C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
19/12/02

© Marie-Noëlle Robert
Nikolaï Rimsky-Korsakov

Le coq d'or

Direction musicale: Kent Nagano
Mise en scène: Ennosuke Ichiwaka III
Réalisation de la mise en scène: Isao Takashima
Chorégraphie: Kanshino Fujima
Décors: Setsu Asakura
Costumes: Tomio Mohri
Lumières: Jean Kalman

Le Tsar Dodon: Albert Schagidullin
Gvidon: Ilya Levinsky
Afron: Andreï Breus
Le Général Polkan: Ilya Bannik
Amelfa: Elena Manistina
L'Astrologue: Barry Banks
La Reine de Chemakha: Olga Trifonova
Le coq d'or: Yuri Maria Saenz

Choeurs du Théâtre Maryinsky de Saint-Pétersbourg
dir. Andreï Petrenko
Orchestre de Paris

Production du Théâtre du Châtelet créée en 1984


En 1914, à Paris, la troupe des ballets russes offre une vision "séparatiste" du Coq d'or (due à Alexandre Benois pour la mise en scène): l'action est mimée par des danseurs tandis que les chanteurs sont immobiles sur les côtés de la scène (ce qui répond en partie au voeu de Rimski Korsakov, qui voulait que les chanteurs puissent danser).
En 1984, le Châtelet propose lui une version "mixte" du même ouvrage, associant l'univers de la Russie à la culture nippone en faisant appel à un metteur en scène de théâtre kabuki, Ennosuke Ichiwaka. C'est une reprise de cette production qui nous était proposée en ce mois de décembre.
L'idée de ce mélange peut, sur le papier, paraître curieuse (bien que la Russie voie ses frontières côtoyer celle de l'Asie), le résultat est pourtant parfaitement réussi et convaincant en plus d'être splendide.
L'impression qui ressort de ce spectacle n'est en effet pas celle que laisse une simple transposition dans l'espace et/ou le temps tant tout paraît naturel et logique. Et puis, l'histoire de ce tsar bouffon peut s'imaginer dans n'importe quel pays et à n'importe quelle époque (Rimski pensait d'ailleurs à Nicolas II en composant son ouvrage: le tsar n'avait su gérer le conflit avec le Japon en 1904-1905, conflit qui avait vu la Russie humiliée, comme l'est le tsar Dodon dans l'opéra).
Ici donc, nous sommes dans un Japon plutôt médiéval et le conseil de guerre qui ouvre l'opéra entre le tsar et ses fils ferait presque penser à celui qui ouvre le film de Kurozawa Ran, les postures, les costumes, la gestuelle semblent en effet tout droit venir du théâtre kabuki. Le décalage avec la musique, bien occidentale (avec des touches orientalisantes de-ci de-là), pourrait gêner, il n'en est curieusement rien (du moins pour ma part). Cette vision est si originale, la direction d'acteurs si forte et expressive, la splendeur esthétique telle (des costumes et des maquillages - qui ont mobilisé pas moins de douze maquilleurs ! - absolument splendides), que l'on est happé dans cet univers fascinant. La nudité du décor (un immense escalier), de remarquables éclairages exaltent la présence scénique des chanteurs dont il faut louer l'engagement.
L'action est strictement respectée, les aspects comiques et grotesques bien présents (inénarrable scène entre le Tsar et la reine Chemakha), l'opposition entre l'univers de la cour du Tsar et celui de la reine Chemakha bien identifiables (formidable ballet de la suite de la reine au troisième acte); peut-être aurait-on juste pu souhaiter que le prologue et l'épilogue, avec l'Astronome (qui annonce puis fait la morale de l'histoire), soient plus distancés du reste de l'action (d'autres personnages l'entourent durant ces scènes, alors qu'il eût été plus logique de le voir seul), peu de choses en vérité tant on est confondu devant tant de justesse et de perfection.
© Marie-Noëlle Robert

Musicalement, nous sommes également quasi comblés. Deux rôles sont pourtant particulièrement difficiles à distribuer, ceux de l'Astronome et de la reine de Chemakha.
La voix de l'Astronome tient à la fois du ténor et du haute-contre. Il faut en effet une puissance qui permette de passer l'important orchestre (ce que le haute-contre ne pourrait faire) et tenir une tessiture très aiguë, qui monte jusqu'au contre-mi (qu'un ténor ne pourrait atteindre et qu'il ne faut pas chanter en falsetto). Le Châtelet a trouvé la voix idoine. Barry Banks est absolument remarquable dans ce rôle, dont il assure vaillamment la partie. La voix est belle et les aigus faciles (le contre-mi est superbe). Une excellente prestation.
La reine de Chemakha est un peu une "Reine de la Nuit" russe. Là encore, une tessiture très tendue, qui va aussi jusqu'au contre-mi, de longues vocalises (c'est une princesse d'Orient) caractérisent ce rôle difficile, qui nécessite de plus une chanteuse endurante. Ce n'est hélas pas tout à fait le cas d'Olga Trifonova. La voix est certes belle, l'incarnation fine, mais elle peine dans l'aigu, le contre-ré de l'"Hymne au soleil" est tiré, et elle ne fait pas le contre-mi de la fin du deuxième acte, ce qui est difficilement excusable. Tout un aspect du rôle s'en trouve escamoté. Si le contre-mi est le propre de la reine de Chemakha et de l'Astrologue, c'est justement parce qu'ils sont les deux personnages "réels" de l'histoire, comme nous le dira l'Astrologue lui-même dans l'épilogue...
Albert Schagidullin est un Tsar Dodon formidable, voix, chant, jeu, sont parfaits. Il a en outre le bon goût de ne pas caricaturer à outrance son personnage, qui en devient presque sympathique.
Les chanteurs qui incarnent ses deux fils, Ilya Levinsky et Andreï Breus, sont également très bons, tout comme Ilya Bannik en Général Polkan. La "nourrice" Amelfa est chantée par la superbe voix de contralto d'Elena Manistina. Yuri Maria Saenz incarne quant à elle un convaincant coq d'or.
Les choeurs sont ceux du théâtre Maryinski de Saint-Pétersbourg, confondants d'homogénéité et de beauté.
L'Orchestre de Paris est également superbe. Il est vaillamment dirigé par un très bon Kent Nagano, qui exalte les couleurs orientalisantes et la richesse de l'orchestration tout en conduisant le drame de manière efficace.

On l'aura compris, le Châtelet a proposé là un spectacle absolument superbe, qui sert brillamment une partition essentielle de l'opéra russe.
 
 
 

Pierre-Emmanuel Lephay
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]