C O N C E R T S 
 
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PARIS
26/01/03

(Valery Gergiev) 
La Dame de Pique

Opéra de Piotr Ilitch TCHAÏKOVSKI

IHermann : Vladimir Galouzine
Lisa : Katarina Dalayman
Pauline/Daphnis : Ekaterina Sementchouk
Le Prince Eletski : Albert Schagidullin
Le Comte Tomski/Plutus : Nikolaï Putilin
La Comtesse : Elena Obraztsova
La Gouvernante : Olga Markova-Mikhaïlenko
Macha : Svetlana Volkova
Tchekalinski : Oleg Balashov
Sourine : Mikhaïl Petrenko
Tchapltski/Le Maître de Cérémonie : Alexandre Timchenko
Naroumov : Guennady Bezzoubenkov
Chloé : Olga Trifonova

Orchestre et choeurs du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg
Direction musicale : Valery Gergiev

Paris, Théâtre Du Châtelet, 26 Janvier 2003


La présence de Plácido Domingo à l'affiche de cette Dame de Pique constituait à elle seule l'un des événements majeurs de la saison russe du Châtelet. Hélas, le ténor, souffrant, a dû annuler sa prestation. Pour la majorité des spectateurs venus entendre la star, le déplacement valait-il encore la peine ? L'immense ovation du public à la fin du concert ne laisse aucun doute sur la réponse.

Valery Gergiev est sans conteste le grand triomphateur de cette matinée. Soucieux des détails, de la moindre nuance, de la virulence des passions qui animent les personnages, il a conduit ses troupes avec une maîtrise exceptionnelle, nous offrant une interprétation fulgurante du chef-d'oeuvre de Tchaïkovski. L'homogénéité et la concentration rare des instrumentistes, le professionnalisme exemplaire des choeurs (les femmes sachant alterner leur partie et celle des jeunes garçons avec autant de conviction), ont largement contribué au succès de l'entreprise.

Le plateau des solistes n'était pas moins remarquable. Saluons tout d'abord leur connaissance de l'oeuvre : laissant leurs partitions au vestiaire, ils ont pu donner libre cours à leurs qualités d'expression théâtrale devant les chaises disposées à l'avant-scène.

Parmi les nombreux seconds rôles, oublions la gouvernante désagréable d'Olga Markova-Mikhaïlenko, et citons les délicieux compères Oleg Balashov et Mikhaïl Petrenko, respectivement Tchekalinski et Sourine, taquins, inquiétants et unis comme le requièrent leurs personnages ainsi qu'Alexandre Timchenko, qui prêtait sa belle voix au maître de cérémonie. Quant à Macha, la femme de chambre de Lisa, elle était campée par une soucieuse Svetlana Volkova.

Fort heureusement Olga Trifonova n'avait que la courte partie de Chloé dans la pastorale de l'acte II à chanter ; malgré tout il a fallu encore subir, comme pour la Reine de Chemaka du Coq d'Or, ses aigus criards et son timbre aigrelet.

Albert Schagidullin, qui avait un peu déçu dans l'oeuvre de Rimsky-Korsakov, nous a offert un Prince Eletski d'une grande noblesse, avec une voix puissante et expressive, capable de traduire avec conviction les tourments de l'amour passionné et ceux de la jalousie. L'autre baryton de l'oeuvre, le comte Tomski, était interprété par le solide Nikolaï Putilin, dont les deux ballades nous ont particulièrement ravis.

Très belle prestation d'Ekaterina Sementchouk : cette frêle contralto au timbre séduisant a exécuté les romances de Pauline et de Daphnis avec une élégance rare et un art vocal accompli.

Katarina Dalayman est sans conteste une Lisa proche de l'idéal : sa voix ample, chaleureuse, envoûtante, d'une tessiture étendue et homogène jusqu'à l'aigu, rayonnant, lui a permis d'incarner avec justesse cette jeune fille touchante qui découvre la passion avant d'être confrontée à la trahison et aux affres du désespoir.


(Katarina Dalayman) 

La Comtesse est habituellement distribuée à des chanteuses renommées en fin de carrière pour leur permettre de briller encore une fois à la scène. Elena Obraztsova ne fait pas exception à la règle : oublions l'émission parfois précaire, la justesse approximative et le vibrato largement déployé et ne retenons que la musicalité préservée et la présence inouïe de cette grande dame de l'école russe, qui incarne le rôle-titre, clé de l'ouvrage, avec une intensité dramatique peu commune. Il fallait la voir en vieillarde parkinsonienne, à bout de force, s'appuyer sur le garde-fou du chef afin de tenir debout et mimer sa mort d'une manière saisissante, sur une simple chaise !

Vladimir Galouzine avait la lourde tâche de remplacer Plácido Domingo : s'il n'a pas tout à fait renouvelé son extraordinaire prestation de la Bastille en 1999, il demeure un Hermann tourmenté à souhait et en proie à ses démons. Cependant, même si ce rôle est plus conforme à sa tessiture de baryténor que ses récents emplois pucciniens, il ne peut cacher une altération précoce de ses moyens vocaux que trahissent des attaques par en-dessous assez détestables ainsi que des difficultés à maintenir une stabilité d'émission constante. Cela est fort regrettable pour un chanteur encore jeune et qui sait malgré tout mieux que quiconque s'affirmer dans de nombreux rôles dramatiques.

Il faut croire qu'Euterpe veillait, tout au long de cet après-midi du 26 janvier 2003, sur les protagonistes de cette somptueuse réalisation musicale dont le grand artisan, on l'a dit, est le maestro Gergiev. Réjouissons-nous de la diffusion prochaine de ce concert prévue le 8 février 2003 sur France-Musiques.
 
 

Jean-Bernard Havé & Christian Peter
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