C O N C E R T S 
 
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PARIS
04/06/03

(© Eric Mahoudeau)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756 - 1791)

Cosi Fan Tutte
ossia La Scuola Degli Amanti (1790)

Opera buffa en deux actes
Livret de Lorenzo da Ponte
 

Fiordiligi : Anja Harteros
Dorabella : Enkelejda Shkosa
Ferrando : Roberto Saccà
Guglielmo : Russell Braun
Don Alfonso : Alessandro Corbelli
Despina : Maria Bayo

Orchestre et Choeurs de l'Opéra national de Paris
Chef des choeurs : Peter Burian

Direction : Armin Jordan

Mise en scène, décors et costumes : Ezio Toffolutti
réalisée par : Christoph Lehnert
Lumières : André Diot

Opéra National de Paris - Palais Garnier
Représentation du 4 juin 2003



Salzbourg à l'Opéra de Paris
ou quand la musique de Mozart se met elle-même en scène...
 

Les opéras de Mozart ont toujours exigé l'excellence en ce qui concerne la direction musicale, et Cosi peut-être plus encore que tout autre, en raison de l'extrême complexité de son écriture : ensembles, duos, trios, arie d'une grande difficulté - quasiment des airs de concert - travail raffiné de l'orchestre (en particulier des vents et des bois). 

La quatrième reprise de cette production datant de 1996 avait de quoi séduire pour au moins deux raisons : la présence au pupitre d'un chef mozartien de haut niveau, Armin Jordan, qui nous avait offert une Clémence de Titus et une Flûte enchantée admirables, et la présence dans le rôle de Despina de la délicieuse Maria Bayo.

Certes, le reste de la distribution ne comportait pas de "grands noms", on avait cependant applaudi à Garnier Alessandro Corbelli en Dandini de Cenerentola, et, à Bastille, Roberto Sacca en Almaviva du Barbier et Anja Harteros en Micaela.

Certes, on avait vu et revu cette jolie production, très classique, très esthétique, où Naples avait pris le bateau pour Venise et où l'action se déroulait dans des tonalités délicates et raffinées, dignes de Tiepolo, de Canaletto, un peu mâtinées de Fragonard et de Nattier, sublimement éclairées par un des plus grands "maîtres en lumière" du moment : André Diot. Les précédentes distributions nous avaient plus ou moins comblés, les directions musicales de même, et l'on s'était parfois un peu ennuyés à contempler ce ravissant spectacle un peu languissant voire fade...

Oui, mais voilà, la musique, comme la vie, dont elle est le corollaire direct, est parfois faite d'une étrange alchimie : ce qui n'avait guère "pris" lors des représentations précédentes se met soudain en place comme par enchantement : dès les premières mesures de l'ouverture, le miracle s'accomplit. L'enchanteur Armin Jordan nous avait, une fois de plus, capturés dans ses filets, en nous donnant à entendre Cosi comme rarement cela avait été possible, et cela depuis fort longtemps. Les ombres bienveillantes de Karl Böhm et de Jean-Pierre Ponnelle devaient planer ce soir-là sur le Palais Garnier, tant tous les protagonistes semblaient investis de ce charme inimitable qui n'appartient qu'au respect absolu de l'oeuvre. "Tout est dans la musique", disait Berganza, qui fut Dorabella, Chérubin, Sesto, comme bien peu pourront l'être après elle.

En fait, Jordan démontra ce soir-là de façon magistrale que la musique seule constitue la véritable dramaturgie et qu'elle sculpte l'action, par ses silences et ses élans, lui donnant la véritable pulsation, celle de l'âme.

Rarement on aura entendu l'orchestre de l'Opéra de Paris en un tel état de grâce, prodigieusement attentif à la baguette de l'enchanteur, obéissant au doigt et à l'oeil, nous donner de ce chef-d'oeuvre une lecture totalement "concertante" avec une mise en relief extraordinaire de traits généralement noyés dans des directions plus brouillonnes ou plus brutales. Une grande précision alliée à une grande douceur, un rare équilibre de tous les pupitres, avec les entrées délicatement ciselées des bois et des vents, ensorcelantes, quasiment magiques, nous valurent un charnel et extatique "Secondate aurete amiche" à l'acte II et, sommet absolu, un "dialogue" inoubliable avec Anja Harteros dans "Per pieta". Enfin, il ne s'agissait plus d'un morceau de bravoure pour diva surmédiatisée, mais d'une véritable aria d'introspection, chanteuse et orchestre baignant dans le même univers harmonique, quasiment abstrait.

Dès lors, quelle importance si la voix d'Anja Harteros n'est pas aussi pulpeuse, aussi "royale" que celles d'autres interprètes prestigieuses comme Margaret Price, Kiri Te Kanawa ou Renée Fleming. Ce n'est sans doute pas un mince compliment que de dire que par moments on crut reconnaître l'instrumentalité, la précision, la noblesse et le style d'une Schwarzkopf ou d'une Stich-Randall, aux voix, certes, plus fines que celles des chanteuses précitées, mais ô combien raffinées et respectueuses dans leur fidélité absolue à la partition. Par ailleurs, n'oublions pas que la cantatrice qui créa le rôle de Fiordiligi, la Ferrarese del Bene, chantait par ailleurs Susanne...

Le reste de cette distribution, constituée de musiciens accomplis, se révéla fort homogène, avec une mention spéciale pour la Despina surprenante, très "second degré" et superbement chantante de Maria Bayo et le don Alfonso noir et machiavélique d'Alessandro Corbelli. Cette Despina-là, réservée, noble, distante, directe héritière de la Susanne des Noces, qui regarde avec un certain dédain "quelle buffone" s'agiter, s'évanouir et s'éventer, et ce don Alfonso un tantinet méprisant qui se rejouit du malheur des quatre amoureux égarés, ne sont-ils pas les obscurs instruments du destin, les précepteurs pervers de cette rude "école des amants" que souhaitait le divin Mozart ?

Des deux "innamorati", c'est Roberto Saccà qui se distingue en Ferrando, le Guglielmo de Russell Braun paraissant moins à l'aise, plus en retrait. Aidé il est vrai par la direction à la fois impérieuse et attentive d'Armin Jordan, Saccà donna en particulier un superbe "Tradito, schernito", qui nous fit regretter de ne pas l'avoir entendu dans le redoutable "Ah lo veggio quest'anima bella", coupé comme c'est souvent le cas.

Enfin, la Dorabella accorte, charmante et évaporée de la mezzo albanaise Enkelejda Shkosa, au beau timbre sombre et chaud, pulpeux à souhait, constitua un parfait duo avec la Fiordiligi racée d'Anja Harteros, promenant sa haute et mince silhouette avec une grâce et un ennui aristocratiques du plus bel effet.

En conclusion, les plus grandes soirées ne se trouvent pas forcément où on croit les attendre, et il suffit parfois d'un chef inspiré dirigeant des chanteurs amoureux de la musique pour que le miracle s'accomplisse et que Paris devienne soudain Salzbourg à sa grande époque...
 

Juliette Buch
 

Prochaines représentations les 7, 10, 13, 20, 23, 26 et 28 juin 2003

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