurzak fait ses débuts au Metropolitan avec cette Olympia. Sa performance est très honnête dès lors qu'on s'efforce d'oublier les variations délirantes qu'ont offertes des Welting ou des Dessay. La voix dispose d'une certaine largeur (ce n'est pas un simple "canari") et une puissance respectable. Seul bémol (si j'ose dire), la justesse n'est pas toujours au rendez-vous dans le haut medium.

Hong déçoit en Antonia, l'artiste devant de toute évidence composer avec son évolution vocale. Habituée d'emplois plus légers (elle est en particulier admirable en Liu), la chanteuse aborde le rôle avec une voix qui, elle, manque de largeur et cherche à la protéger en évitant de donner trop de volume ; trop sollicitée dans le grave, elle perd de la facilité dans l'aigu (le contre ré est d'ailleurs soigneusement évité). Ainsi préoccupée par ses problèmes vocaux, la chanteuse n'a plus guère de ressources pour incarner une héroïne émouvante. Un comble, ce rôle étant le plus "payant" émotionnellement.

En progrès constant, Béatrice Uria Monzon est une courtisane crédible, au timbre sombre et velouté : le vibrato est mieux contrôlé qu'il y a quelques années, le volume généreux et, cerise sur le gâteau, quelques phrases sont même compréhensibles.

Faute de choriste disponible, le double rôle de la Muse et de Nicklausse est assuré par Ruxandra Donose. Cette chanteuse est peut être excellente dans d'autres répertoires ou dans des théâtres de dimensions plus modestes. Mais comme je me fais un point d'honneur à ne parler (en bien ou en mal) que de ce que j'entends, et que je n'ai rien entendu, je n'en dirai pas plus.

Les 4 "Valets" de Jean-Paul Fouchécourt sont tout simplement un régal : c'est magnifiquement chanté (avec même des variations dans la reprise de "Non c'est la méthode" !), parfaitement audible et compréhensible, drôle avec légèreté. Superbe.

Les rôles complémentaires sont plus ou moins bien tenus ; à noter que (cette saison) le Nathanaël du Prologue devient Spalanzani à l'acte I, Luther incarne Crespel au II et Hermann chante Schlémil au III : une piste intéressante que la mise en scène ne creuse pas.

La version choisie est un mélange entre les éditions Choudens et Oeser : rétablissement des airs de la Muse et de Nicklausse, musique d'origine pour "J'ai des yeux", mais conservation du "Scintille Diamant" et du septuor apocryphe (1). 

L'orchestre est dirigé avec métier par Frédéric Chaslin. Celui-ci met l'accent sur la dimension théâtrale de l'ouvrage, réussissant à assurer la cohérence d'un ensemble assez hétéroclite sur le papier.
 
 
 

Placido Carrerotti

1. Pour plus de détails, consultez l'excellent dossier de Christian Peter publié sur Forum Opéra
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